Le tout nouveau testament
Voilà bien un film qui surprend, à la fois par son sujet et sa mise en scène. On se retrouve avec un film au carrefour entre le Bruce tout puissant ou Benoît Poelvoorde prend la place de Jim Carrey dans le rôle de dieu et d'une atmosphère à la "Amélie Poulain" aux ambiances rétro, étayé de souvenirs d'enfance, de subjectivité et d'innocence genre "Le Petit Nicolas".
Là où le film prend des risques c'est dans le choix d'une présentation d'un dieu aigri et méchant. On ne peut que se réjouir de voir un tel point de vue illuminer nos écrans sans que la moindre censure ne s' en mêle. Comme un écho à la manifestation de Charlie ce film nous montre que nous sommes capable de brocarder toute forme divine et en premier lieu celle la plus proche de notre culture à savoir la religion catholique avant de ridiculiser celle des autres.
En plus d'être drôle, le film aborde de manière intelligente la critique que l'on peut tous faire envers dieu. A savoir si dieu existe, pourquoi se complait-il à nous faire du mal ?
Le réalisateur dès le début du film instaure une fracture nouvelle entre dieu et la religion. Là ou on pouvait s'attendre à voir un dieu bon mais incompris galvaudé par une religion qui tirerait partie de sa crédibilité pour se permettre des excès. Le tout nouveau testament nous présente une autre histoire ou dieu serait loin d'être à la hauteur et ou le reste de sa famille essayerait tant bien que mal de gérer les dégâts de la mauvaise humeur du père éternel.
Le dieu du Tout nouveau testament n'est donc plus une incarnation de l'amour, mais bel et bien un type comme vous et moi à qui on aurait donner les pleins pouvoirs. Il vit à Bruxelles avec sa femme et ses 2 enfants sans contact avec le monde extérieur. Il est en fait le premier patriarche. C'est à dire qu'il peut par la force et la colère imposer sa loi. On nous le présente très logiquement isolé allant chaque jour dans son bureau au bout du couloir. A longueur de journée, il joue au monde en buvant des bières comme d'autres joueraient à un jeu vidéo. Il passe son temps à gérer de manière despotique son monde et peut prétendre ainsi que ce travail le dédouane de toutes les obligations inhérentes à la vie en famille.
Dieu sait tout sur tout le monde. Il a des fiches sur tout le monde qu'il classe dans une salle au milliard de tiroirs à l'image de l'administration du film Brazil. Cette caractéristique, dieu la partage avec les états totalitaires qui en plus de nous priver de libertés nous prive de vie privée. Dieu sait tout, voit tout, écoute tout, un peu comme un directeur de la NSA.
Le film nous offre un pont entre la métaphore du fichier qui reste représenté de manière traditionnelle sous la forme de fiches papier classées dans une infinité de casier et une métaphore plus récente où dieu édicte ses règles à l'aide d'un ordinateur au bon vieux look années 80.
On a trois niveaux technologiques qui se superposent dans le film. Les fiches papier pour chaque personne héritées du passé, les lois informatisées par l'ordinateur central qui régissent notre présent. Le SMS envoyé par milliards à toute la population déclenché par Ea la fille de dieu qui représente notre devenir.
Ainsi ce que dit le film en filigrane et qui dépasse sans doute les intentions du réalisateur belge, c'est que ce dieu, qui édicte des milliers de règles absurdes depuis son bureau de Bruxelles est une caricature à la fois sublime et grotesque de l'administration européenne. On ne peut que se délecter des règles édictées par notre dieu bruxellois qui nous disent par exemple "une tartine de confiture devra toujours tomber du coté de la confiture", nous soufflant ainsi que la LEM : loi de l'emmerdement maximal a bien dû être elle aussi créée par dieu, ajoutée de son corolaire "si par le plus grand des hasard la tartine du bon coté, c'est qu'elle a été tartinée au départ du mauvais, nous laissant ainsi face au choix entre misérable ou coupable !
Ce film pourrait être un film noir ou grinçant il n'en est rien. Il y a dans le tout nouveau testament un optimisme qui puise ses racines dans l'arrivée d'une nouvelle génération qui pense autrement. Dieu est un mec aigri qui à force de jouer avec le même monde sur lequel il a tout pouvoir et sans jamais discuter avec personne ou simplement descendre sur terre, finit par se complaire dans une forme chronique de sadisme sur un monde qui lui obéit trop.
JC, son fils, n'aime pas cette attitude de patriarche aigrie et dépitée, et tente de faire un nouveau testament qui a davantage les pieds sur terre, ce que désapprouve son père. Aujourd'hui c'est au tour de sa fille Ea de se rebeller contre le monde dégénéré créé par son père. Elle veut porter à son tour la bonne parole et faire voler en éclat les règles édictées depuis Bruxelles par son père qui emmerde tous le monde.
Le film grâce a son optimisme déjoue les travers d'un film anticlérical qui au lieu de renier les testaments les absorbe. Si Le nouveau testament a été nécessaire à l'ancien pourquoi ne pas écrire un tout nouveau testament plutôt que de brûler les autres. Tout bonnement génial. Un peu comme si on appliquait la théorie de l'évolution de Darwin à la bible. Il faut muter pour rester.
Ea va donc rencontrer 6 nouveaux apôtres pour former son tout nouveau testament. Ces rencontres qui sont la colonne vertébrale au film n'ont pas grand intérêt. Elle sont finalement 6 rencontres plus ou moins surréalistes parmi des millions possible. Si ces rencontres dans la forme accaparent une grande part du film elles n'en sont pas le fond. Le fond de l'histoire est une critique de la concentration du pouvoir et de l'information sur une seule tête.
En dénigrant Dieu, le film nous interroge sur la question du bonheur suspendu à notre raison de vivre. Le film ne met en scène que des apôtres sans descendance Sans dieu ma raison de vivre devient-elle uniquement mes enfants ? Non, nous dit subtilement le film en nous montrant tour à tour des adultes qui doivent d'abord se réconcilier avec leur propre rêve d'enfant avant de prétendre pouvoir procréer notre avenir. Ea est l'exemple de cette révolte qui n'a aucun respect pour son père alors qu'il est quand même dieu. Le père de Ea ne fait que des lois et jamais de miracle. Les miracles n'arrivent qu'aux gens qui vivent la réalité née de l'improbable que dieu ne fréquente pas.
Le film doit être aussi vu comme une sévère critique contre la civilisation patriarcale instaurée par la religion. C'est la mère de dieu et sa fille qui peuvent soigner le monde névrosé produit par le goût du pouvoir plutôt que l'envie de séduire. Le pouvoir a besoin de la séduction, comme la passion a besoin du respect, pour que l'amour existe.
On peut au cours du film se régaler de scènes avec les déboires de Kevin, ce héros qui tente de pourfendre le déterminisme par l'absurde. Car le monde que nous présente Le tout nouveau testament est un monde déterminé au point que dieu connait les dates de décès de chacune de ses créatures. Il se trouve que grâce à une fuite Kevin connait sa date de décès et essaye régulièrement de braver la mort en sautant dans le vide avant la date fatidique de sa mort. C'est non seulement très drôle, mais surtout cela nous montre par l'absurde qu'il faut être aussi fou que Kevin pour croire au destin.
Avec dieu le père tout est écrit, avec la mère et la fille tout semble possible. Ce film est un film qui donne le pouvoir à la féminité pour un monde où l'on userait du pouvoir sans obsession. Le pouvoir féminisé est un pouvoir que l'on ne concentre plus sur un seul homme évitant ainsi qu'il ne se prenne trop au sérieux et qu'il ne se transforme en un dieu obsédé par son propre pouvoir. Concentré et sans échange le pouvoir est malsain, sale et acariâtre, dieu fini par mépriser le monde qu'il domine, nourri par le mépris de lui même.
Soyons clair, nous dit le film, si nous ne prenons pas notre destin en main quelqu'un le fera à notre place. A l'instar du film Time out, le pire qui nous attend est de confier la date de notre mort à un système que nous ne contrôlons plus.
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