Ma Loute
Avec Ma Loute, on a la chance d'aller voir ce film le jour où il sort à Cannes. On a donc un peu l'impression en marchant sur la moquette de l'UGC ciné-cité de Ludres de fouler le tapis rouge de Cannes. Le film est à la fois beau et touchant naviguant entre un surréalisme léger comme un rêve et une esthétique qui s'apparente à un album de Hergé. C'est un film aux accents du nord qui dépasse celui de la voix pour finalement créer sa voie.
On peut penser que Dumont n'aime pas l'humanité et s'ingénie à la ridiculiser de film en film. Je n'en croit rien. Il y a chez ce réalisateur une volonté cathartique. C'est peut-être, cet adjectif, un peu désuet et ésotérique qui semble le mieux justifier la démarche de ce réalisateur hors norme. Pour lui le cinéma est sans doute le meilleur moyen de purger nos fautes par la mise en scène de celle-ci. A mi chemin entre le mea culpa public et le rendez-vous au confessionnal, Ma Loute nous permet de purger nos péchés. Ce film n'est pas narcissique et le réalisateur ne semble pas avoir de revanche à prendre mais renvoie plutôt une image à la fois belle et cruelle de notre humanité.
Pas la peine pour le réalisateur de plonger dans les banlieues d'aujourd'hui ou de se raccrocher à une histoire vraie pour nous faire sentir la profondeur de la faille au sein de cette famille que l'on dit humaine. L'auteur nous met face à une histoire vieille de plus d'un siècle où il y a donc prescription et où l'on peut juger.
Dumont possède les paysages du nord comme d'autres sont à l'aise en studio, ce décor pourtant si sauvage lui appartient. Les personnages du film se détachent sur ce panorama comme des personnages de BD que l'on aurait souligné à l'aide d'une fine plume d'encre.
Sous les traits lisses d'une image qui semble parfois tirée de vieux films burlesques recoloriés. L'entreprise du réalisateur n'en reste pas moins machiavélique. Et même les plus talentueux acteurs du moment comme Lucchini ou Binoche vont se faire prendre dans sont filet, à l'instar des victimes du film.
Son but est sans appel : nous montrer des comédiens amateurs dans toute la splendeur naturelle que leur donne leur humanité pendant que conjointement il s'ingénie à faire joueur la comédie à ceux qui s'auto-proclament comédiens. Alors que d'illustres inconnus crèvent l'écran avec leur tronche qui les enracinent dans les paysages du nord, nos comédiens professionnels sont invités par le réalisateur à en faire trop jusqu'à la caricature.
Ouvrir le festival de Cannes avec un film qui semble vous dire en filigrane que l'entre soi fini par conduire à la dégénérescence, c'est plutôt gonflé, tant le festival peut ressembler parfois lui aussi à un microcosme décadent.
Dumont a de l'or dans les yeux parce que sa caméra ne va pas chercher à opposer l'humanité avec des bourgeois débiles et profiteurs d'un coté et des prolétaires travailleurs et valeureux de l'autre. Au contraire, nos pécheurs sont eux aussi totalement dégénérés et mangent leurs victimes plutôt que d'aller en mer, pêcher du poisson. Rien n'est blanc rien n'est noir chez les riches comme chez les pauvres voila bien ce qui caractérise cette lumière du nord si chère à notre réalisateur.
A ceux qui trouvent que le film est trop surréaliste, on a envie de rétorquer que le typhonium, lui, existe bien pour de vrai et que la 4ème génération de propriétaire y habite toujours. L'utopie fait vivre alors que le réalisme nous cloue sur place. Dumont le sait bien, et son film qui pourrait se contenter de nous mettre la tête sous l'eau en nous montrant une humanité irrémédiablement coupée en deux, brouille lui même les pistes en focalisant son intrigue moins sur les meurtres en série que sur la sexualité ambivalente de Billie.
Voilà une question bien plus intéressante finalement que de savoir qui a tué qui. Pourquoi ? Parce qu'elles nous posent question en tant qu'individu sur notre identité, plutôt que de nous définir par la moralité de nos actes. Depuis le début de l'intrigue on connait le nom des coupable mais on ne sait pas si Billie est une fille habillée en garçon ou un garçon habillé en fille? Question d'autant plus vertigineuse que même si le film nous donne un début de réponse, personne ne sait finalement si l'acteur est une actrice ou réciproquement.
La raison pour laquelle Dumont aime tant l'humanité, c'est qu'il a l'intelligence de ne pas l'aimer dans son ensemble mais qu'il cherche à aimer chacun de nous.
Il fait gesticuler ses acteurs jusqu'à ce qu'ils se dévoilent. Il les pousse à l'extrême du jeu d'acteur pour qu'ils se dévoilent, pour que la carapace de comédien aguerri se perce et laisse entrevoir leur authenticité. Juliette Binoche voulait jouer pour Dumont dans un rôle qui la transforme, il va la transformer jusqu'à l'absurde. De même il pousse Lucchini, cabotin devant l'éternel, à jouer un personnage grotesque qu'il n'arrive pas à soutenir sur la longueur, le vrai Lucchini transparait dans quelques scènes. Il nous prouve qu'on ne peut pas jouer sans être finalement soi-même. Quant à Valeria Bruni-Tedeschi, il ridiculise son jeu qui sous-entend une forme de rédemption en la faisant explicitement décoller au-dessus de la falaise, surchargeant son jeu d'effets spéciaux au moment où son jeu d'acteur aurait du suffire. Dumont croit à une humanité brute au même niveau et non à une humanité mise en boite par les règles sociales. La civilisation depuis l'Egypte ancienne jusqu'à l'industrie de Tourcoing l'insupporte et l'amuse. Il aime en particulier ridiculiser le ciment de toute civilisation : sa police.
Il faut tout de même reconnaitre à Lucchini une pertinence rare. On peut être le dindon de la farce de Dumont sans être pour autant dupe. Si on étudie bien ce film on se rend compte que tout s'articule autour d'un seul vrai moment de vérité non caricatural. Celui du baiser entre Billie et Ma Loute, baiser mystérieux et sincère bien qu'androgyne et qu'il sera incapable de réitérer avec Nadège. La langue française nous permet de baiser sans embrasser et d'embrasser sans baiser. Le baiser, le vrai, le baiser sur la bouche a une valeur qui plane au-dessus du sexe et de ses genres pour nous laisser dans la simple envie de séduire et d'être séduit. Ce moment pur, seul véritable moment où le réalisateur farceur se dévoile dans sa candeur. Fabrice Lucchini se le réapproprie en embrassant sans détour ses deux partenaires féminines sur les marches de Cannes dans la vraie vie, montrant finalement au réalisateur malgré les facéties qu'il lui impose, que c'est lui qui dirige sa vie. Il arrive finalement à rompre le maléfice par cet acte spontané qui nous emprisonne et qui raisonne par ces quelques mots d'anglais "We know what to do, but we do not do". Bref l'humanité ne sera jamais aussi unie que le jour où chacun fera ce qu'il veut, voilà pourquoi Dumont n'a jamais voulu lui accorder un grand H.
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