Nocturnal Animals
Après un premier galop d'essai avec A Single Man, Nocturnal Animals est le deuxième film réalisé par Tom Ford. Ni l'un ni l'autre ne tiennent vraiment leur promesses. Ce qui est néanmoins intéressant dans ce film c'est qu'il nous donne la clef pour laquelle Tom Ford qui semble aussi vouloir se faire un nom dans le cinéma ne parvient pas à nous émouvoir.
Le film est globalement décevant parce qu'il privilégie la forme au fond. Ce film ressemble à une mauvaise création qui empile trois mauvaises histoires au lieu d'en dérouler une bonne. Bien sûr la complexité narrative du présent, du flash back et de la fiction du roman qui parvient par courrier à notre héroïne démontre une certaine maitrise de l'art cinématographique, salué par les professionnels du milieu du cinéma. Mais cela ne parvient pas à nous toucher tellement les situations sont convenues et caricaturales. La riche femme trompée par son businessman de mari, le viol d'une mère et de sa gamine par 3 rednecks allumés au beau milieu du désert texan, une jeune fille arriviste qui ne supporte pas que son mari écrivain en herbe ne réussisse pas plus vite. Bref, on l'a déjà dit, on ne fait pas un grand film en empilant trois histoires de téléfilms de fin d'après-midi. Ce film qui semble plaire par sa forme, est finalement totalement creux.
Le film dans sa maladresse dévoile en fait un démon avec lequel Tom Ford se débat et qu'il doit vaincre si il veut un jour devenir un artiste et non un professionel du cinéma. Car ce que le couturier réalisateur nous dévoile au travers de ce film c'est sa peur du ridicule qui le hante et qui l'empêche de passer de l'esthétique à l'émotion. Ce film est en fait un film sur le ridicule et l'inspiration.
Le film commence comme un bon film. Il met en scène de manière grotesque des femmes obèses qui se trémoussent nues coiffées d'un chapeau de majorette en agitant des drapeaux américains. Si le sujet du film est celui du ridicule on peut dire que d'entrée Tom démarre fort avec cette chorégraphie de "femmes quintal" agitant de manière iconoclaste leurs plis graisseux. Malheureusement cet attrait pour le ridicule et le mauvais goût qu'il dégage, Tom Ford ne l'assume pas et c'est là tout le problème.
Au lieu de nous plonger dans cet univers rocambolesque de stripteaseuses hippopotamesques la caméra de Tom Ford en se décollant du sujet nous montre qu'il ne filmait qu'un film qui lui-même est exposé comme œuvre d'art dans une galerie. Bref cette transgression géniale n'est pas la sienne c'est celle d'un artiste contemporain qui lui, peut tout se permettre.
L'héroïne du film c'est Tom Ford lui-même. Cette femme qui vit dans cette grande maison minimaliste en béton, qui lit un manuscrit en reprenant son souffle tellement l'histoire est géniale. On imagine facilement Tom Ford faire la même chose en lisant le script assez navrant de Nocturnal Animals. Le métier d'artiste est un métier à risque ou la peur du ridicule peut tuer tous les coups de génie. Or le métier de la mode doit absolument se tenir à l'écart du mauvais goût sous peine de ringardisation.
Regardons d'un peu plus près le scénario du film à la lueur de cette angoisse du ridicule qui taraude notre tout nouveau créateur-réalisateur.
Le roman remis à l'héroÏne nous dépeint une famille ni riche ni pauvre, la chemise de bûcheron que porte le père de famille nous montre une certaine indifférence pour ce qui est cool et classe. Sauf que Tom Ford n'a pas pu s'empêcher de les faire rouler dans une très jolie Mercedes break noire vintage parfaitement improbable. Nous sommes donc en pleine allégorie. Cette voiture c'est la classe qui roule tout droit sur la route du bon goût. Manifestement le métier de la mode semble ennuyer un peu notre réalisateur, la preuve il se met à faire des films qu'il doit sans doute juger plus cool que de faire une robe. Au volant de cette voiture le père représente son inspiration. La bande d'assaillants représente tout le mauvais goût de l'Amérique et compte à son bord la figure du ridicule qui vous menace si vous tentez de vous écarter des sentiers battus, dans notre cas de la route goudronnée.
Ce qui me conforte dans l'idée que ce mauvais thriller au beau milieu du désert est avant tout une représentation du ridicule face à l'inspiration, vient d'une autre scène improbable. Celle de l'arrestation du principal méchant entrain de déféquer sur un WC volontairement installé à l'extérieur de son bungalow. Si on cherche un archétype du ridicule je pense que celui-ci doit être en bonne place. Le voilà donc le démon de Tom Ford entrain de se torcher le cul devant tout le monde avec la honte qui va avec bien sûr. Ce ridicule honteux qui ne faire rire personne et vous humilie au yeux de tous. Le face à face est maintenant on ne peut plus clair entre l'incarnation de l'inspiration et du ridicule. Le ridicule peut tuer l'inspiration mais curieusement elle ne le fait pas lors du viol. L'année d'après l'inspiration peut tuer le ridicule mais de ce fait se tuera elle-même en s'empêchant d'accéder au génie. C'est effectivement ce qui se passe sous nos yeux : la mise à mort du ridicule par l'inspiration conduit dans les minutes qui suivent à la mort de l'inspiration
Tom Ford nous dévoile à son insu par cette allégorie qu'il ne s'est toujours pas affranchi des codes pour créer une œuvre personnelle. Il est comme son héroïne qui ne croit pas en elle et qui se réfugie dans un confort bourgeois stérile plutôt que de suivre son inspiration.
Cette femme qui se regarde dans la glace avec sa robe de soirée verte et qui supprime son rouge à lèvre en pensant faire plus classe alors qu'on pensait qu'elle allait se changer de robe c'est Tom. Tom qui a rendez-vous avec lui-même. Ou plus précisément qui a donné rendez-vous à son inspiration. Mais elle/il sait qu'elle ne viendra pas puisqu'il n'arrive toujours pas à vivre une sortie de route comme autre chose que l'agression intolérable du ridicule sur son intégrité. Tom Ford ne sera jamais un grand réalisateur tant qu'il ne laissera pas de coté les réactions défensives et réactionnaires liées à l'univers de la mode qui ne peuvent pour des raisons commerciales n'être que très légèrement transgressives. Le style de Tom Ford ressemble encore beaucoup trop au style de sa mère : la mode. Bien sûr rien n'est plus intolérable à l'instar de son héroïne que cette comparaison avec notre propre mère qui ramène nos tentatives d'émancipation à des proportions bien moindres que celles qu'on imaginait .
Pour vaincre le ridicule sans le tuer, il faut savoir nous faire rire. Tom Ford aura réellement vaincu ses démons le jour où il nous fera rire grâce à ses acteurs au lieu de les engoncer dans ses propres problèmes et des scénarios à tiroir qui ne mènent nul part.
Mais enfin Monsieur Ford pourquoi ne pas avoir construit un vrai thriller dans le milieu de l'art contemporain que vous semblez bien connaitre et qui nous amuse. On ne peut pas être artiste et pudique. Pourquoi empiler toute ses jolies boites vides pour finalement ne rien nous offrir.
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