La Promesse de l'aube
Difficile de vous dire que l'adaptation au cinéma du roman de Romain Gary est une réussite sans avoir lu le livre. Mais il est indéniable que la matière offerte par la vie et l'œuvre de Romain Gary et de sa mère ont permis au réalisateur Eric Barbier de créer un film remarquable. La mise en scène classique va dans le sens d'une immersion réussie dans cette relation hors du commun entre une mère et un fils qui a forgé le destin hors norme de Romain Gary.
On aurait tendance à aller voir ce film parce qu'on aime bien l'idée de voir Romain Gary campé par Pierre Niney on en ressort avec la conviction qu'il ne fallait surtout par rater la fantastique incarnation de Nina la mère de Gary par Charlotte Gainsbourg. Pas un instant, malgré l'étirement du temps qu'implique un biopic, on ne doute que Charlotte est cette mère juive ambitieuse qui fantasme la vie de son fils au point d'y parvenir. Ce film est une grande réussite même si le raccrochage de Pierre Niney lorsque Gary vieilli fait l'effet d'un wagon qu'on rajoute en gare de triage avant de repartir de plus bel dernière la locomotive Gainsbourg.
Venons en au fond. Résumer La Promesse de l'aube à une relation possessive entre une mère et son fils, est trop simpliste et ne rend pas service à l'œuvre de Nina. Si le roman La Promesse de l'aube est l'œuvre devenue culte de Romain Gary, on peut considérer que Romain Gary est l'œuvre de sa mère. Nina possède Gary comme un artiste possède une œuvre. Or tout artiste est conscient que travail ne lui appartient plus dès qu'il devient de l'art. Nina n'est donc pas une mère possessive mais une mère ambitieuse. Non pas pour elle mais pour son fils. On dirait aujourd'hui qu'elle veut réussir son fils. Le film donne totalement le premier rôle à la mère et le second rôle au fils qui est d'ailleurs incarné par trois acteurs au fil du temps. Nina, elle, est là du début à la fin sous les traits de Charlotte Gainsbourg qui a aucun moment ne laisse transparaître les effets de grimages qui pourrait alourdir voire ridiculiser son jeu. Comme si le fantôme de Nina s'était glissé dans le corps de l'actrice pour redire une fois de plus sa vérité, cette fois ci à l'écran.
Nina est une mère qui se hausse sur les épaules des autres mères. La Promesse de l'aube est d'abord un film sur l'amour non pas celui des amants, l'autre, celui d'une mère pour son fils. C'est amour beau car il est désintéressé, une mère aime ses enfants sans rien attendre en retour. Amour admirable, mais finalement suranné et dont Nina ne veut plus. La nature nous a légué ce bel amour qui fait que toute mère prend soin de ses petits. Mais Nina veut briser ce contrat biologique entre une mère et ses enfants, pour en construire un plus ambitieux à l'image de l'homme de demain.
L'homme en tant que tel n'existe pas, la preuve ça peut être une femme, c'est une idée, un concept, non plutôt une ambition et ça Nina le sait. Elle va donc tenter l'impensable, redéfinir à elle seule le rôle de la mère de demain pour créer grâce à son fils un nouvel homme sans père. Gary est un fils expérimental, un fils qui n'est pas né comme nous avec la promesse inconditionnelle d'être aimé par sa mère. Dès son plus jeune âge Gary et Nina construisent un contrat qui exclut de facto le père et où l'amour sans limite que lui donne sa mère doit être à la hauteur des espoirs qu'elle met en lui. Une mère qui ne veut pas être déçue voire trahie au regard de l'énergie et de l'espoir qu'elle met à éduquer son enfant. La beauté universelle de cet histoire tient dans cet échange. Là où Nina comme toute bonne mère aime son fils sans limite, exige pour la première fois en retour d'être payée avec un amour aussi pur. Elle ne souhaite donc pas être aimée de son fils en retour, elle ne la jamais souhaité et c'est la toute la noblesse de cette histoire qui la différencie d'une triviale histoire de mère possessive.
Nina demande en échange de son amour maternel que la vie de son fils produise un amour de la même trempe. Elle ne lui souhaite pas de vivre heureux avec une femme et des enfants. Elle veut faire de lui un homme universel, capable comme elle de voir plus haut et de servir le devenir de l'humanité.
Quand un général envoie au combat un soldat c'est pour sa propre gloire, quand une mère envoie son propre fils se battre, c'est une autre affaire, la noblesse de la cause doit être absolue, puisque l'enjeu est total. On reste abasourdi quand Nina reproche au petit Gary ne pas s'être battu à mort pour venger son honneur. Nina est une mère qui ringardise l'éternel duo du père et de la mère, du good cop bad cop, du risque et du confort,...
Nina c'est une mère qui décide ne plus aimer son enfant quoi qu'il fasse, s'est une mère d'un courage immense qui s'arrache de sa condition biologique et culturelle pour créer un nouvel homme à la hauteur de l'amour maternel dont il a finalement toujours bénéficié sans engagement.
Nina mise gros, parfois trop, quand elle envisage avant de se raviser d'envoyer son fils tuer Hitler. Mais elle se sentira trahie si son amour n'est pas transformé par son fils en quelque chose d'aussi noble. Nina est une idéaliste, mais elle sait aussi qu'on ne peut pas vivre que d'altruisme, pour fonder l'homme de demain il faudra lui aussi qu'il aime quelqu'un.
Nina a cassé une fois pour toute le duo père mère. Pour Gary aimer ses enfants comme un père n'est plus une option Le fils de Nina est un nouvel homme qui va devoir s'aimer pour lui même pour ce qu'il a fait et ce qu'il a accompli. C'est la fin de la fuite en avant où les fils sont poussés par leur père à faire toujours mieux avec des mères qui ramassent les pots cassés créés par cette spirale infernale. Nina demande à son enfant de faire le bien et même le beau et de s'en satisfaire puisque que la barre a été mise assez haut. Il faudrait que chaque homme inventé par Nina puisse imaginer la vie qui va lui permettre de s'aimer, de sentir la joie d'embrasser son destin et de mourir en paix se disant qu'il a accompli ce que sa mère attendait de lui.
Cette joie d'écrire une œuvre universelle est indispensable pour que le pari de Nina soit rempli. Il est donc indispensable qu'à l'instar de Victor Hugo son fils Gary soit célèbre de son vivant.
Bien sûr il aurait fallu aussi que Nina survive à la guerre pour que la joie de Gary soit totale. Tout ça Nina le sait, elle le sait tellement qu'elle va devoir survivre de manière épistolaire pour remplir provisoirement sa part du contrat. Si Nina triche c'est pour notre bien pour que nos sociétés patriarcales cessent de nous faire croire que nos mères vont continuer de nous aimer pour rien. Il faudra bien un jour être à la hauteur de leur amour. Nous avons tous en nous une promesse que nous aurions pu faire à Nina pour Participer à l'aube d'un nouveau monde.
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