Gravity
La gravité voilà un terme étrange qui nous renvoie à la fois
au sérieux et à la pesanteur. Ce
film va bien sûr nous montrer de manière magistrale l’apesanteur c’est à dire l’absence
physique de gravité avec tout ce qu’elle a d’extraordinaire. Mais va t-il
éviter de nous faire sombrer dans la pesanteur intellectuelle que l’on appelle :
sérieux ?
Vaincre la pesanteur du sérieux
Gravity n’est pas un film de science-fiction, on est tous
d’accord sur ce point. D’abord le film nous montre l’espace tel qu’il est
aujourd’hui colonisé tant bien que mal par quelques têtes brûlées. Il n’y a pas
d’anticipation dans le scénario. Si ce n’est peut-être cette femme qui aurait
dû être un homme. Sandra Bullock est une femme cosmonaute cela est finalement
totalement improbable. Aussi improbable que de l’avoir dans le casting d’une
super production où les enjeux économiques se rapprochent de plus en de celui
de la conquête spatiale. Heureusement un film est l’œuvre d’un homme : son
réalisateur, alors qu’un programme spatial est l’œuvre d’une équipe dont l’approche
consensuelle nous plombe toujours vers le sérieux. Pourquoi une équipe de la
NASA investirait elle son temps et son argent dans une femme moins forte qu’un
homme et qui plus est aux tendances suicidaires (perdre sa fille unique quand
on est une mère n’est pas un truc facile à oublier). Mais voila le réalisateur
voulait une femme dans ce rôle, une femme qui devait être à l’origine Angelina
Joli et qui pour des raisons pratiques s‘est concrétisée sur la personne de
Sandra Bullock, et ça c’est bien parce que pas très sérieux.
Dans la peau d’un femme
Si le film n’est pas un film de SF alors c’est quoi ? Et
bien c’est comme on dit à Hollywood un film survival.
Ce qui est beau dans ce film et qui nous arrive
rarement à cause du machisme des
producteurs d’Hollywood, c ‘est que nous sommes tous pendant toute la durée du
film Sandra Bullock. Ce pauvre Georges Clooney n’a qu’un rôle bien secondaire. L’homme
dans ce film retrouve son vrai rôle, celui d’un être qui cherche avant tout à
défier la technologie et à dépasser ses propres limites. Dans le cas de notre
héros la volonté futile de battre la durée la plus longue de sortie dans
l’espace. Tout est défi, jeu et record pour l’homme, nous dit ce film sur le
mode de la dérision. Ces thèmes qui sont le plus souvent centraux dans les films
hollywoodiens (la gagne, l’honneur, la gloire,…) deviennent secondaires dans
Gravity. Gravity est un film féminin. La féminité ne cherche pas à gagner avec
honneur mais à protéger la vie à
tout prix. Pour notre héroïne après une petite demi-heure, la question de son
existence se résume assez vite à sa survie. L’homme dans ce film se doit de
mourir héroïquement alors que la femme doit survivre.
Adam et Eve cosmonautes
Le choix du genre (homme/femme) est une idée qui nous met
toujours face au choix entre vivre ou mourir. Le choix entre protéger la vie
par compassion quand on est une femme ou celui de mourir pour des idées quand
on se la joue viril. L’homme ne peut vivre sans idée et les idées ne sont pas
capable de vivre (il semblerait) sans les hommes. Gravity met en scène un monde
ultra minimal fait d’un homme et d’une femme livrés à eux-mêmes. Il s’agit bien
d’Adam et Eve suspendus entre le Paradis et notre planète et qui doivent se
déterminer face à leur avenir et celui de la planète qui tourne sous leurs pieds.
Gravity met habilement
en scène le genre humain sans pour autant tirer avec lui la sexualité qui
l’accompagne. Il est un homme, elle est une femme, mais la froideur de l’espace
et l’épaisseur de leur combinaison spatiale leur enlève toute possibilité de
s’accoupler ou même simplement de se toucher. Ils doivent donc interagir en
l’absence de terrain commun (la navette spatiale détruite) ou la terre d’où ils
viennent trop loin. Ils interagissent dans ces circonstances très inhabituelles
comme homme et femme et non plus comme mâle et femelle. Il a donc fallu toute
cette malchance et tout cet éloignement pour dissocier ce qui depuis des millénaires
a été totalement imbriqué à savoir le sexe et le genre. Qu’est qu’un homme si
ce n’est finalement un être qui par idéal se sacrifie pour un autre ? Qu’est
ce qu’une femme ci n’est finalement un être qui se préserve pour en protéger un
autre ?
2001 l’odyssée de l’espace
On est obligé de penser à 2001 l’odyssée de
l’espace quand on visionne Gravity. Dans les 2 films nous voilà dans
l’espace mais pas dans n’importe quel espace. Nous ne sommes pas à l’autre bout
de la galaxie (genre Star trek ou La guerre des étoiles). Nous sommes
juste là à quelques kilomètres de la terre. Suffisamment proches pour la voir
et suffisamment loin pour la regretter.
2001 est un film qui nous parle de l’intelligence sous
toutes formes naturelle ou artificielle (un ordinateur peut-il être aussi
intelligent qu’un homme ?). L’homme doit-il son intelligence à une
intelligence qui le dépasse ? Voilà les ficelles du film de Kubrick !
Gravity lui nous parle d’autre chose, il nous parle de la vie. Si Kubrick se
pose à juste titre la question de savoir pourquoi l’intelligence existe et quelles
sont ses origines. Gravity pose la question de la vie et donc sa question
corolaire «pourquoi a t-on envie de vivre ? » Voilà la grave question
de Gravity. Et pour cela rien de mieux que de mettre en scène une mère qui a
perdu toute raison de vivre (la perte de son enfant fiche quand même un sacré
coup de blues) au beau milieu d’un survival movie cosmique où il est finalement
assez facile de mourir. 2001 l’odyssée de
l’espace semble nous suggérer qu’un monolithe préexistant à l’intelligence
humaine a poussé le singe à devenir homme. Gravity semble au contraire nous
dire que l’intelligence humaine du singe qui devient homme par son simple désir de survivre. Mais me direz-vous tous
les animaux souhaitent aussi survivre et cela n’en fait pas pour autant des
hommes. Oui et c’est là sans doute que la notion de genre très bien mise en
scène dans le film prend toute son importance. Si le sexe est commun au hommes
et aux animaux le genre leur est indifférent car il est dans l’imagination de
l’homme. En créant le genre qui sublime et dépasse le sexe l’homme à créer une
forme d’élégance et d’harmonie que le sexe ignore. Si les animaux sexués
veulent survivre, l’homme et la femme, eux, veulent vivre, c’est à dire
survivre avec élégance. L’idée du genre que nous avons nous-mêmes forgé nous
oblige souvent à notre insu à vivre et à mourir avec élégance. Adam et Eve ne
sont donc pas un mâle et une femelle qui se désirent pour se reproduire, cela
les relégueraient inévitablement au rang de simple animal. Ils sont dans leur
séparation emblématique la naissance de l’élégance. La seule forme d’action qui
peut nous rapprocher de la beauté sans y prétendre. Georges Clooney a donc dans
ce film l’incontournable second rôle de celui qui a l’élégance de mourir
pendant que Sandra Bullock lui ravit le premier rôle en ayant elle l’élégance
de vivre. Sandra va vivre sur terre ; mais elle sait d’où elle vient. Elle
sait que sa vie de femme dépend du sacrifice de l’homme qui restera frigorifié
en orbite au dessus de sa tête pendant le reste de sa vie.
La peur du vide
On pourrait voir dans Gravity un film hyper réaliste. Les
rendus sont hyper fidèles rien de ce qui est montré dans l’espace n’est inventé.
Et on a recours à la 3D pour nous asséner que le monde que l’on nous montre ne
peut pas être plus réel que ça. Pourtant il y a un truc de taille qui cloche
dans cette super production hyper réaliste. C’est le son. Et oui l’espace c’est
le silence. La sobriété acoustique de l’espace est aux antipodes de la bande
son d’un film hollywoodien en général et de Gravity en particulier. Et vas y
que je te balance une bonne orchestration bien mélo et les bruitage dolby
stéréo de derrière les fagots dans ce qui devrait être un assourdissant silence
sidéral. On se trouve donc en droit de demander au réalisateur pourquoi ?
Pourquoi tout ce bruit dans un espace anaérobique qui ne peut point les porter.
La réponse de notre réalisateur est sans appel « parce que c’est mieux avec ». Et parce qu’on est au
cinéma et qu’au cinéma contrairement à l’espace il y a du son.
C’est vrai que l’on jouait déjà du piano dans les salles
d’un cinéma qui se disait muet. Le cinéma ne semble donc pas pouvoir se passer
de musique et cela au détriment du réalisme scientifique. On est donc prêt à
nous faire enfiler une ridicule paire de lunettes 3D au nom de la réalité, mais
on n’est pas prêt à couper la bande son pour nous plonger dans la vraie réalité
de l’espace. Curieux non ? Le cinéma a donc sa propre logique qui n’est
pas toujours prêt à se compromettre avec notre ennuyeuse réalité. La vrai réalité
ne serait-elle pas comme nous l’annonçait déjà Jean Baudrillard un désert
insupportable à l’homme.
Cette femme qui à court de solution réinvente son coéquipier
dans ses pensées le temps de trouver une manière de faire atterrir sa capsule,
n’est-elle pas entrain de rêver finalement toute sa survie. Cette femme qui surnage
à la fin du film est-elle bien vivante ou l’ultime rêve de survie d’une mère
qui va périr dans l’espace froid de la réalité. Si tout cela voulait être vrai
pourquoi cette musique, ces bruitages. Un monde réel est un monde sans musique.
C’est donc bien la bande son du film qui raccroche notre héroïne à l’idée qu’elle
a de la terre et de la réalité et non plus la gravité. Génial. La musique
serait-elle plus universelle et plus élégante que la gravité ? Voilà la
question qui surgit de ce film question qui vaudrait d’être posée à Newton.
Ainsi pour qu’une pomme tombe sur terre il faudrait d’abord
que Adam et Eve soient prêts à la lâcher. L’imagination de l’homme aura t-elle
un jour raison de la lancinante nécessité de la réalité ?
Un ticket pour l’espace.
Avant de finir cet article je voudrais vous parler de son
décor. Voilà un réalisateur qui sait se dresser sur les épaules d’un géant pour
se grandir. On nous bassine depuis Kennedy de conquête spatiale. Et finalement
qu’en a t-on à retirer de tous ces voyages sur la lune pour quoi faire ?
Quel a été l’impact de toute cette conquête pour nous ? Soit on profite à
fond des satellites géostationnaires pour trouver son chemin à Trifouillis les
oies, mais un bon lanceur fait l’affaire. A quoi bon tout ces programmes Appolo,
à quoi bon la navette spatiale ? Et bien aujourd’hui grâce à Gravité on
peut se dire que ce film ne pourrait pas exister sans la navette spatiale sans les stations
orbitales internationales. Ce film s’arroge le droit de ne pas être un film de
science-fiction et cela pour un prix exorbitant. Gravity est donc le film le
plus cher de tous les temps puisqu’il utilise des images et des décors qui ont
coûté un bras à l’humanité. C’est tout bonnement génial de se dire, assis sur
son fauteuil en regardant ce film, que l’on récupère au moins pour une fois le
bénéfice de toutes cette conquête à la rentabilité incongrue et tout ça pour le
prix d’un billet de cinéma.
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