Mon garçon

Mon garçon est un film contemporain. Au même titre que les autres arts, le 7ème, veut sortir du cadre étroit qu'il s'impose pour s'émanciper comme une forme d'expression plus libre et novatrice. Si l'art est vraiment devenu contemporain c'est en transgressant au delà de la forme ses fondements. Quand Marcel Duchamp expose un urinoir du commerce comme œuvre en nommant cette oeuvre Fontaine, ou quand Magritte nous expose une pipe avec la mention "Ceci n'est pas une pipe", tous deux s'attaquent à la représentation que l'on a du monde en général et de l'art en particulier. Il en va de même avec Mon garçon qui est contemporain parce qu'il n'est pas un film comme un autre.

Le film en soi n'est autre qu'un "revanche movie" à la Taken1/2/3, avec un père prêt à tout pour retrouver son garçon enlevé lors d'une classe verte. Le genre est vu et revu, mais là où tout bascule c'est dans la manière de filmer le sujet. Le cinéma a une relation particulière avec le temps. Ce temps que l'on nomme temps réel et qui avance d'une seconde toute les secondes. Il faut des heures des semaines, des mois pour tourner ce qui ne sera finalement que quelques minutes à l'écran. Dans le cas de Mon garçon tout démarre avec cette idée que Guillaume Canet ayant beaucoup à faire en ce moment n'avait pas le temps de tourner un film de plus. Et puis il y a cette idée finalement simple de se dire que le temps du cinéma et le notre pourraient se confondre avec le temps d'un tournage. Le film se passe sur 3 jours, alors pourquoi ne pas le tourner en 3 vrais jours de la vraie vie ?

Le monde se coupe en deux.  Une équipe de tournage qui vit au rythme du temps cinéma, avec ses répétitions, ses repérages, ses pauses, ses repas... et puis et il y a le monde de Guillaume qui arrive par le train le jour J avec le temps qui passe et que nous portons tous en nous.

C'est le choc : celui d'un monde qui passe des heures dans les coulisses pour produire quelques minutes sublimes et de l'autre celui de notre vie qui s'écoule toujours à la même vitesse que l'on en fasse quelque chose ou rien.

Un lieu géographique unique sur les plateaux de la Chartreuse, mais deux idées du temps qui vont devoir cohabiter dans l'espace d'un film. Les "autres" acteurs peuvent répéter à loisir, lui non, et quand il arrive il n'y aura qu'une prise de vue : la bonne puisque c'est la vraie. Guillaume porte la vie en live pendant que les autres connaissent le script de ce qui devrait lui arriver sans pouvoir lui dire. Pas d'oreillette, pas d'indications sur la trame. Guillaume découvre avec nous devant la caméra ce qui lui arrive. On vit une sorte de distorsion du temps en direct avec des acteurs ultra stressés par l'arrivée de Guillaume et Guillaume qui doit jouer un rôle qu'il ne connait pas.

Tout est bouleversé dans l'art de faire un film. Par exemple Guillaume est sensé jouer un géologue qui travaille pour Véolia et qui a délaissé sa famille pour sa carrière qui implique de nombreux déplacements dans le monde. En bon élève, Guillaume Canet s'imprègne de son personnage regarde des documentaires sur les géologues comme le ferait tout bon professionel. D'autant plus que se sont les seuls éléments qu'on lui a communiqué pour se préparer. Mais dans le nouveau dispositif que nous propose le réalisateur, tout ce travail d'incarnation du personnage est balayé par l'urgence du réel. Les dialogues d'un film normal auraient sûrement fait allusion à leur passé, à leur amour, à son boulot... pour la bonne et simple raison que nous sommes là et que cette histoire on la raconte pour nous. Si on ne nous dit pas que Canet est géologue on ne le saura jamais.

Dans Mon garçon les choses dérapent immédiatement puisque les acteurs ne jouent pas pour nous mais pour Guillaume et que Guillaume joue plus pour lui que pour nous. Le film se remplit de non-dit (à l'opposé des films américains qui bavardent). Je sais que tu sais que je sais, mais on s'en fout là, maintenant, puisque ce qui nous occupe c'est de retrouver notre garçon et que tous les dialogues s'évaporent au profit de l'action comme il le ferait d'ailleurs dans la vraie vie.

La noblesse du héros, à la Liam Neeson dans Taken, qui peut tout se permettre pour retrouver son enfant, se transforme en scène où il faut bien faire quelque chose, même si ce n'est pas très cinématographique. Dégonfler les pneus de la voiture des ravisseurs n'est pas un acte hautement héroïque mais il ressemble étonnamment à ce que nous aurions fait nous-mêmes dans la même situation.

Pendant que l'équipe de tournage mange ensemble Guillaume est seul comme dans une autre dimension temporelle qui l'empêche de les côtoyer. La raison de cette cohabitation impossible réside au final dans l'idée insoutenable que les autres puisse connaître notre destin. Voilà pourquoi peut-être la communication entre les hommes et les dieux passe si mal.

Le tournage dura finalement 6 jours et non 3. Comme si le cinéma renâclait encore à se fondre avec la rapidité implacable de notre vie biologique pourtant pleine de temps mort.

Passées les premières minutes du film où l'on sent tout le mal être des deux acteurs qui se font face alors qu'ils ne jouent pas dans le même registre, ça pleurniche bêtement faute de repère, on se dit en tant que spectateur "que ça va pas le faire" et puis progressivement on se sent entrainé par la force d'un père qui décide ne plus attendre une éventuelle réplique/indice prévu dans un script qu'il est le seul à ne pas connaître pour prendre son destin en main. Les personnages secondaires s'effacent au profit de la seule émotion du personnage principal. On vit l'action dans sa tête et par son œil. On n'est plus vraiment dupe comme lui que les autres sont des acteurs, alors que lui est super acteur "live". Mais comme lui il faut quand même bien jouer notre rôle jusqu'au bout pour ne par perdre la face.
Du vrai cinéma contemporain avec peu de moyens et beaucoup d'idée, on en redemande.

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