Abbas by Abbas by Kamy
Notre ami Kamy a réalisé un reportage sur le photographe Abbas que nous n'avions toujours pas vu, encore reprogrammé récemment sur LCP, il était grand temps de se mettre à jour et de visionner sa réalisation en petit comité.
Kamy n'est pas dupe, il sait que si il réalise ce film il devra se plier aux exigences de Abbas, sa vision des choses, les nombreuse limites qu'il impose aussi bien dans le fond que dans la forme. Mais c'est cela ou rien et le jeu en vaut la chandelle. Car il existe peu de choses qui témoignent de l'homme qui se cache derrière l'objectif.On oublie tout de suite l'idée d'une biographie, bien trop intrusive pour livrer une monographie de photographe. Abbas n'aime pas le chaos. On va vite s'en rendre compte. Le film est structuré autour de 10 thèmes ayant chacun 10 photos. Ainsi dans le cadre limité de sa monographie, le photographe nous impose sa grille 10X10. Pas évident pour notre jeune réalisateur de faire jaillir les émotions et les anecdotes dans un cadre aussi rigide.
Notre chance c'est que la monographie se veut exhaustive elle ne peut se concevoir qu'à la fin d'une carrière, ou d'une vie dans le cas Abbas. La mort d'Abbas qui plane dans tout le film va l'encourager à nous laisser entrevoir qui il est.
Il faut comprendre d'abord que pour un photo journaliste l'idée même de commenter ses photos est forcément dégradante. Si les photos parlent d'elles mêmes comme il nous le répète inlassablement, pourquoi parler à leur place. Abbas se voit en photographe magicien qui ne veut pas tuer la magie de l'image par la trivialité du discours. On comprend ainsi toute la difficulté de l'exercice de Kamy qui compte faire parler Abbas
Il y a chez Abbas un mélange d'espièglerie et de rigueur qui rend l'homme difficile à appréhender. C'est là que tout le talent et la douceur de Kamy arrive à faire apparaître l'homme qui se cache derrière la caméra.
Abbas est un homme qui a le courage de regarder l'humanité en face mais pas lui.
Notre civilisation est une civilisation de croyance. On croit en Dieu, aux dieux, à la révolution, même la démocratie offre ses propre rites, un selfie avec Hollande ou un un verre de vin avec Chirac, ne vaut-il pas tout l'or du monde ?
Difficile pour Kamy d'interviewer une personne qui semble vouloir décider aussi bien des questions que des réponses. Quand Kamy lui parle de sa relation avec ses enfants, il le renvoie dans ses buts, sous l'étrange prétexte que ses enfants peuvent en parler mais pas lui.
A courir après ses fameux moments suspendus, Abbas a laissé filé sa vie de famille loin de lui, il s'en rend compte et échange maladroitement au seuil de sa mort quelques images dans le reportage à ses jumeaux et sa compagne en échange du temps qu'il n'a pas passé avec eux ou qu'il ne passera plus. Etrange contorsion de cet infatigable chasseur d'instant qui glisse à la fin de sa vie des images de sa famille hors cadre et hors sujet dans sa monographie.
Les exigences d'Abbas auquel bien sûr Kamy se plie nous révèle finalement autant le personnage que si le réalisateur avait eu de sa part carte blanche. Quand Kamy veut refaire une prise, il se rebiffe : "On n'est pas au cinéma", toujours cette obsession de l'instant qui n'existe qu'une fois, alors qu'il suffisait de retourner.
Il n'y a pas d'éternel retour ou de recommencement pour Abbas, donc pour lui Dieu n'est pas mort. Une sorte de Dieu par défaut (qu'il défini lui-même comme une relation cordiale), un Dieu dans lequel il ne croit pas forcément, mais qui existe par la force des choses.
On est au début un peu déçu par le film parce qu'on aurait aimer en savoir plus. Mais on se rend compte que finalement l'équipe de tournage a su tirer le maximum d'un personnage fragile et capricieux, acculé dans ses retranchements par sa mort très proche.
La voix off de Kamy fait merveille, le ton du reportage n'est pas larmoyant, alors que tout était là pour. Bravo. Ses investigations sont souvent rabrouées mais comme nous l'annonce fort bien le titre du documentaire c'est Abbas qui se met en scène. Et grâce à Kamy on s'en rend compte ce qui désamorce toute forme de propagande et ce qui d'une certaine manière sauve le film de auto proclamation. Et puis il y a la photographie de Laurent Chalet qui fait elle aussi des merveilles. Sans rien dire il semble en permanence contredire Abbas dans sa croyance de l'instantané : "du moment suspendu" comme il dit. L'image est calme et fluide, les cadrages jamais univoque, la lumière est douce et accueillante. Les teintes sont sobres pour mieux dialoguer avec l'univers noir et blanc du photographe. La réalisation donne cette belle impression d'une photo en mouvement. Comme un instant qui aurait eu envie de durer.
A l'instar de cette photo Abbas n'est-il pas allé cadrer de l'autre coté du mur ce qu'il avait déjà chez lui ?
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