Le plein de super


L’histoire de l’homme s’est écrite avec des mots, mais continuera à s’écrire avec des images. Le cinéma s’empare de tous nos mythes pour en faire de l’audience et perpétuer ainsi l’imaginaire de l’homme. Le progrès fulgurant des effets spéciaux par la numérisation de l’image permet aujourd‘hui de conter en image les histoires les plus audacieuses, en nous rendant visible aussi bien des reconstitutions historiques, que surréalistes qui ressemblent à l’écran, à s’y m’éprendre à la réalité. Le monde allégorique des dieux et des héros peut prendre forme à grand renfort de calcul pour que chaque pixel illumine notre imaginaire collectif. Le cinéma a donc largement usé et abusé de la mythologie grecque pour nous divertir et magnifier les actes héroïques de nos imaginaires aïeux.

Le sujet qui m’intéresse aujourd‘hui est de comprendre une toute nouvelle mythologie produite elle par une culture américaine douce (soft power) mais néanmoins dominante : celle des super héros.

Que révèle donc cet engouement cinématographique pour les super héros qui parviennent à réunir autour de leur histoire des sommes pharaoniques ( 250 millions d’euros pour le dernier superman) pour la production et la diffusion dans tous les cinémas du monde et si possible en 3D, super pouvoirs obligent.

Pourquoi Batman et Iron Man arrivent-il à se hisser dans les  meilleures ventes de film de tous les temps ? Pourquoi cette culture marginale de bande dessinée pour ado boutonneux, appelée aux Etats-Unis « Comics » a t-elle pu devenir une référence dans l’imaginaire mondial de l’humanité ? Il ne se passe plus une année sans que l’on nous matraque avec un Batman 4 ou un Iron Man 3, quand il ne s’agit  pas d’une version « origin »  ou « reboot. »

Plus que la littérature, les grands films de notre époque seront notre lègue aux générations futures. Les aventures cinématographiques de nos super héros en feront parti. Essayons donc de comprendre ce que nous léguons à nos enfants.


La double vie

Contrairement aux héros, le super héros, à l ‘instar du héros masqué, son ancêtre se doit d’avoir une double vie. On n’est pas super héros à plein temps  même si le super héros est d’astreinte 7/7, 24h sur 24. Il faut donc bien réfléchir. Avant même de se choisir un super costume et un super nom, être super héros c’est une vocation qui ne va pas sans certaines contraintes. Et oui car la justice, c’est comme le soufflé au fromage, ça n’attend pas. Les Zorro et autres vengeurs masqués ont donc montré la voie à nos super héros actuels avec leurs loups et leurs capes et surtout leur double vie.
Le tout premier phantasme du super héros, c’est donc bien d’être un autre pour dire et faire ce que l’on pense être bien. Le super héros tire ainsi ses toutes premières forces de l’anonymat. Il ne se cache pas géographiquement, il cache son identité, et pour cela rien de mieux que d’avoir deux vies, l’une masquant l’autre. Le super héros est d’abord et avant tout un pseudonyme à cape et en collant. Le mode de vie du super héros se rapproche de celui de l’espion et de sa couverture. Mais mis à part son mode de vie, le super héros n’a rien d’un espion. La grande différence entre 007 et Superman c’est que l’un travail toujours pour quelqu’un dans un service, perdu dans un organigramme d’espion et de contre espions nébuleux, alors que l’autre travail pour lui. On peut même dire que c’est son hobby puisque le super héros ne tire aucun profit personnel de ses actions héroïque. Le super héros est libre, l’espion bosse. Bien sûr être libre a un prix, c’est pour cela que le super héros à besoin d’un boulot qui lui ménage du temps libre, genre journaliste pigiste ou milliardaire.

Ecrire sous un faux nom comme l’ont fait tant d’écrivains, c’est déjà rentrer dans l’univers fantastique du super héros. Un homme sans temps libre ou sans horaires flexibles ne pourra jamais être un super héros.

Ordinaire ou super ?

Les héros finissent toujours par mourir, la mort fait donc partie de l’ordinaire des héros ordinaire. Le super héro est aux antipodes du héros traditionnel dans la mesure où l’héroïsme de son action n’est pas directement proportionnelle à sa proximité de la mort. Le super héros n’est ni suicidaire, ni assassin. On ne peut pas en dire autant de nos héros.

Plus son action est spectaculaire plus sa gloire sera grande, le super héros n’a pas besoin de défier la mort, ce qu’il lui faut c’est un vilain avec des super vilains projets.
Le héros est cornélien et se nourrit de tragédie. Il désire la gloire ou la mort, alors que le super héros masqué et indestructible n’aura ni l’un ni l’autre. D’ailleurs il s’en moque puisque son boulot à lui, contrairement aux héros, c’est de sauver le monde. Ainsi on est en général héros une fois dans sa vie, alors qu’on est super héros pour la vie.
Le super héros n’est donc pas un héros surpuissant. Ses motivations sont très différentes de celle d’un héros ordinaire.

Super Village

Pas de super héros sans super village. Si chaque village ne manque pas d‘ériger un monument aux morts pour ses héros locaux, le super héros lui ne peut agir que dans un super village que nous appelons plus communément la très grande ville. La force des grandes villes c’est d’offrir au citoyen l’anonymat, terrain indispensable, on l’a vu plus haut, à l’éclosion d’un super héros, mais elle offre aussi la communication entre tous les super villages forcément globalisés. Ainsi lorsqu’un super héros sauve une cité, il les sauvent toutes, de même que lorsqu’un super vilain fait du mal à l’une, il les contamine toutes. Que le super héros nous fasse des décollages verticaux vrillés à New York, Bombay ou Gautam City cela, n’a guère d’importance finalement puisqu’il opère au cœur du réseau qui est le propre du super village. Pas de Monument aux morts pour nos super héros, leur monument se sera leur popularité. Le super héros se fout des blocs en marbre. Ce qu’il veut c’est une cote d’amour en béton  auprès du public.

Contrairement aux héros qui sont forcément des produits nationaux, le super héros est mondial, voilà sans doute une des bonnes raisons pour laquelle il faut tant d’audience au cinéma. Leur cote au cinéma ne vient qu’officialiser la supra-citadinité de notre planète dont la population habite depuis peu en majorité dans les villes. Le super héros est un super urbain.

Super pouvoirs

Pas question d’être un super héros sans super pouvoirs. A tel point que l’identité du héros et de ses pouvoirs ne font qu’un et que son costume se doit de révéler les potentiels pouvoirs qu’il a en lui. On peut à ce titre noter que tous les héros ne possèdent pas nécessairement des dons (naturels ou accidentels), certains ont recours à la technologie pour surpasser les capacités humaines. Ainsi les Iron Man et Batman ont recours à la technologie de pointe pour devenir super, alors que Spiderman, Superman et la clique des X Men ont ça dans la peau. Ce qui est sûr c’est que ces pouvoirs quels qu’ils soient seront toujours partagés entre le bien et le mal, entre les super gentils et les super méchants.

Les aventures de nos super héros nous disent toujours la même chose : les super pouvoirs qu’ils soient technologiques ou fantastiques ne viennent avec aucune garantie morale. Les super pouvoirs son parfaitement amoraux. Plus on en a, plus on s’en sert en bien ou en mal. Avérant ainsi une loi fondamentale de l’humanité « tout ce qui est possible sera toujours fait ». Un super héros qui ne combattrait que des vilains ordinaires nous emmènerait dans des aventures fastidieuses. En revanche si il se trouve à combattre ses propres pouvoirs, il va devoir se battre non plus pour faire respecter le bien mais définir le super bien. Armes de destruction massives, chimiques ou nucléaires, modification biologique, toute y passe, pour nous prouver que l’humanité est toujours en quête de super pouvoirs avant même de savoir ce qu’elle veut vraiment en faire. Le super héros laisse donc le soin à la police de faire régner l’ordre et de rattraper les vilains, son travail à lui c’est d’attraper les super vilains avant qu’il nous fasse super du mal. Mais le super mal, c’est quoi ? Le super mal c’est un crime qui nous concerne tous. Il se pourrait bien que se soit un crime non contre l’homme mais contre l’humanité. Le super héros en plus d’être super urbain est donc super humain.


Super léger

Il semblerait quand même que l’un des traits que partagent beaucoup de super héros est celui de voler. Qu’ils aient recours à certaines ficelles, à des engins supersoniques ou pour les plus chanceux à une simple poussée sur leurs pieds en serrant vraisemblablement les fesses, les super héros semblent tous vouloir défier la gravité qui nous cloue au sol, nous les simples mortels. Le super héros n’opère pas dans le monde réel, mais dans un monde qui lui est très proche celui du crédible, en particulier quand il a recours à des machines pour se booster. Contrairement au film catastrophe qui nous offre une fiction de ce qui pourrait nous arriver en laissant le héros ordinaire se battre avec les moyens du bord, le super héros bénéficie au même titre que les méchants des avancées technologiques qui nous conduisent à notre perte. Si d’un côté un terroriste menace de faire exposer une bombe atomique, de l’autre Iron Man pourra nous sauver grâce au réacteur nucléaire à embarquer dans son thorax. De manière similaire, les modifications biologiques que s’infligent les méchants pour être ultra méchants profitent aussi aux super héros comme Hulk ou Spiderman qui essayent tant bien que mal d’être super biologiquement gentils.

Super moulant

Pas question pour un super héros de ressembler à un autre. Le super héros se doit d’avoir un costume si possible près du corps pour s’identifier clairement. Son costume c’est sa signature. L’écran est une marque à lui tout seul. En plus de son nom il a donc ses codes couleurs et son logo. Le costume moulant est de rigueur et cela pour plusieurs raisons. D’abord pour des raisons pratiques il faut bien arriver à enfiler un costume par dessus son accoutrement de justicier, d’autre part le super héros, à l’instar des héros mythologiques est super musclé, il ne faudrait donc pas perdre une miette de sa musculature. Enfin le super héros est urbain, pas question de se trimbaler en slip comme pour un concours de bodybuilding. Dans Métropolis ou Gotham City, la combinaison moulante semble donc être de rigueur. Cette tenue si importante pour les fans, ne va pas sans poser quelques problèmes quand il s’agit quand même de la mettre au goût du jour avec des réalisateurs préférant, semble t-il, de plus en plus le look latex au look lycra.

Super perso

Le super héros n’est pas ce qu’on fait de mieux comme démocrate. En effet si le citoyen démocratique est prêt à abdiquer ses prérogatives législatives à la justice et son pouvoir exécutif à l’armée et à la police de son pays, le super héros semble mettre sa petite cape sur toutes ces jolies institutions pour faire sa petite tambouille juridico répressive de son coté. Le super héros a donc toujours des relations difficiles voire ambigües avec le législateur et la police au cœur des circonscriptions dans lesquelles il se pique de faire le bien. Le super héros joue donc sur la corde sensible de l’auto justicier qui sommeille en nous, endormi par les institutions démocratiques qui y suppléent. Le super héros est une sorte d’antidote imaginaire pour nous défouler de l’interdiction de se venger soi-même. Ce vengeur masqué qui surgit pour faire justice, là ou les institutions semblent dépasser, c’est nous. Incarnation d’autant plus facile qu’il est masqué et puissant. Le super justicier ne trouve jamais mieux sa justification que dans un système démocratique qui dysfonctionne. Nos super héros ne sont autres que des enfants de la corruption de l’Etat. Plus nous sentons nos institutions prêtent à se compromettre et de fait décevoir notre confiance, plus les super héros deviendront populaires à nos yeux. Après leur naissance pendant les années 30 au Etats-Unis cet engouement  semble se reproduire depuis plus d’une décennie mais cette fois-ci à un niveau mondial.

Super partout

Le super héros règne sur un monde clos dans lequel il est omniprésent. Tel une sentinelle il protège du crime le monde qu’il surveille. Il se déplace toujours assez vite pour être là quand il faut, et pour avoir une vision globale des crimes qu’il se doit d’enrayer dans son monde. Contrairement à nous, le super héros vit dans un monde qui ne le dépasse pas, ni par sa taille, ni par sa complexité. En fait le monde du super héros est toujours à la taille de ses pouvoirs. Ce monde qu’il peut gérer grâce à ses pouvoirs est en fait un cadeau empoisonné, car, pour celui qui peut tout, ne pas agir contre le mal en est déjà un. L’incapacité de faire le bien à l’échelle du monde qui est notre lot de tous les jours, n’est pas une option pour nos super justiciers qui n’ont que deux options devant eux : super héros ou super lâche.


Pour être un super héros il faut suivre les principes qui ont été énoncés en introduction, mais comme nous allons le voir chacun va accommoder à sa manière ces règles pour devenir à lui seul une légende urbaine en se démarquant du stéréotype du super héros et en gagnant ainsi une personnalité propre qui le différencie de ses collègues.
L’archétype du super c’est Superman on va donc commencer par lui.

Tout super héros mérite un passé, une genèse qui nous explique pourquoi il en est arrivé là. Qu’est-ce qui le pousse donc à être super énervé contre les super vilains ? D’où viennent ces super pouvoirs que nous leur envions ? C’est quoi sa double vie, qui la connaît à part nous ? Autant de questions qui nous brûlent les lèvres et dont on attend des réponses crédibles. Car les super héros finalement on ne demande qu’à y croire.

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