Batman de la cave au placard
Créé en 1939 quelques années après Superman (1932) par Detective Comics, Batman est un super
héros diamétralement opposé à son ainé.
Super traumatisé
Ainsi si le destin de Superman est de guider l’humanité vers
le bien, celui de Batman semble être plus prosaïquement celui de s’en sortir.
Car Bruce Wayne est avant tout un super traumatisé avant d’être un super héro.
La vocation d’autojustice est donc née chez le petit Wayne
dès son enfance suite à l’assassinat de ses deux parents à la sortie d’un cinéma.
Son père, richissime, à la tête d’une entreprise prospère le groupe Wayne,
laisse derrière lui un orphelin bien né, mais à l’avenir psychologique plus
qu’incertain.
Super citoyen
Le crime perpétré sous les yeux du jeune Bruce en plein
centre ville est tout un symbole. Il symbolise le basculement de Gotham City
dans le crime et la corruption. Gotham City est au même titre que New York une
utopie. Celle d’une cité verticale aux structures métalliques arrangée selon un
quadrillage prédéfini : les blocs. Tous les super héros ont leur cité et
Gotham City est l’archétype de ces cités qui se hérissent au début du 20ème
siècle sur la côte Est des Etats-Unis. C’est l’époque d’une urbanisation
planifiée et analysée au sein de ce qu’on appellera l’école de Chicago. La
première école de Chicago (avant les années 40) s'attache à étudier les
relations interethniques et la délinquance dans les grandes villes des
Etats-Unis. Le personnage de Batman est au cœur de cette problématique. Ces
nouvelles mégapoles apparaissent alors comme une sorte de laboratoire social
qui permet d'étudier les nombreuses transformations des milieux urbains.
Chicago accueille de nombreux immigrants de l'étranger ainsi que du sud des
États-Unis. Aucun doute que Gotham City soit le reflet imaginaire de ces cités
de la côte Est américaine en devenir.
Batman et sa cité sont donc deux concepts totalement
imbriqués. On pourrait même dire : Batman c’est Gotham City. L’histoire de
Batman c’est avant tout l’histoire du destin d’une métropole américaine. Une
cité où des bienfaiteurs plein aux as assurant une charité paternaliste voient
leur contrat social volé en éclat avec la monté d’une délinquance urbaine qui
les dépasse. Bruce Wayne se retrouve face à une Amérique déboussolée après la
crise de 29 et qui ne croit plus vraiment
que les notables d’une ville soient capables d’en assurer l’ordre et la
prospérité. Batman est orphelin, l’Amérique des années 30 aussi, ses pères
fondateurs ne la reconnaîtraient plus. Gotham City est ce qui reste du rêve citadin
des américains, un mélange bigarré de quartier juxtaposant les plus riches aux
plus pauvres, où la corruption est partout et en particulier dans la police de
la ville. Une ville sans contrat social où le plus riche des citoyens peut se
faire assassiner avec son épouse à la sortie d’un cinéma sous les yeux de son
fils unique.
L’anti superman
Avec Batman on est donc bien loin du berceau et de l’univers
du super beau gosse venu de Krypton faisant régner la loi dans une métropolis
aussi nickel que Gotham City peut être glauque. Mis à part la disparition de
leurs parents, nos deux super orphelins n’ont donc pas grand chose en commun.
Non seulement leurs jeunes histoires leurs ont façonné des personnalités très
différentes mais en plus le petit Clark est bourré de dons surnaturels au
pouvoir quasi sans limites, alors que Bruce est un terrien de base comme nous.
Batman va donc être le premier super héros sans super pouvoirs, dérogeant au
point 1 de la charte du super héros à savoir : 1/ Des super pouvoirs, 2/ Un super costume 3/Une double vie
qui craint . Si il y avait une « superhéroslogie », à laquelle je compte bien contribuer,
pas de doute que nous aurions une guerre de chapelle ouverte entre d’un coté
les partisans de l’immanence du super héros incarnée par Batman contre une vision transcendantale
incarnée par Superman .
Sousdoté surdoué
Batman n’a aucun don surnaturel il va donc devoir faire avec
les moyens du bord. Pour être à la hauteur d’un Superman, notre petit Bruce va
donc bosser dur et collectionner à peu près tous les talents qu’un homme puisse
rêver d’avoir. Beau, riche, intelligent, il est définitivement le meilleur
parti de Gotham City. Il parle une bonne dizaine de langue, il a une mémoire
absolue (mémoire photographique) et des qualités physiques olympiques. Mais
surtout il est très ingénieux. Dessinant lui-même les plans des machines
ultrasophistiquées de son arsenal, qui seront ensuite réalisées à grand frais
par le groupe dont il a hérité. Superman c’est Dieu qui descend sur terre alors
que Batman c’est l’homme par son ingéniosité qui veut s’élever au niveau des
dieux. Batman et ses machines ne font qu’un afin de le propulser au rang de
super héros. Ce phénomène est à tel point fusionnel entre Bruce et ses machines
qu’elles vont toutes être affublées du préfixe « bat ». Car ces machines ont toutes en commun
un mimétisme fort avec leur propriétaire. Couleur noire, ailes échancrées, logo
Batman, reconnaissance et obéissance à leur maître uniquement.
Si Batman nous parait parfois un peu gêné aux entournures
par son costume grandiloquent de vengeur masqué de la nuit, il nous paraît
toujours hyper cool dés qu’il utilise une de ses machines. Batman est donc dans
l’inconscient collectif américain le symbole de l’émancipation de l’homme par
la machine lui conférant ainsi des pouvoirs dignes d’un super héros. Batman
c’est un mélange de Sherlock Holmes pour son intelligence, sa mémoire et son
pouvoir de déduction, et de Zorro pour son coté vengeur masqué bien né, assisté
d’un majordome initié aux pratiques nocturnes de son employeur.
Connecté
Si comme on l’a vu en introduction le super héros est plutôt
super perso, Batman semble avoir besoin d’aide et travail en équipe. D’abord il
collabore avec la police et travaille main dans la main avec l’intègre
commissaire James Gordon au sein
d’une police corrompue. Il se fait aussi aider de son majordome dans son
entreprise de justicier. Enfin ne possédant aucun 6ème sens du
crime, même pas une super ouïe, ce sont les citoyens de Gotham City qui lui
servent de sentinelles pour l’avertir à l’aide d’un projecteur du moindre crime
crapuleux dans la cité qu’il protège. Batman, sans la bonne volonté des
citoyens, ne peut pas mener à bien son entreprise de nettoyage du crime.
Émergence du super
capitalisme
La naissance de Batman inaugure la naissance d’un
capitalisme financier débridé au Etats-Unis. Le vampirisme est à mon avis une
allégorie évidente du capitalisme financier. Et à ce titre on peut se
questionner sur le choix de Bruce Wayne d’avoir endossé un costume de chauve-souris
dans un monde qui se fait vampiriser depuis l’invention du Conte Dracula ?
Suite à la mort de Monsieur Wayne sénior, le conseil d’administration voit de
plus en plus dans les actions caritatives du groupe une perte d’argent et de temps.
Avec la succession Wayne nous assistons à la fin d’un certain
capitalisme paternaliste et au début un capitalisme financiarisé et
déshumanisé. Ce ne seront plus les entreprises qui aideront les plus défavorisés,
mais les philanthropes nés du super enrichissement créé par le système
américain. Batman se retrouve donc être un personnage au cœur de la
démoralisation des entreprises américaines poussées au maximum pour étancher la
soif de profit de leurs actionnaires. Bruce Wayne est riche, même très riche,
mais il ne pourra plus faire le bien comme son père grâce à son groupe. Il
devra l’entreprendre, comme tous les milliardaires qui vont lui succéder,
uniquement à titre personnel.
Une chauve-souris qui
se bat contre les vampires de la finance.
Faire des profits ennuie manifestement Bruce, tout l’argent
du monde ne lui rendra pas son enfance sans parents qu’il a vu mourir sous ses
yeux. Batman est épris de justice au point de léser sa propre entreprise,
puisque toutes ses machines qui doivent quand même coûter un bras, sont
réalisées par le groupe Wayne plus au moins secrètement, puis volées par
Batman. Autant dire que Bruce junior n’hésite pas une seule seconde à se servir
dans la caisse pour financer ses petits joujoux. La loi qui régit les conseils
d’administrations est de plus en plus étrangère à Bruce. Les entreprises sont
forcément à l’origine de la corruption qui règne dans Gotham City et qui
favorise le crime. Pour Batman c’est clair : se battre contre le crime,
c’est aussi se battre contre le système de capitalisme financier en place et
qui gouverne aussi le groupe Wayne depuis la mort de son père. L’abus de bien
social fait parti de l’arsenal qui lui permettra paradoxalement de venger son
père et son héritage de la main mise des
financiers sur l’ensemble de l’économie américaine.
Batman incarne notre
besoin de Super détoxe
Batman est à la recherche d’une justice révolue celle d’un
temps où les entreprises avaient un rôle social dans la cité. Il est aussi à
travers ses aventures clairement un défenseur de l’écologie. La corruption rend
l’air irrespirable à Gotham City. Les super méchants que va devoir affronter
Batman seront donc tous super toxiques. Poison, gaz, voilà les vrais méchants qu’incarnent
les super vilains dans Batman. Le super capitalisme et sa super consommation engendrent
invariablement la même pollution qui nous sera un jour fatale. Le destin de
Batman est finalement de nous désintoxiquer de la corruption et de la pollution
qui en découle. Sa quête est sans
doute une cité échappant à la corruption écologique et éco responsable. Sous
son pesant costume de latex, notre Batman ne serait-il pas le résultat de notre
cynisme, à l’instar de ces mouettes engluées dans le mazout qui nous renvoient
notre propre noirceur.
Dans le placard
En plus des supers vilains qui gravitent autour de lui,
Batman à des super copains. On sait qu’il peut combattre en duo au côté de Superman,
qu’il a de relation très fluctuante avec Catwoman et surtout qu’il fait équipe
avec son grand copain Robin. On retrouve dans Batman les grands classiques de
l’homosexualité non assumée.
D’abord le truc qui ne trompe personne c’est quand on est
riche, bien foutu et célibataire, passé 35 ans votre probabilité d’être gay
dépasse rapidement les 50%.
Ensuite ces femmes qui lui tournent autour sans aucune
conclusion semblent aussi nous renvoyer à ce besoin étrange de justifier une
hétérosexualité qui semble cruellement manquer d’authenticité.
Si le coming out
s’apparente à sortir du placard, Batman a un placard de choix : sa cave.
Alors que de nombreux super héros
ont vite fait de déchirer leur costume pour faire apparaître leur vraie
identité de super héros qui leur colle à la peau. On est loin de tout cela avec
Batman qui doit toujours descendre dans sa cave pour se transformer en ce qu’il
aimerait être sans l’avouer, un homme grand, fort, musclé et dominateur. Tout
cela il le retrouve dans son habit de latex et ses multiples véhicules évoquant
une virilité débridée. Batman est tout sauf un séducteur, il ne s’aime pas, et
ne sait donc pas séduire. Le monde féminin de la séduction réciproque assumé
lui est inconnu. Il ne connaît qu’un moyen d’interagir avec les autres la
domination ou la soumission. Ainsi Batman nous tire dans un univers forcément
sadomaso, où finalement les femmes à l’instar de Catwoman deviennent des
maitresses dominatrices à grandes griffes et long fouet. Tout devient noir et
ridiculement sadique.
Tout l’enjeu du coming out gay pour les hommes est de
réussir le passage de la domination à la séduction sans se renier. Batman n’y
arrive pas car séduire ce n’est plus prouver que l’on est le plus fort, mais
accepter avec plaisir sa faiblesse face à l’autre. Batman pourrait être gay et
bien dans sa peau, mais il est empêtré dans ses rêves de domination qui
l’enferment dans une cave d’où il veut tout voir sans être vu. Sa relation avec
Robin ne peut pas durer, puisque Robin incarne ce qu’il refoule, une relation
assumée avec un homme. Dommage ça faisait quand même un beau couple.
A lire aussi dans le blog : Batman pietine la police
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