A Olivier Rouyer




Cher Olivier,
Tu es le seul footballeur français à avoir dévoilé ton homosexualité au grand public.
C’était en 2008, tu es aujourd'hui consultant de Canal et toujours le seul à l’avoir fait.
Tu as réagi au récent sondage fait par le journal gratuit 20 minutes (en mai 2013)  sur l'homosexualité dans le foot français qui dévoile que plus de 40% des joueurs affirment avoir des sentiments hostiles contre les gays. 

«Comment peut-on avoir peur de prendre sa douche quand on sait que son pote est homo? Mais c’est débile! Ce n’est pas possible qu’on puisse encore penser comme ça. On ne peut pas être con à ce point-là, c’est dramatique ». 

Et bien si Olivier, on le peut, comme quoi il doit y avoir un paquet d'ânes dans le foot, qui préfèrent croire ce qu’on leur dit, plutôt que de croire ce qu’ils pensent.
Bon mais il faut dire que le vestiaire d’un stade de foot est un endroit, à plus d’un titre, rétif à l’idée de homosexualité et que la bataille va être dure.

D’abord le milieu du sport est un endroit ou s’exprime le masculin, à savoir l’envie de dominer et de soumettre. Dans le sport, le vrai, cette envie est compensée par le plaisir de perdre et se soumettre. Sénèque nous révélait déjà dans une de ses lettres à Lucilius qu’il souhait davantage qu’on lui apprenne à perdre avec le sourire, plutôt que de gagner avec acharnement. L’appât du gain a dévoyé depuis bien longtemps le sport en glorifiant le gagnant et en récusant le perdant. Pourtant le sport n’est pas contrairement à la jungle des affaires un endroit où tous les coups sont permis. Dans le sport il y a des règles simples et des arbitres vigilants, on peut donc se soumettre sans s’humilier. Le sport noble  est une très belle illustration du masculin, mettant en jeu des forces qui s’affrontent et dont l’issue incertaine est la base du plaisir qui nous fait jouer. Malheureusement le machisme ambiant a la fâcheuse tendance de voir le soumis comme une femme et le dominateur comme un homme. Pourtant la domination et la soumission sont les deux faces indissociables du masculin. En pervertissant la bipolarité du masculin on a ainsi créé « l’enculé » voire « la bande d’enculés » quand il s’agit d’une équipe pour féminiser le perdant (sic) quand le respect s’étiole.

Un stade est un anneau féminin qui entoure une confrontation masculine.
Peu importe la sexualité des spectateurs et des joueurs, le spectateur veut être séduit ce qui est l’apanage de la féminité et le joueur veut gagner ce qui est l’essence du masculin . Bien sûr si le spectateur déroge à son rôle de venir applaudir le beau jeu, pour finalement devenir partisan et vouloir gagner coûte que coûte, il dénature ce que doit être le stade.
Le supporter en se prenant pour un joueur déplace le masculin vers les tribunes. Cela ne va pas sans conséquence pour les joueurs eux mêmes, puisque le regard masculin du partisan ne lui demande plus de produire son plus beau jeu, mais de gagner.
A ce titre la main (de Dieu) décisive de Maradona en est l’archétype

Dans le stade comme dans les vestiaires ce qui est en jeu c'est de créer ce bel intangible qui nous soulève les fesses de notre fauteuil de spectateur et que l’on appelle l’émotion.
Le jeu développe notre intelligence dans deux directions. D’une part il nous pousse inévitablement à l’improvisation, il nous projette en avant ; d’autre part il nous apprend, à cause des conséquences à la fois inoffensive mais décisive de nos erreurs. Malheureusement rentrer sur un stade sans vouloir imaginer que l’on puisse perdre transforme inévitablement le jeu en guerre. Le goût d’improviser et d’apprendre est définitivement perdu par l’amertume de la vengeance.

Le sportif doit donc laisser sa virilité au vestiaire, pour tirer parti du jeu masculin qui va se déployer sur le terrain. La noblesse du sport est donc de dissocier le masculin de la virilité guerrière. Contrairement à la guerre le sport est un jeu. C’est ce que les hooligans et autres ultras n’ont jamais voulu comprendre.
Malheureusement ce regard partisan et guerrier que certains fans portent sur les joueurs de leur équipe, les joueurs eux-mêmes le ressentent et l’emportent avec eux au vestiaire. Ils voulaient simplement être des hommes dignes de ce nom et le regard des supporters et des médias les ont chosifiés en guerriers. Or le guerrier contrairement au joueur ne peut pas perdre. Par les enjeux de l’audimat, de l’argent, des primes, le jeu se crispe et quand le jeu devient sérieux on est déjà un peu en guerre.
Le problème avec nous les homos, c’est que la virilité, qui est le nerf de la guerre ne nous intéresse pas trop. Quand ça devient sérieux ça nous ennuie vite, c’est sans doute pour cela que l’on a fini par nous appeler des gais. La virilité qui s’empare du sport en dégradant le masculin à la simple « gagne », transforme l’homosexualité en tabou, exactement comme dans l’armée.

Si on peut se réjouir que les hétéros et les homos cohabitent de mieux en mieux dans la société en général, réaliser le même mélange tout nu dans un vestiaire rajoute une couche de stress au déboulonnage tout récent du tabou de l’homosexualité. Mettre deux homos dans le même vestiaire, revient à terme, si vous voyez où je veux en venir, à mettre les hommes et les femmes dans le même vestiaire. Et là on voit bien que notre société n’est pas tout à fait prête à déconnecter sexe et nudité. L’homosexualité en s’invitant ouvertement dans les vestiaires force la main à notre société qui s’est obstinée à construire des murs entre les hommes et les femmes pour qu’ils ne se voient pas nus. Être nu, c’est tué le cynisme et notre société ne sait pas encore s’en passer.

Tuer l’homophobie jusque dans les vestiaires de foot n’est donc pas une mince affaire puisqu’elle oblige la société toute entière à être moins cynique. A savoir 1/ accepter de faire du sport pour le beau jeu et non pour gagner, 2/accepter que le les hommes et les femmes puissent se regarder nus sans y voir de la perversité. Pour couronner le tout le foot est devenu un spectacle. Or le spectacle ne cherche pas la vérité mais la séduction.

Un coming-out est toujours un moment de vérité. Or un joueur n’est plus vraiment lui-même, il devient par la mécanique du spectacle un acteur. Le joueur de foot au même titre que l’acteur de cinéma ne maîtrise plus totalement son image puisqu’elle est maintenant canalisée voire « Canalplusisée » par les producteurs d’images. Vendre son image c’est déjà un peu vendre son âme. Il y a du Faust dans les contrats mirobolants signés par les footballeurs d’aujourd’hui. En monnayant son image par le truchement des droits télé le sportif commence à vendre son âme. Sa vérité se trouve hypothéquée par un simple bouton de télécommande. Celui finalement du supporter qui ne veut pas voir jouer un pédé. La guerre de l’audimat est déclarée : on ne joue plus messieurs, on vous paye pour gagner, pour que nous, producteurs, nous puissions séduire. Votre vérité qui dérange vous pouvez la laisser au vestiaire, si possible dans le placard. On demande, ainsi par effet de balancier au joueur de tout gagner (ce qui est tout bonnement antinomique) parce que ce diable qu’est le stade et par extension la télévision ne jouit d’aucune fidélité de ses spectateurs. Il faut donc toujours et encore séduire, en renvoyant forcément au supporter ses phantasmes. La télévision et son audimat c’est diaboliser en perdant un luxe qu’ont encore les joueurs : celui de perdre. La vérité du coming-out est une émancipation non seulement par rapport aux convenances sexuelles, mais aussi bel et bien une émancipation par rapport à la société du spectacle qui découvre avec horreur que notre vérité n’est pas forcément leur réalité.

Ainsi cher Olivier ta vérité et ton courage a le grand mérite de couper les derniers liens qui pouvaient faire encore de toi une marionnette de spectacle à grand nez. On se souvient que lorsque Pinocchio refusait d’apprendre il lui poussait des grandes oreilles d’âne, il y a 40 % des joueurs de foot qui peuvent commencer à se faire du souci.


Je t'embrasse

Cindy

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