L’harmonie perd le fil




Nous sommes allés cette semaine écouter Ravel à la toute nouvelle Philharmonie de Paris. Première surprise. Ce n'est pas vraiment fini ! L'Etat français semble comme ses concitoyens suffisamment désargenté aujourd'hui pour s'impatienter et investir un lieu à moitié fini. Les conditions d'une première visite ne sont pas optimales. Un début février à 20h30 ,il fait nuit, il fait froid, les perspectives qu'offre le lieu n'ont rien d'engageant à cause du site coincé entre la Cité de la musique et le périphérique, en terme d'harmonie urbaine on peut faire mieux.

Le bâtiment est gris camouflage et se fond avec la nuit, il est quasiment furtif à l'instar du nouveau pentagone à la française Porte de Sèvres.


Le bâtiment aux formes futuristes semble être d'avantage tombé du côté noir de la force avec ses faux airs de base secrète pour très méchants plutôt que le temple hédoniste des plaisirs de l’ouïe.

Une fois de plus (voir mon article sur le Louvre de Lens) rien n'est prévu pour la sécurité. Ce qui est d'autant plus cocasse que ce lieu a ouvert quelques jours après les évènement maintenant connus sous l'appellation "Charlie". On croit rêver. Des tables d'écoles en plein milieu d'un hall d'entrée sont là pour faire office de passage pour une fouille salutaire.

Ce projet est un projet bling-bling. Une bête à concours. Ce projet propose une enveloppe d'une complexité ahurissante ne trouvant sa justification que dans les moyens informatiques 3D mis aujourd'hui à la disposition des cabinets d'architecture. Ce n’est plus la fin qui justifie les moyens, mais les moyens illimités de modélisation qui justifient la finalité de la structure de ce bâtiment. Ce lieu sacrifie à la mode de l’architecture pour l’architecture. Le coût de cette ivresse (en plus de nos impôts) on le paye immédiatement lorsque l’on pénètre dans le bâtiment. L’intérieur est fini à la va vite faute de temps et de budget.

Pour être précis il semble que ce projet résulte de l'accouchement difficile d'une salle de concert polyvalente relativement sophistiquée, déposée à l’intérieur d'une enveloppe bling-bling conçue pour défrayer la chronique.

En revanche si les commanditaires cherchaient à épater la galerie c’est bel et bien raté (au propre, comme au figuré) car entre la grande salle de concert et la coque futuriste alambiquée se trouve un no man's land de moquette, où circulations, signalétique et services ont été laissés à l'abandon à la fois par les commanditaires et par l'architecte.

Les toilettes sont une horreur, le bar est d'une noirceur et d'un ennui qui vous donne envie de vous tirer une balle dans la tête sans même avoir fini votre verre de petit Chablis et vous dégoute définitivement de vous dégourdir les fesses à l’entracte.
Les faux plafonds sont dignes d'un centre commercial moyen de gamme de banlieue et la plupart des gens mangent des casse-croûtes assis sur des rambardes faute de mieux.

L'aspect général du bâtiment laisse un sentiment ambivalent comme si Jean Nouvel faute d'inspiration avait voulu faire aussi bien que tous ses concurrents du moment réunis. Il y a dans ce projet un mélange entre une architecture à la Ghery pour la partie en métal informe et une volonté de réaliser un projet à l'instar de l'opéra d'Oslo (voir photo) avec les pans inclinés qui permettront un jour aux parisiens d’accéder au toit. Gros hic, Jean Nouvel ne profite ni d’un site comparable à celui d’Oslo et les courbes tendues en métal d’un Ghery se retrouvent dans son projet aplaties comme de la crème entre deux moitiés de macaron.


Le bâtiment hérite des 3 caractéristiques inévitables d’une architecture de bord de périphérique : 1/aveugle ( il n'y a rien à voir), 2/calfeutré, 3/suffisamment gris pour résister au gaz carbonique environnant.
Perché sur sa dalle, il faut depuis  le parking demander le 3ème étage pour atteindre le rez de dalle de ce bâtiment qui peine à se relier avec son environnement.

Ce bâtiment souffre d'un vrai problème d'urbanisme. La plupart des villes d'aujourd'hui verraient une construction de cette ampleur comme un endroit central de l'urbanisme ne leur cité. Paris intramuros n'offre plus de telles opportunités. L'opéra Garnier a eu en son temps la place de choix qu’il méritait. On ne peut pas en dire autant de l'opéra Bastille qui s'agrippe tant bien que mal à une portion congrue de la place de la Bastille. Quant au projet de la Philharmonie il est là pour enfoncer le clou. On ne peut vraiment plus caser dans Paris des projets d'ampleur sans redéfinir l'urbanisme général de la ville. Seule une réflexion à l'échelle du Grand Paris peut nous permettre dans l'avenir d’envisager des projets de cette ampleur avec un urbanisme cohérent.

Bien sur la Philharmonie est à deux pas de la Cité de la musique. Il y a donc une synergie fonctionnelle à implanter dans ce site exigu et peu glamour une salle de concert de classe internationale. Mais pour le reste il n'y a que des inconvénients. L'accès au parking est loin d’être évident, quand à l'accès piéton il suppose un accès escalator pour se hisser au niveau de ce nouveau bâtiment, nous rappelant avec horreur les déboires de l'architecture sur dalle de la fin du siècle dernier.

Ce projet n’est donc que futuriste par ses contorsions architecturales. Le but étant de faire sensation. Le pire c’est que ça marche. Le lieu bat des records d'affluence. Plus de 50 000 visiteurs depuis son ouverture.  

Il n’en reste pas moins que l’architecture est dévoyée de son rôle principal : relier gracieusement l’homme à l’espace, pour un objectif beaucoup moins noble : nous pousser à aimer un contenu par l’exubérance de son écrin.




PS : On s’interroge encore avec Bobby : pourquoi avoir programmé une pièce comme L’enfant et les sortilèges de Ravel qui comporte d’importantes parties lyriques dans une salle philarmonique conçue pour une audition à 360° autour de l’orchestre ?  Depuis notre place les chanteurs nous tournaient le dos au 3/4 ce qui a des répercussions catastrophiques sur l’équilibre fragile qui doit être préservé entre les voix et l’orchestre.

Pourquoi nous faire tout ce tralala sur les plafonds réglables pour optimiser l’acoustique de la salle au décibel prêt, si de prime abord il semble y avoir un manque total de réalisme dans le choix du répertoire dans une salle qui est aux antipodes d’une salle d’opéra.

Pour finir de faire compliqué, la pièce comprend un chœur de jeunes enfants plus un chœur d'adultes, ce qui a obligé la Philharmonie à louer des horribles chaises rouges, mise en place sans raison dès la première partie. Le chœur d'adultes, tout de noir vêtu, a été quant à lui déplacé dans les gradins arrières qui au moment de s’asseoir regorgeaient encore d’une bonne dose de poussière de chantier.


Le jusqu’au boutisme de nos architectes ne semble rien à avoir à envier aux caprices des programmateurs et de leurs mécènes qui, on n'en doute pas, se régalent au premier rang pendant que nous mordons la poussière dans des places tout de même vendues en catégorie 2 en nous contorsionnant pour apercevoir le chignon d’une canttarice à la voix à peine audible.

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