Le Comte de Monte-Cristo
On pouvait craindre que Le comte de Monte-Cristo finisse comme la récente adaptation des Trois Mousquetaires dans une forme de réalisme accentuée par une photographie maronnasse pour nous faire sentir la réalité boueuse de l'époque. Il n'en est rien puisque ce tout nouveau Comte de Monte-Cristo nous projette dans un univers où les couleurs chatoient pour accentuer la beauté romanesque du discours de Dumas.
La question n'est bien sûr pas de suivre à la lettre les 1200 pages du roman initial, mais bien de faire un film qui tient debout en relatant la merveilleuse intrigue du Comte de Monte-Cristo sans pour autant perdre le spectateur dans une critique de la société de l'époque qui tomberait aujourd'hui à plat. Les esprits chagrins regretteront que la toile politico-historique de l'époque fasse les frais du recentrage du scénario. Pour ma part et celle du très grand nombre qui a plébiscité ce film, c'est tant mieux.
Grâce au jeune duo de réalisateurs (ayant pour seul actif le prénom) l'intrigue telle qu'elle est filmée à grand renfort d'éclipse prend des airs de pièce de théâtre classique, les décors de l'époque n'étant plus qu'un prétexte pour nous dévoiler la noirceur ou la grandeur de la nature humaine.
Le comte de Monte-Cristo est un roman à part dans la production pléthorique d'Alexandre Dumas par sa dimension autobiographique. Dans Les 3 mousquetaires c'est la grande histoire qui a le beau rôle dans Le comte de Monte-Cristo se sont les petites qui lui ravissent la place. Là où un François Civil se devait d'incarner le jeune premier héroïque jamais à court d'un bon mot en D'Artagnan. Pierre Niney nous renvoie l'image froide de la vengeance préméditée. Enoncé ainsi, on a toute les raisons de craindre l'ennuie lors des 3 heures de projection du Comte de Monte-Cristo. Il n'en est rien, parce que la complexité du personnage d'Edmond Dantès nous séduit dès la première minute et ne nous lâche plus jusqu'au tout dernier instant.
Il faut comprendre qu'Edmond Dantès puise avant tout sa psychologie dans le tempérament d'Alexandre Dumas. Ce clerc de notaire métisse de bas étage recruté pour la qualité de sa calligraphie et moqué depuis la mort de son père à l'âge de ses 4 ans a une revanche à prendre sur la vie. Il décide de quitter son village pour Paris avec 53 francs en poche et une envie viscérale d'en finir avec l'indigence de sa vie de province. Alexandre et Edmond partagent la même audace pour parvenir à leur fin et tromper leur adversaire. Pour comprendre Dantès il faut d'abord comprendre Dumas. C'est ce que les réalisateurs ont magnifiquement compris en nous livrant une œuvre cinématographique qui lui ressemble ce qui donne au film une fraicheur et une audace inattendue.
Dumas aime les châteaux, il s'en est fait même construire un dans les Yvelines à grand frais. Ce château au style très éclectique pensé par l'auteur pour lui est donc à lui seul un matériaux qu'il faut exploiter. Le film n'est pas passé à coté en nous livrant des repérages de châteaux qui auraient enchanté Dumas. Celui du film est le château de la Ferrière qui a été augmenté numériquement pour accroitre son opulence et coller avec la duplicité de notre héros. Se faire passer pour celui que l'on n'est pas voilà bien le cœur du plan de la vengeance qu'il concocte pour ceux qui l'ont injustement condamné.
Tout dans le film est apparence. Toutes les images nous séduisent aucune n'est vrai. Les repérages sont falsifiés, les extérieurs et les intérieurs ne sont pas des mêmes châteaux. Tout parait plus vrai que nature et pourtant tout est faux. Le film comme le Comte se jouent de nous. Malgré ce puzzle infernal que requiert le tournage et le montage d'un tel film ou en passant une simple porte on tourne à 200 km de là, Niney reste impérial. Plus qu'un fil rouge il est notre fil noir qui nous permet de sauter de Paris à Marseille, d'un château à un autre sans que l'intrigue n'en souffre.
Là où les autres Edmond Dantès semblent se raccrocher à leur canne, leur haut-de-forme et leur cape pour personnifier le mystère et le doute, Pierre Niney se met à nu pour nous livrer une implacable interprétation de la noirceur qui peut gagner les âmes les plus nobles. L'intrigue de Dumas est magnifiquement écrite. Fallait il encore savoir la simplifier pour montrer toute la beauté classique et universelle qu'elle dégage.
La magie de la littérature s'opère dans la salle nous devenons Edmond et comme lui nous doutons. La littérature a ce pouvoir de déjouer la métronomie du temps qui passe pour la remplacer par celui de la conscience qui dure. Toute la merveille des images du film ne sont là que pour servir une seul but et c'est là toute sa force, celui de nous poser cette ultime question : aurions nous fait pareil?
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