Fondation Louis Vuitton
Découvrir un nouveau musée est toujours une expérience. Au delà des effets d'annonces et des dires. Rien de mieux qu'une petite visite en personne pour se rendre compte de l'extravagance de la nouvelle petite folie de Bernard Arnaud.
Je découvre le bâtiment en arrivant par le jardin d'acclimatation (si on a prépayé ses billets sur internet c'est possible) ce qui était notre cas. Le bâtiment est élancé et dégage une certaine poésie en laissant découvrir une longue et douce cascade qui s'écoule à ses pieds et qui semble par l'érosion de l'eau avoir dégagé en partie le sous-sol de ce tout nouvel édifice.
A force de se contorsionner on a du mal à imaginer par où entrer dans ce lieu. Le lieu a d'ailleurs deux entrées sur chaque flanc. L'un par la rue, l'autre par le jardin. Le hall d"entrée est décevant, non seulement par sa taille assez modeste mais aussi par son allure. La banque d'accueil est triste comme un guichet BNP relooké, la signalétique est quasiment inexistante et l'arrière de la banque est flanquée de deux portes de service qui en plus de ne pas être feng-shui du tout, sont vraiment décevantes.
A quoi bon se faire le chantre de l'art et du bon goût si on ne sait même pas recevoir. On sent d'emblée que l'intérieur du bâtiment n'est qu'une conséquence de son aspect extérieur et non l'inverse. Je passe sur les portails de sécurité, contrainte qui me semble être une donnée connue de puis le 11 septembre et qui parait pourtant toujours prendre les architectes par surprise le jour de l'ouverture.
Cette fondation au lieu de rester dans son registre de collection privée, veut jouer dans la cour des grands, c'est à dire celle des musées. On a donc une mini librairie, dans un mini hall avec un mini restaurant, tout ça bien sûr pour faire comme les grands.
Je me dirige vers un couloir affublé du nom de galerie qui nous conduit dans une grande pièce rectangulaire parfaitement proportionnée pour afficher une triplette de Gilbert et George, monumentale sur le mur du fond et quelques Andreas Gursky de bonne facture de chaque coté. Bien sûr on se demande pourquoi donc faire un immeuble aussi tordu pour finalement exposer dans une pièce on ne peu plus rectangulaire.
Le bâtiment offre de nombreuses autres pièces distribuées dans l'espace intérieur de la coquille de Frank Gehry et cela sur plusieurs niveaux. Beaucoup d'œuvres sont des oeuvre vidéo et exigent une obscurité plus ou moins complète qui s'oppose à la recherche de transparence traduit par l'aspect général du bâtiment. Si l'idée d'un bâtiment qui joue sous des voiles de verre avec des intérieurs et des extérieurs en terrasse semble bien maitrisé par notre super star de l'architecture, la collection présentée s'inscrit assez mal avec cette recherche d'espace "dedans-dehors". Une collection de sculpture aurait sans doute tiré beaucoup mieux parti de l'écrin confectionné par Ghery, mais voilà la mode en ce moment c'est la vidéo dont le noctambulisme qui l'implique transforme ce magnifique bâtiment en parcours des horreurs de fête foraine. Les ascenseurs sont sous-dimensionnés et il suffit que l'un des deux soit en panne pour qu'on se retrouve dans un escalier de service qui lui n'a eu toute l'attention du bureau d'étude.
La Fondation nous propose une décoration qui oscille entre pierre blonde BCBG et des salles minimalistes faites de murs blancs et de sols en lino gris qui respectent l'aspect minimaliste de rigueur quand on présente de l'art contemporain. Ce contraste entre une certaine richesse des matériaux qui constitue l'enveloppe du musée et le coté chambre d'hôpital qui habille les salles d'exposition est révélateur d'un art sans client.
L'art contemporain veut aller plus vite que la musique. L'artiste contemporain cherche à créer avec la bénédiction de son galeriste directement pour le musée. Le musée garanti la cote et la réputation de l'artiste. Etre classique avant d'être mort ça c'est la classe quand on est artiste. On ne crée plus ni pour une personne ni pour un lieu, mais pour le marché et pour le non lieu que doit constituer le musée. Les salles aux sols gris et aux murs immaculés proposent donc ce vide que l'artiste par sa seule création graphique prétend remplir. Or ce non dialogue entre le lieu et l'œuvre dénature de l'intérieur par sa rigueur ascétique, la richesse architecturale dont pourrait hériter les salles d'exposition grâce à l'extérieur. Mis à part l'œuvre de Olaf Eliasson qui manifestement s'intègre dans l'architecture du lieu, on voit bien que la fondation a été créée pour exposer une collection et non l'inverse. Cela est parfaitement concevable sauf que l'on s'attendrait d'avantage à un bâtiment minimaliste pour présenter une collection qui se veut universelle. Or rien n'est moins minimaliste que le bâtiment commandé par LVMH dont les formes et les matériaux font tout pour tirer l'attention vers eux plutôt que de laisser la place aux créations.
Le bâtiment manque donc d'humilité. Soit on opte pour un bâtiment dont la signature architecturale fera sa réputation et il serait alors logique de commanditer des œuvres d'art qui s'insèrent dans ce projet. Soit on fait l'inverse et n'importe quel cube blanc fera le bonheur des vidéastes et des très nombreux producteurs d'œuvres qui finissent accrochées sur un mur savamment éclairé par de la lumière artificielle.
Fort de cette conclusion on a l'impression parfois de voir la Fondation Louis Vuitton comme un œuf entrain d'éclore ou plutôt d'une coquille entrain d'exploser sous ses contradictions. Celle d'une architecture contemporaine amoureuse de lumière et aux structures élancées vers le ciel et de l'autre une production d'art contemporain engluée dans les codes du luxe qui la pousse vers la pulsion de mort et d'une mise en scène souvent obscure et ésotérique. Cette contradiction n'est pas nouvelle mais se trouve avec ce bâtiment écartelé par la volonté de vouloir enfermer l'art dans une boite, pour mieux le posséder sans y parvenir.
L'industrie du luxe ne peut que fantasmer sur cette idée de pourvoir enfermer une fois pour toute le beau dans une pièce, une fondation, un musée, pour mieux pourvoir le dominer.
Par ses promesses de sur-existence le luxe nous pousse à vouloir la mort de l'autre par le poison lent de l'humiliation. Or l'art n'existe pas en tant que tel mais part l'art de vivre. Il n'a donc que faire des désirs de mort du luxe et se trouve mis en scène à ses dépens dans des lieux contradictoires comme cette fondation.
L'art sans la vie ne vaut rien. Les artistes vidéo nous amusent au cinéma mais nous ennuient dans un musée qui lui, à l'instar de la fondation, ne demande qu'à s'ouvrir au monde par ses multiples voiles translucides. L'art ne se regarde pas il se vit.
Je vous conseille donc pour profiter pleinement de la Fondation Louis Vuitton de prendre le petit train Porte Maillot qui vous conduira directement dans le Jardin d'acclimatation. Ce petit trajet en train est un véritable voyage et nous rappelle avec bonheur que la vie est un voyage et que l'art n'est là que pour le sublimer. Ce train tout le monde peut le prendre pour 2 euros et l'on se trouve transporté à travers les pins du bois de Boulogne. Bref la belle vie, celle que l'on ne parviendra jamais à enfermer dans une fondation aussi majestueuse soit elle.
L'art de vivre reste avant tout l'art de rire, ce qui n'est pas du goût des gardiens et gardiennes du temple Louis Vuitton, qui nous expliquent sans ridicule, après leur avoir demandé de sourire que "si l'on veut voir du personnel joyeux, on n'a qu'à aller au cirque".
Qu'on se le dise. En attendant on fait quand même les clowns avec une œuvre d'art hors de prix dans un musée qui se prend un peu trop au sérieux.
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