Torogachie


Il était d'abord accroché Boulevard Pereire, puis légué à la fondation Victor Hugo qui jugea bon de lui donner une nouvelle vie sur le mur crépi de la villa des Hameaux de Propriano.

L'histoire de ce tableau est d'abord l'histoire d'une œuvre au format assez modeste puisque que le principe de construction de cette œuvre est de découper dans un magazine un œil, de le coller au centre du tableau et d'imaginer finalement la chair qui va avec. Le principe est donc de réaliser un tableau qui mixe le collage (que l'on remarque à la trace blanche rectiligne au dessus de l'œil dans l'œuvre agrandie) donnant une réalité et une intensité propre à la photographie et un travail au pinceau noir aux courbes franches ne résultant d'aucun travail préalable. Regarde-moi dans les yeux et je te dirais qui je suis. Emerge de cet œil humain, un corps de taureau dans l'arène. Même regard autre forme. Même conscience autre vie. Ce taureau aux yeux verts me ressemble étrangement, non seulement par mon signe du zodiaque, mais aussi par son destin. Quand on parle arène libre à chacun de se voir taureau ou torero. Suis-je celui qui brille et qui leurre la bête en secouant un chiffon rouge sous ses yeux ou suis-je moi même un animal dont l'instinct me conduit à foncer sur ce qui bouge ? Suis-je l'esprit qui brille et qui domine la bête ou l'animal qui jouit de sa connexion toute organique avec la matière et le vivant ?

La corrida nous offre le spectacle de la division du corps et de l'esprit . Hors cette représentation qui a fait les choux gras de la religion chrétienne est un sophisme de plus dans la rhétorique de ces gens qui parlent trop et qui n'agissent pas assez. Joindre l'acte à la parole me semble être la base de l'éthique.

La mise à mort du corps par l'esprit dans une arène écrasée par la lumière est un exemple à ne pas suivre. Je ne peux pas mépriser mon corps sans avilir mon esprit. Je ne peux pas tuer sans avoir du sang sur le mains. La corrida est un jeu de dupe puisque la force du corps qu'incarne le taureau a des ressources bien supérieures à la ruse et à l'agilité du torero. Il faut donc affaiblir la bête mépriser la chair à coup de pic et de banderilles pour que le taureau redonne quelques chances au torero.

Les aficionados de la corrida diront que le torero prend lui aussi des risques. Oui mais quel risque ? Le minimum de risque qui va lui assurer un maximum de prestige. La corrida ne serait-elle pas une forme de téléréalité où tout est écrit pour faire frémir le spectateur, mais où la mort du torero sera toujours vu comme un accident et non comme la victoire du taureau sur l'homme.

Pour ceux qui aiment les chiffres si l'on compare le nombre de taureaux tués par rapport à la mortalité de leurs bourreaux en habits de lumière, on voit bien que le combat n'est pas, mais pas du tout équitable, malgré tout ce que l'on veut nous faire croire. Aucun homme raisonnable n'irait dans un champs provoquer un taureau. Il faut bien toute la mécanique de "l'arène réalité", pour réécrire ce face à face au profit de la perfidie humaine. Le corps est plus puissant que l'esprit qu'on se le dise, cela ne veut pas dire pour autant que nous ne pouvons pas le dominer. Mais donnons lui toute ces chances plutôt que de le blesser avant de le toréer. Le surhomme est un homme qui domine son corps sans le blesser.

Accepter son corps c'est s'accepter comme animal et cela nous oblige à penser que si nous avons une âme (sans connotation religieuse) il en va de même pour bon nombre d'animaux. Heureusement les choses bougent, les animaux ne sont plus dans notre droit français des choses, mais des êtres conscients.

C'est à travers les yeux que le plus souvent l'on semble voir la conscience qui anime un être, voilà pourquoi cette œuvre nous donne à réfléchir sur les degrés de conscience qui nous séparent des autres animaux et le degré de souffrance qu'on leur inflige.

On objectera entre 2 bouchées de steak frites que finalement ce taureau meurt lui aussi en héros et qu'il a eu une belle mort comparée aux milliers de boeufs que l'on conduit à l'abattoir pour nos besoins carnivores. Si l'on accepte ce qui se passe loin de nos yeux et qui finit dans le camion frigorifique qui se gare devant chez nous tous les jours. On peut bien aussi voir un taureau se faire achever sous nos yeux. La mort comme valeur d'exemple : il n'est pas si loin le temps où l'on pouvait se presser autour de la guillotine pour voir tomber les têtes des coupables. Oui au même titre que le bœuf nous sommes tous coupables puisque nous ne sommes faits que de chair et d'os. Les sangliers qui viennent chercher l'humidité de l'arrosage non automatique de Bobby sous nos fenêtres sont eux aussi coupables au point de finir en pâté. L'anatomie du cochon nous ressemble étrangement quand on le dissèque. Je me lève pour les voir un peu plus dans la lueur de la pleine lune. Il s'enfuient, ils ont peur de moi, ils ont raison je pourrais bien les manger.

Manger des mammifères, c'est se manger soi-même. La planète ne pourra pas nourrir un homme carnivore, cela consomme beaucoup trop de ressources. On ne peut être qu'horrifié de voir les éleveurs perdre de l'argent en vendant leurs porcs. Vendre la viande de moins en moins cher conduit nécessairement à la dégradation des élevages. L'économique prend le pas sur l'éthique, ce qu'on impose aux animaux pour des raisons économiques, l'économie nous l'imposera aussi sans raison. Il faut donc dire stop. Pas besoin de faire campagne, pas besoin de donner des cours de moral. C'est à chacun de trouver en soi ce qui est acceptable et ce qui ne l'est plus sans prétendre donner de leçon. La morale par l'exemple plus que par la parole, le geste qui prolonge l'esprit, le mouvement qui accompagne le verbe, me semble une meilleure solution que les grands plaidoyers.

Pour en finir avec ce trop long article, la prise de conscience n'est pas une science. On trouvera toujours des objections à toute forme de changement. On peine aujourd'hui à manger du cheval sans autre raison valable que l'on n'a plus vraiment envie. Voilà 2 semaines que je ne mange plus de viande sans me priver d'aucun plaisir, juste parce que je n'en ai plus vraiment envie. Ce choix reste mien sans aucune volonté de l'imposer aux autres (même si c'est pas toujours évident).


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