Dheepan


La sortie d'une palme d'or est toujours un événement attendu. Dheepan brille autant par l'or qui l'honore que par les avis mitigés qu'il suscite, loin de faire l'unanimité malgré sa récompense. Les détracteurs les plus gentils soulignent que cette palme vient davantage récompenser l'œuvre de Jacques Audiard dans son ensemble plutôt que son dernier film, d'autres ne se privent pas de lui accorder l'aumône d'une seule étoile sur cinq pour iconographier leur mépris pour Dheepan.

Dheepan est un œuvre ambigüe parce qu'elle ne nous parle ni directement de politique, ni d'amour. Ce n'est ni un film d'action ni un film d'ambiance. On a l'impression que Jacques Audiard, qui maitrise le film de genre, a voulu avec Dheepan se jouer des codes en cassant, littéralement, son film en deux. Une partie intimiste où le processus d'insertion est intelligemment décris non plus comme une volonté politique mais comme une épreuve de patience. Nous voilà pris dans le quotidien routinier d'un gardien d'immeuble qui prend racine doucement dans une culture dont il ignore tout. Et puis patatra. Au moment où on se laisse prendre par la main comme le savent si bien le faire les films d'ambiance réussis, on se retrouve dans une scène à la Bruce Willis, où notre concierge fonce à tombeau ouvert dans un pick-up de méchant (donc noir) avec une cocktail Molotov comme passager avec la ferme intention d'en découdre avec le gang de dealers du quartier. Sursaut bizarre et suffisamment incongru pour dérouter une grande partie de la critique. Non content de se mettre à dos des critiques qui ne donne pas dans le multi genre, la fin du film arrive en plus comme une grande claque pour le spectateur français, avec une échappée de notre famille vers l'Angleterre vue comme l'Eldorado de l'intégration des sri lankais. Le contraste, entre les images sinistres de la grande banlieue de Paris par rapport au petit jardin verdoyant sous les camélias en fleurs que leur offre les banlieues anglaises, a de quoi titiller le feu anglophobe qui couve dans chaque français.

On peut donc sortir de ce film vexé ou dépité voire les deux ou prendre un peu de recul sur le message que tente de nous faire passer le réalisateur.
La scène la plus marquante du film est sans doute par son absurdité et par le temps que Dheepan lui consacre : la fabrication et l'utilisation de la brouette à faire des limites (impossible de trouver sur internet des images de la scène, j'ai donc opté pour une brouette de catalogue pour illustrer mon article). J'aurai envi de dire qu'elle est, à vrai dire, le vrai héros du film. Technique au point avec une commande au manche. Cette brouette est ce que l'on fait de mieux pour instaurer des limites de poudre blanche au milieu de nul part.

Si la barrière, la grille, le mur, découlent d'un droit régalien, la limite au sol trouve ses origines dans le sport c'est a dire à dire dans le respect des règles pour le plaisir du jeu. Cette ligne blanche abstraite, conventionnelle, intangible et éminemment fragile, rien ne nous empêche de la franchir si ce n'est le fait de savoir qu'elle existe. Cette idée est finalement le vrai le fil conducteur du film.

Ainsi la guerre au Sri Lanka n'est rien d'autre qu'une guerre de frontière absurde entre deux camps. La famille que forme Dheepan avec sa fausse épouse et sa prétendue fille ne font que se jouer de la limite que l'on s'invente entre notre famille et celle des autres. L'absence de police dans la banlieue où atterri Dheepan et les siens, là encore, se joue de la prétendue limite mise en scène ad nauseum entre la police et les gangs de drogue. Et puis finalement Jacques Audiard s'attaque à notre orgueil de français en nous montrant une Angleterre sous le soleil après nous avoir montré la France sous la pluie. Le réalisateur se fout pas mal de savoir si la France est ou non une meilleure terre d'accueil pour les immigrants, il voulait une fin radieuse et il se trouve que cela se passe de l'autre coté de la manche. Et alors ?

Si nous laissions nous-même de coté les brouettes de limites que l'on se coule dans la tête on ne pourrait que se réjouir de cette fin au lieu d'en prendre ombrage arc-boutés sur nos relents nationalistes.

Dheepan est un film qui désoriente et qui joue en permanence le hors limite pour agacer les accros de la ligne blanche et ravir ceux qui pensent que le monde est à tout le monde et que l'intégration n'est qu'un leurre né de la ligne qu'ils prétendent vouloir abolir.

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