The lobster


Le film The lobster est un film étrange. On pourrait le classer dans les films fantastiques, par cette idée qui consiste à transformer en animal après 45 jours tous les célibataires qui n'arriveraient pas à se remettre en couple, mais il y a quelque chose dans ce film qui le fait dérailler dans un genre atypique plus proche du mouvement surréaliste que de la veine fantastique. Dans un film fantastique, la métamorphose aurait la part belle. Dans The lobster la salle des métamorphoses des célibataires incurables en animaux de leur choix n'est pas mis en scène. Cet élément narratif pourtant très fort est complètement délaissé par le réalisateur. Voilà bien un signe que ce film n'est pas ce qu'il prétend être. Contrairement au fantastique, le surréalisme nous conduit droit dans monde onirique, inoffensif pour le vivant qui par la magie du rêve finit toujours pas se réveiller indemne. Le film, ainsi que la lassitude de ses personnages n'apporte pas d'enjeu, pas de suspense, pas de dénouement. L'histoire se gonfle de règles et impose des contraintes grotesques toujours inutiles, parfois violentes, souvent ennuyeuses.

Le film nous plonge dans cet état désagréable du rêve dont on se souvient pendant quelques instants, et qui nous laisse souvent plus surpris par l'ampleur de sa stupidité que par la langueur de sa volupté. Le rêve a toujours joui d'un très bon marketing, sans doute grâce à l'invention du cauchemar qui sert de bouc émissaire pour idéaliser à tord nos autres rêves. Pourtant il faut bien reconnaître que les cauchemars ont au moins le mérite de nous réveiller dans leur horreur alors que les rêves aussi médiocres soient ils monopolisent pendant nos heures de sommeil toutes nos attentions sur un monde parfaitement loufoque érigé à notre initiative et d'un intérêt douteux à l'instar du film dont je vous parle.

Pas plus tard que ce matin je me suis réveillé en me demandant pourquoi dans mon dernier rêve j'avais acheté une maison au bord de l'eau en Angleterre à quelque pas d'un pub bruyant et fréquenté par des autochtones aussi bruyants que francophobes. Bref encore un rêve profondément débile. Je ne renie en rien la part imaginaire de mes rêves, mais en revanche, je ne tire aucune fierté de leur aspect totalement irrationnel et dont je me serais bien passé. Il vaut quand même mieux acheter une maison en Corse que sur la cote est de l'Angleterre non ?

Mais voilà le surréalisme, comme nos rêves, ont des raisons que la réalité ne connait pas. The Lobster est comme un témoignage capturé par la pellicule d'un rêve débile parmi tant d'autre. Il y a donc deux sortes de rêves. L'un qui est plutôt du domaine du qualificatif  le rêve " du week-end de rêve" qui ressemble curieusement à son cousin biblique le paradis et puis il y a l'autre rêve, celui figuré par The Lobster, celui que nous faisons tous, une nuit ou l'autre, en repassant par exemple pour la énième fois son bac, ce qui est toujours mieux que d'arriver tout nu en pyjama à l'école. Vraiment on n'a pas mieux à faire dans l'inconscient de notre sommeil que de s'inventer des rêves qui ressemblent curieusement dans le fond à un film humiliant comme The lobster.

La littérature sur le rêve est minime. Le français nous offre cette chance de partager le bon grain de l'ivraie en appelant songe, nos rêves les plus nobles. Songer c'est déjà penser. Nos songes nous portent conseils. Bergson consacre à nos rêves un fascicule encore plus maigre que sur le rire, quand à Freud le rêve l'intéresse plus dans l'analyse que dans son ontologie. Ce qui n'a rien d'étonnant sachant que le petit père de la psychanalyse n'a jamais perdu de vue qu'interprétation rime avec facturation.

L'humanité passe et cela depuis des millénaires, de plus en plus de temps à rêver, puisque l'on dort mieux et plus nombreux siècle après siècle. Pourtant cela n'intéresse pas grand monde. Sans doute parce que personne n'ose aborder la question qui se cache derrière nos nuits : "Quelle est la réalité d'un monde qui n'en aurait pas ?" ou "Quelle seraient les règles d'un monde sans nécessité ?".

Le rêve au même titre que le film The lobster nous montre que ne la suréalité n'est pas invivable mais hautement instable et qu'au lieu de nous offrir la liberté, elle nous emmène chaque nuit dans un monde aux lois arbitraires auto proclamées, souvent façonnées par la honte de ne pas être à la hauteur. Ainsi sans surprise, la première partie du film est entièrement basée sur la honte d'être célibataire et donc la nécessité  d'imposer le couple non plus comme désir d'être deux mais comme loi.

On peut d'ailleurs noter avec amusement que lors de la cure de remise en couple de l'un des célibataires on lui demande ses affinités " homo " ou "hétéro" sans aucun a priori moral, la notion de couple ayant pris une dimension morale bien supérieure à celle anecdotique de l'attirance sexuelle. Bien sûr comme l'ennemi de tout système est le doute, le scénariste n'a pas résisté à l'idée de faire dire à son héros cette interjection "Peut-on cocher les 2 cases" répudier par un "non il faut choisir" parfaitement systémique.

Le film est absurde, mais pas très drôle, ni même angoissant, il s'enlise dans l'absurdité de règle à la manière de rêve dans lequel on finit aussi par s'enliser. J'ai personnellement souvent des problèmes pour me déplacer vite dans la fin de mes rêves.

Dans la première partie du film nous sommes dans le monde des couples, où les célibataires sont vus comme des anormaux. Dans la seconde partie du film (où l'on s'ennuie pas mal) le monde résistant des célibataires voit le couple comme le mal. L'amour libre et incertain n'a pas sa place dans The lobster on doit choisir son camp, celui des couples ou des célibataires. Le film nous enferme dans un système où l'on finit par se demander si il ne vaut pas mieux surnager dans le doute que de s'enfoncer dans nos convictions. Le système totalitaire de nos rêves nous offre une terre irrationnelle qui curieusement nous enferme, le doute de l'éveil nous offre une terre commune mais contradictoire sur laquelle on peut choisir de surfer ou de se noyer.

Dans The lobster on est soit homo, soit hétéro, soit célibataire, soit en couple. Pas d'exception, que des règles, pas de bug que des programmes et des cures. The lobster est un film profondément inintéressant comme le sont nos rêves, il n'y pas d'échappatoire dans le suréalisme en général, car l'impossible est déjà prévu. Si la suréalité doit exister, elle finira toujours par ressembler à ce film. Elle produira in fine un  profond dégout de tous les systèmes et nous conduira à préférer les approximations de la vie. C'est sans doute pour cela que notre héros choisit de se métamorphoser en homard qui est l'animal qui lui offre la plus longue espérance de vie.


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