Chocolat


Chocolat est avant tout un film de clown. Même si cette histoire veut nous plonger dans les stéréotypes racistes qui ont cours sur les noirs à la fin du 19ème siècle en France, ce film reste un film d'abord sur le rire.
Tout le film se base sur l'idée que le succès de Chocolat vient d'une situation ambigüe où le clown blanc, Footit, passe son temps à botter les fesses d'un clown noir, Chocolat, pour nous faire rire.

Lors d'un séjour en prison faute de papier, le clown Chocolat rencontre un intellectuel noir qui partage sa cellule et qui lui fait prendre conscience de la situation d'infériorité dans laquelle il se met ainsi que la race qu'il représente. A partir de là tout bascule pour lui, il se fait même vendre l'idée d'interpréter Shakespeare en incarnant Othello au théâtre après avoir démissionné du Nouveau Cirque. Tout cela alors qu'il croulait sous les dettes de jeux et qu'il laisse son partenaire sur le carreau.

Le film dépasse largement l'idée qui est développée au premier plan à savoir : les manifestations de racisme de base et nous conduit en arrière plan dans les méandres complexe de l'orgueil où le racisme vient puiser ses forces.

Au cours du film, Chocolat nous raconte sa vie et tout les boulots qu'il a dû faire depuis son Afrique natale pour parvenir un jour jusqu'au petit cirque Delvaux où il sera finalement remarqué. Tous ces boulots ont été pour lui ingrats et humiliants, jusqu'au jour où il découvre le cirque. Une enceinte qui recrée un monde dans un monde et où comme il le dit lui même : "tout lui va". ll suffit ainsi d'une toile tendue pour séparer Chocolat et ses spectateurs du monde réel. Dans l'enceinte du cirque, on peut rire de tout. Chocolat fait peur au public en se faisant passer pour un cannibale, cela lui va. Il devient un clown martyrisé par un autre, cela lui va aussi, car tout cela ce n'est pas pour de vrai, c'est pour rire et il en est conscient.

La morale n'a rien à faire dans un cirque où tout est permis et donc où le sérieux n'a pas sa place. Le problème est que le rire s'amuse du sérieux alors que le sérieux ne sait pas cohabiter avec le rire. Chocolat s'amuse à faire le cannibale pendant que les spectateur s'amuse à avoir peur, jusqu'au jour où le sérieux rentre sous le chapiteau introduisant le cynisme et l'ironie dans la pureté de nos rires d'enfants pour finalement nous imposer dans le meilleur des cas l'ennuie du politiquement correct.

Qui du rire ou de l'intelligence aura le dernier mot ? D'une part un clown blanc déprimant qui nous explique que le rire est une science et beaucoup de travail, de l'autre un clown noir qui ne s'applique pas et qui fait rire tout le monde à ses dépends.
Le clown est-il finalement un artiste ? Peut être pas. Car la notion même d'artiste est un carcan qui rétrécit le seul art qui vaille, celui de vivre. Le drame de la vie de Chocolat, c'est d'avoir cru cet intellectuel de la négritude incarcéré avec lui qui par orgueil l'a convaincu qu'il ne pouvait plus être celui qui se fait tout le temps botter le cul. Car dans le monde contraint de l'intellectuel un artiste se doit d'être engagé. Chocolat se doit en tant qu'artiste noir le plus connu de France de s'engager pour la cause noire et de faire évoluer la perception de l'homme ordinaire.

Le baroud d'honneur de Chocolat consistera à battre le clown blanc lors de sa dernière représentation pour montrer qu'il n'avait pas à être l'éternel souffre douleur du blanc pour faire rire le public et de prouver que l'effet comique marchait aussi bien dans l'autre sens.

Ce que Chocolat ne voit pas c'est que le clown blanc et anxieux, rongé par une homosexualité inavouable. Là où Chocolat a la force d'être noir et de rire dans une société qui le dénie, le clown blanc est mal dans sa peau et incapable de rire de lui même. Son orgueil l'empêche de se faire botter le cul même pour rire puisqu'il n'arrive pas à être lui même. Le sketch le plus révélateur du film est sans doute cette courte séance pleine de drôlerie et d'érotisme où le clown blanc travestie en geisha court après Chocolat qui n'a pas envie de coucher avec elle. Chocolat s'amuse du sexe alors que Footit en est la victime.

Chocolat, au lieu de comprendre tout cela et pourquoi son duo ne peut plus évoluer pour laisser une place plus équilibré aux deux vedettes, il se vexe. Pourquoi donc aller jouer Shakespeare quand on a la chance de faire rire, si ce n'est par orgueil.

On découvre ainsi avec l'histoire de Chocolat le début d'une nouvelle donne dans la conscience humaine. Avant la révolution industrielle le clown était seul et faisait rire de lui par sa maladresse, le cirque nous centrait sur un monde clos national où l'on rit de soi machinalement lorsque l'on se retrouve dans une situation ridicule en prenant le public à témoin. Le nouveau duo de Footit et Chocolat ouvre une nouvelle ère dans l'histoire du rire en introduisant simultanément deux clowns sur la piste figurant ainsi la mondialisation. Cette nouvelle donne ne laisse plus la place belle à l'humour qui est cette force de rire de soi même et qui a fait la force de l'empire anglais, mais propose une nouvelle forme de rire à la fois plus radicale et plus humble qui consiste à faire rire les autres à ses dépends. Cette humilité Chocolat l'avait sans le savoir alors que Footit, le clown blanc savait qu'il ne l'avait pas. Et c'est pour cela qu'il a eu tant besoin de Chocolat pour rentrer dans cette nouvelle dimension du rire qui consiste à déclasser l'auto-dérision au simple rang de coquetterie de l'orgueil pour engager une nouvelle forme de rire née de l'humilité. Un nouveau rire qui assurera un jour la cohérence du monde universel né de la révolution industrielle.

Ce duo de deux clowns, l'un gay, l'autre noir qui n'ont pas leur place la société du 19ème siècle veut imposer un nouveau rire qui consiste à rire de nos différences et donc inévitablement à nos dépends. Un monde olympique où nos fiertés retourne dans l'arène pour que l'on s'en amuse et qui profitera hors de l'arène des plaisirs dérisoires de la paix.
La grande cause de Chocolat n'était donc pas dans l'orgueil de pouvoir interpréter Othello mais dans son envie de bénévolement faire rire les enfants des hôpitaux. Pour ceux qui en doute encore Chocolat nous montre dans la misère de la fin de sa vie que tout ce qui ne fait pas rire les enfants n'est finalement que vanité. Pourquoi avoir honte puisque nous serons tous à la fin chocolat ?

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