To bip or not to bip
Notre corps veut vivre, notre esprit veut exister. Notre
esprit peut exister au delà de la mort de notre corps, mais il ne peut plus
vivre. La capacité de notre esprit à se heurter à l’expérience de l'action
s'arrête avec la mort de notre corps. Notre pensée se fige. Nous ne pensons
plus. Notre corps devient poussière, et notre pensée matière.
L’intelligence qui anime l’humanité supporte de moins en
moins l’idée de dépendre du corps de l'homme pour survivre. Il lui faut trouver un corps qui perdure.
Le corps
humain a acquis une durabilité remarquable grâce au progrès de la médecine.
Néanmoins la petite centaine d’années que nous offre notre organisme est loin de
satisfaire le besoin de conscience de l’intelligence humaine. On écrit, on
archive, on célèbre, on commémore, on récite pour se souvenir,
pour arriver à tirer avec nous toutes les casseroles de l’humanité que nous
appelons pudiquement culture.
Quand on regarde la taille de notre main par rapport à la
taille d’un clavier sur un iphone, on se rend vite compte que dans un monde qui
se miniaturise, notre enveloppe humaine commence à faire figure de dinosaure. Il nous faut à
tout moment des lunettes pour grossir le monde qui nous entoure, au point de se
demander si vieillir ce n’est pas rester étrangement grand, quand tout devient
petit.
L’homme veut bouger et communiquer en même temps. Et c’est
un problème. Il est trop gros
Si le corps veut bouger pour faire de l’exercice, l’esprit
veut bouger pour atteindre quelque chose ou quelqu’un. Le corps a besoin de
bouger alors que l’esprit a besoin de communiquer pour ne pas s’enkiloser. Il
est probable que nous allons de moins en moins bouger et de plus en plus
communiquer, en contraignant notre corps pour libérer notre esprit.
Et notre corps, alors, que va t-il devenir dans un monde
technologique où l’esprit devient roi ? Et bien l’esprit collectif va devoir
gérer le corps de chacun. Il y a bien longtemps que l’intelligence humaine sait
que le corps humain est un
héritage encombrant qu’il faut gérer au mieux, pour protéger notre
intelligence.
Pour cela l’intelligence a un plan. Gérer notre corps à
notre place. Pour notre intelligence, l’homme est un troupeau. On nous élève
dans le parc humain pour le meilleur rapport éducation/productivité, et cela
dans un but unique : servir l’intelligence humaine qui dépasse depuis longtemps
l’entendement d’un seul homme.
Nous allons donc assister à un glissement de conscience. Notre
conscience d’homme va s’éteindre au profit d’une conscience supra humaine.
Quand je me relis j’ai l’impression d’être en pleine science fiction et pourtant.
La vie nous a donné l’envie de vivre, notre conscience le
plaisir de vivre. Mais y a t-il un plaisir de vivre sans un droit de
mourir ? Non. Or si notre civilisation renforce en permanence nos droits
de vivre, elle empiète régulièrement sur nos droits de mourir. Elle nous
dépossède ainsi régulièrement du
plaisir de vivre pour le transformer en obligation de durer. Ce plaisir, détruit
à notre échelle, vient se transposer à un niveau supérieur : le plaisir de
voir vivre notre intelligence collective. Plaisir qui en s’accumulant formera tôt
ou tard une conscience collective.
C’est Ulysse le premier qui a eu le culot de
répondre « personne » à la question « Qui a aveuglé le
cyclope ? ». Faisant de l’existence de l’homme un paramètre plutôt
qu’une réalité face aux dieux. To be or not to be voilà la question de
l’homme face à son intelligence. Va t-on finalement vivre pour autre chose que
soi ? La ceinture de sécurité que nous mettons dans notre voiture, n’est que la
première de nombreuses sécurités qui seront imposées à notre corps pour ne pas mourir,
aliénant ainsi notre libre arbitre et notre plaisir immédiat au profit de
quelque chose de plus grand que nous devinons mal et qui semble se résumer pour l'instant à
cette simple question quand nous prenons le volant : « to bip or not to bip ».
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