ARGO : C’est moi qui l’aie fait
Même quand on a tout le temps que l’on veut, on se retrouve
curieusement à ne pas voir au cinéma les films oscarisés. Heureusement que
l’industrie du divertissement nous sert de près en nous proposant dans des
délais de plus en plus courts la version en DVD de ce qui devrait devenir les
futurs classiques de l’art cinématographique.
Ainsi il nous suffit donc de glisser le DVD de Argo dans notre
sac de ski, pour pouvoir découvrir la dernière cuvée multi oscarisée de
Hollywood dans notre canapé d’altitude du Val Claret.
Argo est l’archétype du film vrai. C’est une vraie histoire,
c’est vraiment arrivé ! En plus d’être vrai, les 30 années qui séparent
les faits de son arrangement pour le cinéma donnent à Argo valeur d’histoire. Argo
pour l’Amérique n’est donc plus une histoire vraie, mais purement et simplement
son histoire.
Le temps qui s’est écoulé depuis les faits nous donne
paradoxalement le détachement nécessaire pour les analyser à froid, mais nous
enlève en même temps toute possibilité d’interprétation supplémentaire. C’est
arrivé comme ça. Point barre.
Argo illustre parfaitement ce temps de recul nécessaire à
l’histoire, puisqu’il s’agit d’une histoire secrète jusqu’au jour où elle ne
l’est plus. C’est donc la CIA elle même qui par le jeu du secret et de sa
divulgation donne une valeur d’histoire à son action, car elle seule se donne
le droit de juger quand les vrais faits, la vraie histoire peut enfin voir le
jour.
Quelle jubilation pour un américain de mettre en scène la
diplomatie (somme toute insignifiante) du Canada, comme marionnette de leur
propre action héroïque, et dont la fausse modestie montrera finalement , grâce
au film Argo, son vrai visage !
Pourquoi inhumer aujourd’hui Argo, cette affaire enterrée, si
ce n’est pour dire que l’important
n’est pas tant que les otages soient sains et saufs, mais qu’ils aient bel et
bien été libérés par leur pays. Argo me fait penser à cette ménagère qui après
avoir récolté quelques compliments auprès de ses convives se prévaut d’un
« c’est moi qui l’ai fait » qui lui apporte ce supplément de bonheur
que l’on appelle autosatisfaction.
Avec Argo on nage en pleine autosatisfaction. Car en plus
d’un fond éminemment narcissique pour une production américaine, sa forme elle
aussi atteint des records au
mondial de l’auto….satisfaction. Mis en scène par Ben Affleck pour Ben Affleck.
Et comme chez les Affleck on n’est jamais mieux servi que
par soi-même on se doute bien que Ben s’est réservé ce merveilleux rôle, celui
du sauveteur providentiel. Ce héro qui doit même aller à l’encontre de sa
propre organisation et « prendre sur lui » comme on dit, pour nous
sauver une brochette d’otages déboussolés par les extrêmes de l’islam. Car en
plus du message messianique un peu lourd, que notre acteur réalisateur semble
endosser sans complexe, Argo nous sert la soupe hyper tendance du film vintage.
Avec Argo, les années 80 ne sont plus ringardes, elles sont devenues
vintage comme les autres décennies avant elles. Et là on s’en donne à cœur joie,
à coup de moustaches ringardes et de binoculaires surdimensionnés. On vous dira
bien sûr que tout n’est que la retranscription des documents d’époque. Imparable.
En fait ce qui énerve le plus avec ce film c’est que tout est
imparable. Le scénario est en béton (c’est du vécu quand même) le suspense vous
saisit alors que vous connaissez pertinemment la fin. Les flics iraniens sont
normalement moches et méchants. Et il y a même cette petite gouvernante qui ne
dénonce pas les otages dans ce monde ultra délétère, qui nous laisse entendre
que même en Iran on peut avoir un cœur, et aimer les américains. Ouf.
Vraiment il n’y a rien à redire, c’est factuel, c’est bien
monté, et cerise sur le gâteau le choix d’Argo ce scénario de Science Fiction persienne
comme couverture de toute l’opération qui semble apporter une grain de dérision
dans cette histoire si tristement sérieuse. Malheureusement la dérision est si
peu présente dans tout le film que cette histoire n’apporte aucun ressort
comique à Argo. C’est bien dommage on aurait quand même pu rire un peu dans ce
film, même si dans la réalité on sait que tout le monde avait le trouillomètre
à zéro. Mais faire rire c’est toujours prendre un risque. Et si il y a bien un
truc que Ben Affleck n’avait pas envie de prendre pour ce film contrairement au
héro qu’il incarne, c’est bien un risque. Mais quel risque peut-on bien prendre
au cinéma quand tout n’est que fiction, si ce n’est le risque de ne pas avoir
un ou plusieurs Oscar ?
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