Flamenco
Le flamenco ne se laisse pas facilement apprivoiser. Il suffit d'aller sur internet pour découvrir que tout le monde achoppe sur son étymologie. Le flamenco est un mot sans origine avérée malgré de nombreuses supputations. Il semble que cela suffise parfois à rebuter ceux qui voudraient que tout s'explique. Tant mieux car le flamenco est justement quelque chose qui ne s'explique pas mais qui se ressent.
Non seulement le flamenco est un mot sans racine, un mot nomade qui prendrait donc le sens qu'on lui donne, mais en plus c'est un genre qui ne tient dans aucune boite artistique. Ni danse, ni musique , ni chant, ni pure rythmique, il est plus que ça. Non pas qu'il a l'arrogance de vouloir surpasser les autres formes d'art, mais surtout parce qu'il est le mélange de toutes ses formes artistiques qui en fait un art à part. Il y a beaucoup de littérature sur le flamenco et de terminologie, sûrement parce que le flamenco reste une forme artistique jeune qui ne s'est ouverte au grand public que depuis le 19ème siècle. On le sait faute histoire et d'expérience, on formalise toujours trop ce qui est jeune.
De quoi nous parle le flamenco. Ce mot m'a toujours fait penser d'abord à une flamme. Pas la flamme que l'on déclare au bien aimé, l'autre celle qui qui nous fait vivre. Le flamenco est une danse qui allume le feu de la vie comme on tape sur des silex pour faire jaillir une étincelle qui va finalement nous réchauffer le corps et le coeur.
Le flamenco est un coeur à corps. La flamme de l'esprit veut quitter le corps en s'évertuant à tournoyer et en tapant des pieds mais n'y parvient pas. Comme le danseur de flamenco, nous sommes tous des possédés. Possédés par notre propre moi qui voudrait se défaire de notre enveloppe mais qui n'y parvient pas. Voilà pourquoi le vêtement a un rôle si important dans le flamenco car il n'est que la métaphore de notre propre enveloppe charnelle.
Regarder cette sévillane qui chasse en permanence la traine de ses jupons pouvoir danser, faisant de mauvaise fortune bon coeur en tirant le mieux parti de l'enveloppe de poix et de volant qui la compose. On ne pourra jamais danser le flamenco nu car le corps dans le flamenco n'est pas sublimé il est vécu par l'habit. Cette danse nous renvoie donc à nous même pauvre mortel qui devons nous mouvoir avec ce corps qui enferme notre flamme mais qui va mourir avec elle. Cette colère que dégage le flamenco c'est ce combat que nous livrons pour ne pas mourir alors que nous n'y échapperons pas. On nous oblige à jouer à un jeu où l'on sait que l'on va perdre. Dans ce jeu de dupe qu'est la vie, il n'y qu'une manière de limiter la casse. Perdre avec panache la tête haute.
Tout l'exercice du flamenco est donc de canaliser cette colère née de l'injustice de notre propre mort dans une théâtralisation, proche parfois de la transe, qui va nous mener au point culminant celui de la fin, du salut final, du départ pour de bon. Le flamenco c'est l'art de dire adieu, l'art de partir sous les applaudissements. Accepter sa mise à mort comme on accepte celle du taureau, reconnaitre finalement que l'on va tous, un jour ou l'autre, partir et finalement de décider de le faire en beauté.
Bien sûr cette lente transformation de notre être qui veut vivre et qui va être assassiné par son propre corps se fait dans la souffrance. C'est tout le rôle du chant qui vole entre les tonalité pour nous montrer l'incertitude du voyage de la vie qui nous conduit droit vers la mort. La mélodie est plaintive et fragile elle doit nous montrer le doute qui nous envahit face à la mort et cela en modulant des notes qui ne sont pas inscrites sur la portée. Le chant du flamenco ne peut donc pas se codifier, car le code ne laisserait aucun doute.
La musique du flamenco est une musique qui existe entre les lignes de la porté . Il en va de même du rythme. Le flamenco aussi fracassant soit t-il est à l'opposé de la marche militaire puisqu'il pousse l'art de la syncope jusqu'au son paroxysme. Les joueurs de flamenco ne jouent pas en cadence, ils s'écoutent et s'ajustent l'un par rapport à l'autre un peu comme ces oiseaux migrateurs qui changent tous de cap sans qu'aucun n'ait de plan de vol formel. Le flamenco est une musique du voyage. Les mains de la danseuse sévillane par leurs mouvements précis nous renvoient aux danseuses orientales d'où est issue la culture gitane, alors que l'impétueuse andalouse tape du pied face à l'injustice d'une vie trop courte ou trop douloureuse. La vie ne donne qu'une récompense celle des applaudissements ce sentiment grandissant qui se matérialise dans le flamenco par le battement des mains qui rythme nos battements de coeur et qui finiront en applaudissement. Ces mains qui frappent figure la seule porte de sortie qui peut nous épargner de nous épancher sur la médiocrité de notre petite existence. Cette intime conviction qui nous fera sourire lors de notre dernier souffle cette belle fierté d'avoir sans doute fait de son mieux. Olé !
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