The Substance
Tous les problèmes de conscience nous divisent. Cette fracture entre l'idée que l'on a de soi et la réalité de notre existence (c'est à dire de nos actions) nous torture. Depuis sa plus jeune enfance Coralie Fargeat la réalisatrice du film The Substance ne parvient pas à réconcilier l'idée que l'on se fait d'elle en tant que femme et celle qu'elle est vraiment. Au lieu d'abdiquer face au poids social, Coralie Fargeat se révolte contre une représentation de la femme dans notre société qui ne lui convient pas. Sa révolte et son dégout face aux poncifs de la féminité l'exaspèrent d'autant plus qu'elle les refuse tous en bloc. Elle n'essaye pas de faire valoir une image plutôt qu'une autre de la femme moderne, mais elle les renie toutes en criant de toutes ses forces "mais foutez nous la paix". Laissez-nous être la femme qu'on veut comme on veut hors de tout jugement.
Là où le film fait mouche, c'est qu'il ne se limite pas à faire le procès du regard misogyne des hommes sur les femmes, mais rentre à l'intérieur du cerveau des femmes en questionnant leur propre misogynie vis à vis des autres femmes mais aussi vis à vis d'elle-même. Tout le génie du film est de ne pas recourir à une voix off qui nous ferait deviner le trouble que chaque femme traverse en évaluant les dégâts du temps face à son miroir, mais de diviser chaque femme en 2 nouvelles femmes. L'une profitant à fond des plaisirs de la jeunesse au détriment d'une autre qui n'en serait que la spectatrice désabusée et le dindon de la farce.
Ces 2 femmes, qui n'en sont en fait qu'une, vont donc pouvoir s'affronter en traduisant de manière très concrète à l'écran toute la violence que ressent chaque femme dans son for intérieur entre ce qu'elle voudrait être et celle qu'elle s'impose à elle-même à cause des représentations sociales de son sexe
Le recours au film d'horreur est pour le réalisatrice le meilleur moyen d'illustrer le dégout d'elle-même que la représentation de la femme lui impose. Les 2h20 de malaise que l'on ressent en visionnant le film nous donne un petit aperçu de ce que Coralie Fargeat ressent en tant que femme chosifiée. La musique et les images gore, la nudité crue de Demi Moore, la salle de bain inhumaine, tout contribue à nous faire sentir la révolte et le dégout de la réalisatrice. Ce dispositif est si efficace que les actrices n'ont quasiment plus besoin de parler pour nous faire sentir ce qui se joue à savoir le combat de la femme face à sa propre misogynie. Au lieu de nous soûler avec des discours, The Substance met en image la conscience des femmes face à leur propre image.
Pour fonctionner pleinement le scénario de The Substance avait besoin d'une star américaine pour incarner ce désir illusoire de jeunesse éternelle. Il faut saluer le courage de Demi Moore d'avoir accepté d'incarner le rôle déjanté écrit par la réalisatrice. L'implication physique et morale de Demi Moore dans ce film lui donne une force inédite. Au point que la performance de l'actrice contribue à l'existence même de ce film qui devient une œuvre où le corps de Demi Moore est totalement mis au service de l'esprit de Coralie Fargeat pour former une œuvre dont elles sont toutes les deux les créatrices à part égale.
Les femmes vont elle-être digérées par la société et ses représentations réductrices malgré les gesticulations féministes ? Le rôle des interminables couloirs dans la mise en scène sont là pour nous rappeler les boyaux dans lesquels nous nous débattons sans pour autant enrayer le travail de digestion de nos âmes. Ou alors allons-nous comme l'ont fait Coralie et Demi nous allier pour faire sortir de nulle part des œuvres iconoclastes comme The Substance jugé trop subversif par les studios Universal. Ce film à la fois génial et indigeste nous montre la voie pour éviter d'être broyés par des représentations qui ne nous ressemblent pas en nous faisant passer pour des monstres que nous ne sommes pas.
Je vous recommande chaudement ce film.
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