12 years a slave


Parmi les nombreuses vertus de la beauté, il y a celle de pouvoir nous montrer l'insoutenable. L'esthétisation de la misère humaine est un grand débat qui hante la production artistique et auquel bien sûr le cinéma d'Hollywood n'échappe pas. Faut-il montrer l'horreur et si oui comment ?

12 years a slave est un film qui choisi d'utiliser la beauté de l'image pour nous aider à descendre dans la laideur de ce que l'âme humaine peut faire de plus vile. 12 years a slave n'est pas le premier film fait par un artiste contemporain ; mais il est définitivement le premier film qui utilise toute la mécanique d'Hollywood pour parvenir à ses fins. L"audience et les Oscars sont là pour nous prouver que Steve McQueen a parfaitement réussi le tour de force de devenir un "cinartiste".

Le film de Steve McQueen, au delà d'être un film sur l'esclavage, est un film sur le flou des lignes que l'on aimerait à tord voir nettes. L'histoire que nous conte se film n'est donc pas sur une opposition manichéenne ou dialectique entre le maître et l'esclave, mais plutôt sur la relativité de ces concepts.

On peut être noir et libre à Boston et esclave à la Nouvelle Orléans à la même époque. Où et comment se passe ce basculement qui fait disparaitre la ligne qui sépare l'homme blanc du noir ? On passe forcément par le flou avant que ce que l'on croyait être une barrière, ne s'évapore.
D'un côté des hommes qui se ressemblent, de l'autre des droits qui les séparent.
Suis-je libre ou esclave, cela ne dépend plus de nous mais d'autres qui décident quels sont nos droits.
Face à l'injustice que nous ressentons nous avons plusieurs attitudes possibles.
Celle du premier propriétaire qui apprécie son nouvel esclave pour ses qualités humaines et son éducation, il va jusqu'à lui offrir un violon, mais qui ne peut pas se permettre financièrement de le rendre libre (il a une hypothèque sur lui). Sa morale se résume à une phrase laconique :"Tu ne peux pas être libre car ça me coûterait trop cher".

Le second propriétaire est lui convaincu que son droit de propriété lui donne tous les droits sur ses biens. Je fais ce que je veux de ce qui m'appartient. 12 years a slave nous fait donc buter sur deux remparts qui semblent s'élever contre une certaine forme de justice universelle : la logique économique et le droit de propriété.

Bien sûr avec le recul tout le monde peut regarder ce film avec la bonne conscience d'un Brad Pitt, charpentier canadien, à la vision abolitionniste et qui fera finalement en sorte de rétablir la liberté de notre héros perdue 12 ans auparavant lors d'un kidnapping. Kidnapping rendu possible grâce à l'appât des gains théoriquement possibles par l'utilisation de ses dons musicaux.

Mais la philosophie n'est pas là pour nous conforter dans tout ce que l'on pense avoir fait de bien dans le passé mais pour nous questionner en permanence sur le présent. Philosopher c'est avant tout abolir en permanence la bêtise d'accepter l'absurde d'aujourd'hui. Alors de qui sommes-nous les négriers ? On peut noter, par exemple, que les animaux ne sont plus considérés comme des biens mais depuis cette année comme des êtres conscients en France. On ne fait plus la distinction entre l'homme et l'animal. Le flou qui sépare l'homme de l'animal conscient est une réalité plus vraie que la ligne dure qui était sensée se dessiner entre un être avec ou sans âme.
En revanche les animaux en terme de droits son toujours considérés comme des biens. La loi en donnant une conscience aux animaux sans pour autant émanciper leur statut vient d'officialiser des être conscients en bien commercial, chose qui ne s'était pas produite depuis l'abolition de l'esclavage.

Le capitalisme nous pousse dans les travers néfastes du "c'est à moi" que l'on essaye pourtant de chasser de la bouche de nos enfants. Ne trouvez vous pas scandaleux que les ayants droits de Marvin Gaye aient pu gagner un procès contre Robin Thicke et Pharrell Williams pour avoir produit une chanson qui s'inspire  de Got to give it up ? On ne parle plus de plagiat, c'est à dire de reproduire la même séquence de notes ou d'accord d'un morceau à un autre, mais d'un style qui serait similaire.

Il y a une certaine ironie de penser que cette chanson Blurred lines que nous avons mise sur le montage de notre film de mariage et qui a été désactivée sur YouTube, faute de droits, se trouve elle même attaquée par les ayants droit de Marvin Gaye pour usurpation de style de leur ancêtre.

On a juste envie parfois de dire stop. Pourquoi ne pas admettre que la musique est aussi vivante que nous et qu'à ce titre ce n'est pas un bien et qu'elle a le droit d'être libre.

Dans le film, 12 years a slave le héros est au départ un homme libre qui joue du violon. Ce violon le suivra durant tout le film pour nous montrer que la musique et la liberté son intiment liées. Au plus profond de sa mélancolie il brisera son violon comme on renonce à sa liberté écrasée par la dépression de la répression .

Arbitrer la semaine dernière en faveur d'une amende de plus de 7 millions de dollars pour s'être inspiré d'un morceau d'un musicien que l'on apprécie est le signe d'une société favorisant la propriété sur l'universel, la protection sur l'inspiration. Comme au temps des esclaves la logique économique semble faire tenir debout cet édifice absurde.

En mêlant art et cinema Steve McQueen brouille les pistes et les codes de l'art contemporain qui se fondent sur la rareté, alors que le cinéma recherche l'audience bon marché. Se nommer lui-même Steve McQueen, brouille les pistes avec son illustre prédécesseur, qui lui aussi a su dépasser son statut d'acteur, pour devenir un style à part entière.

Le monde capitaliste rêve de privatiser le style puisqu'il est la source de jouvence des marques. Coco Chanel ne disait elle pas que "la mode c'est ce qui passe, le style c'est se qui reste". La mode est matière, le style est mouvement. On ne peut pas enfermer le mouvement dans un cadre même juridique. La créativité est une ligne floue. Blurred lines n'appartient à personne pas plus que Got to give it up. Deux œuvres aux noms prémonitoires de ce que les droits sur la musique doivent devenir.

I got to give it up marvin Gaye

Blurred Lines , Pharrell Williams et Robin Thicke

Traductions
Blurred lines : Lignes flous
I got to give it up : Il faut y renoncer

Notre photo : Steve Mcqueen

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Ca va décoiffer !

La liberté guidant le peuple ?

Soirée Stations de Métro