Birdman


Il va bien falloir que je vous parle de Birdman. On ne peut pas animer un semblant de chronique sur le cinéma et faire l'impasse sur le film qui remporte cette année 4 Oscars.
Comme vous l'avez compris mon propos n'est pas de vous dire si un film est bon ou mauvais en soi, il existe de nombreuses sources pour savoir si un film est bon ou mauvais, mais de tenter de cerner le message qu'il porte sur la société actuelle. Bref en quoi l'écran du cinéma est un miroir de notre propre société.

Bien sûr l'exercice n'est pas toujours facile, surtout quand le film au premier abord est décevant, ce qui est le cas de Birdman. Il me faut en général un temps de latence pour me défaire de l'opinion négative que j'ai sur un film pour arriver à voir ce qu'il porte au delà de ses qualités ou carences cinématographiques. C'est un peu comme si je devais vous parler du cinéma au 2ème degré. Sorte de vision ironique du monde qui aurait le pouvoir de rendre cool des choses qui ne le sont pas.

Le Birdman du premier degré est convenu et ennuyeux, opposant les grandes productions hollywoodiennes sous franchises au théâtre de Broadway. Ce thème tourne en rond et le film, à ce niveau, ne nous apporte rien. Quant à la prouesse technique de plan séquence unique elle apporte assez peu de valeur ajoutée à l'histoire, elle aurait même tendance à démystifier le cinéma en obligeant le spectateur à se pâmer sur le procédé plutôt que sur le résultat. Un peu comme ces mauvais vendeurs de voitures qui vous ouvrent le capot du véhicule qu'ils souhaitent vous vendre, plutôt que de discuter avec vous de ce que vous voulez en faire. On se fout pas mal de savoir comment les réalisateurs font du cinéma, pourvu que ça roule. Or il semble qu'un bon nombre de spectateurs soit finalement aller voir Birdman pour un plan séquence plutôt que pour son histoire.

Le réalisateur Alejandro Gonzalez Inarritu voulait sans doute nous parler de la célébrité. Et c'est bien de ça qu'il s'agit dans le film. Le film après réflexion transpire de toute part les angoisses que crée dans notre monde l'apparition rapide des réseaux sociaux. Ce film ne nous parle ni de cinéma ni de théâtre, mais bien de notre propre célébrité par le truchement d'internet. Personne n'y échappe pas même les plus puissants. On sait ainsi que que Obama possède 56 millions de followers sur Twitter contre seulement 900 000 milles pour Hollande. Birdman n'est donc pas le super héros que l'on croit mais bien ce pouvoir que l'on espère tirer d'être écouté quand on se met à gazouiller.

En transposant Birdman dans l'impitoyable cyber espace du net électrisé par les désirs narcissiques et destructeurs de la célébrité, les personnages du film prennent une autre dimension.
Le héros du film n'est plus le pathétique Riggan Thomson, mais bien sa fille Sam omniprésente dans les coulisses du théâtre d'un bout à l'autre du film. Sam incarne les réseaux sociaux, cette tentation que nous avons nous-mêmes de participer par le net à la célébrité. Non plus cette ancienne célébrité à la voix caverneuse qu'est censé incarner le personnage de Birdman mais ce nouvel univers où la célébrité est distillée jour après jour par les réseaux sociaux. Sam va se battre pendant tout le film contre Birdman et elle va gagner haut la main, qui plus est de la manière la plus humiliante possible, en tirant la chasse de la salle de bain de la chambre d'hôpital de son père pour le faire disparaître à jamais.
A la fin du film les jeux sont faits. La célébrité n'appartient plus ni au théâtre ni même au cinema, mais bel et bien au net. Pour cela, Sam nous demande un "leap of faith" (un saut dans le vide) à travers la fenêtre qui n'est que la métaphore de notre propre écran d'ordinateur. Elle pousse son père, archaïsme d'une célébrité qu'elle considère comme suranné, à se convertir à la drogue du net.
Sam n'est pas une droguée en convalescence, elle est la drogue. Cette drogue qui vous pousse à passer de longues heures, plus que de raison, sur les réseaux sociaux pour exister.

Ce que Sam compte sur son rouleau de PQ ce n'est pas le nombre d'années que l'homme a bien pu passer sur terre. A vrai dire à part le réalisateur, tout le monde s'en contre fou. Mais c'est bien le nombre d'amis que vous avez sur internet. Qui vous " aime " ? Cette page de PQ avec cette centaine d'amis pointés au stylo bille ce n'est pas temps de l'humanité sur terre, c'est vous. Les réseaux sociaux redéfinissent les rapport sociaux. Nous sommes passés du "What do you do ?", "Where do you live ?" qui semblaient nous verrouiller une bonne fois pour toute sur la grille de valeur sociale,  à une nouvelle forme de crucifixion basée sur les deux questions suivantes " Who likes you ? " , "What do you like ?"

Le père de Sam est d'une autre génération et ne comprend rien à l'univers de Sam dont le seul but dans la vie est de comptabiliser vos "likes" sur du papier toilette. Elle va donc le convertir de force. Comment ? En l'enfermant en slip hors de son théâtre pour qu'il y rentre à nouveau par la grande porte. Internet est une mise en slip public. C'est l'étalage d'une vie privée sans nudité.

Sam nous propose donc une nouvelle célébrité. Une célébrité qui se mesure en temps réel en nombre de connexions. Connexions dont elle vante immédiatement le bénéfice à son père dès son apparition humiliante, mais médiatique sur Time Square. Time Square c'est internet. Mais Time Square, comme internet ne fonctionnerait pas sans les marques qui supportent la gratuité des connexions pour mieux moissonner les profits qu'il en tire. C'est là que le personnage de Mike Shiner prend toute sa place dans le film. Mike représente la marque. La marque est un concept et se complait donc dans des univers de plus en plus virtualisés.
Mais la marque pour exister à besoin de vécu. Mike incarne les phantasmes de la marque à plus d'un titre. Il veut remplacer le faux par le vrai. On ne fait pas semblant d'être saoul et il remplace l'eau par du gin. Les marques se shootent à la réalité parce que la réalité est la seule manière de transformer la célébrité en absence de nécessité, c'est à dire en or. Mike c'est la marque qui trique quand elle a de l'audience . Il y a donc une attirance immédiate entre les réseaux sociaux qu'incarnent Sam et la marque incarnée par Mike . Sam a besoin de Mike pour vivre, Mike a besoin de Sam pour exister. Sam connait la vérité de chacun, Mike peut agir en conséquence. Le désir le plus cher de Mike est bien sûr l'ultime fantasme de toute marque qui se respecte "voir le monde au travers des yeux toujours jeunes de Sam" et assurer ainsi sa pérennité.

Le mythe que nous décrit Birdman n'est pas le mythe d'Icare, Notre héros ne sait pas s'envoler vers le soleil, il ne nous a fait que quelques battements d'ailes dans les rues de New York pour finir dans les toilettes d'un hôpital. Le mythe que dessine Birdman est celui suggéré par les méduses. Ainsi Riggan confesse à sa femme, qui est maître de sa conscience, que les marques de brûlures qu'il a sur le corps ne sont pas celles du soleil mais celles des méduses. Le film inverse le mythe d'Icare en nous proposant un héros qui va se brûler non plus en allant vers le soleil de la vie, mais en plongeant dans l'eau du réseau peuplé de méduses transparentes.



Ne vient-on pas de découvrir que certaines méduses seraient éternelles ? Le voilà bien le graal de la célébrité  Ne voyez vous pas dans les yeux dilatés de Sam le même regard que celui de Médusa ?

http://www.wikistrike.com/article-une-meduse-immortelle-seme-la-panique-dans-le-monde-scientifique-91780694.html


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