La taxe Google au Rayon X

Vivons nous encore en France ? Si l'on vous demande votre adresse vous pouvez répondre par une adresse physique ou électronique, de même vous pouvez le matin aller chercher le journal dans un kiosque en bas de votre rue ou en ouvrant Google... . En ayant opté à 90 % pour le moteur de recherche Google ce qui est colossal ( le Numéro 2 est Bing avec un peu moins de 3 %), les français accèdent à l'information par une seule et même porte le portail Google.

A ce stade de domination pas étonnant que ce soit François Hollande en personne, assisté des ministres adéquates, qui reçoive aujourd'hui Eric Schmidt, le Président du conseil d'administration de Google (au centre de notre photo entouré des 2 fondateurs). Cette visite est d'autant plus intéressante que la France avec certains autres pays européens gambergent en ce moment sur une idée de taxation des moteurs en général et de Google en particulier pour dédommager les groupes de presse dont leur contenu se retrouve inévitablement en ligne dans le portail de Google.

Les groupes de presse, encore eux, ne sont jamais avares de bons conseils auprès du pouvoir et les voilà qui tentent à nouveau de tirer un peu la couverture à eux. Et bien oui la presse papier est moribonde, on le sait. Cela n'empêche pas nos milliardaires français de vouloir la contrôler pour s'arroger les grâces du pouvoir en tentant de  domestiquer l'opinion publique. Malheureusement l'opinion publique se distancie de plus en plus de la caricture inévitable que propose nos journaux. En plus cette presse papier engrange de moins en moins de recettes publicitaires. Résultat des courses, les danseuses en papier des milliardaires de la presse leur coutent de plus en plus cher avec des résultats sur l'opinion générale de moins en moins probants. Comme on le sait pour être un bon milliardaire il faut être radin à grande échelle et quand les déficits s'acumulent, il ne reste qu'une solution, faire appel à l'Etat (le même à qui l'on reprochera dans ses colonnes ne nous faire payer trop d'impôt).

 Il faut savoir qu'en terme de subvention la presse écrite nous coûte déjà plus de 400 millions en subventions, largesses dont les nouveaux acteurs en ligne de bénéficient pas. Demander des subventions n'est donc plus une option puisque c'est déjà fait. Alors que faire? Et bien faire des nouvelles lois et si possible des lois qui ne coûte pas trop à l'Etat, puisqu'il est lui aussi dans une mauvaise passe.

Pourquoi ne pas taxer les moteurs de recherche lorsqu'ils mettent à disposition de l'information éditée par eux? Ben tient. Le bon vieux serpent de mer de la propriété intellectuelle relifté avec une écaille dorsale de plus : "le droit à l'indexation". On pourrait ainsi taxer les revenus des nouveaux acteurs comme Google pour financer la vieille presse et ses rotatives à bout de souffle. Financer le passé avec l'avenir, glups. Le problème c'est que si les dirigeants de notre pays se font parfois un peu trop vite hypnotiser par les pouvoirs très relatifs de la presse hexagonale, Google a lui beaucoup plus les pieds sur terre depuis son siège international. La réponse de ses dirigeants ne s'est pas faite attendre : "Si vous voulez que l'on paye pour indexer du contenu et bien on ne vous l'indexe plus", ont-ils répondu à nos mini magnats de papier qui font gesticuler notre Président et ses ministres. Le problème c'est qu'avant de pondre une loi il faut être souverain. Et avec une utilisation quasi unanime de Google en France, se lancer dans un bras de fer avec Google pour tenter de renflouer la presse traditionnelle qui ne fait plus recette,  grâce à la planète web et ses nouvelles mannes publicitaires, c'est loin d'être évident.

Quels sont les vrais enjeux ? D'un coté nous avons quasiment  tous un passeport Google dans la mesure où nous passons tous par le portail Google pour collecter l'information qui nous intéresse dans le monde numérique d'Internet. De l'autre nous sommes citoyens français. La nationalité Française, s'impose à nous à notre naissance et en changer requière une démarche fort complexe et reste un phénomène marginal. A l'arrivée notre patrie nous impose des lois et des impôts. De l'autre Google ne nous impose rien, car en un clic vous pouvez décider de changer de moteur de recherche et utiliser Bing par exemple. Google tient son pouvoir de son hégémonie, non de sa relation contractuel entre vous et lui. Son service est gratuit et il est facile de s'en défaire.

La négociation qui va se jouer aujourd'hui préfigure les premiers symptômes de ce que sera l'hyperdémocratie. Qui peut encore prétendre contrôler l'information et la troquer contre de l'espace publicitaire ? L'indexation est à l'intelligence ce que l'information est à la mémoire. L'information publiée par la presse va devenir de plus en plus marginale par rapport à l'information produite en générale (cet article sur mon blog y participe). Le pouvoir des jounalistes est donc dilué et les publicitaires vont se tourner de plus en plus vers des portails qui synthétisent l'information plutôt que de la dévoiler. Les comparateurs, les indexations, les  regroupements géographiques,.... autant d'approches qui vont fournir de l'intelligence en aval de l'information brute. Les grands perdants, seront le pouvoir qui souhaiterait toujours formater les messages et les journalistes qui vont devoir faire leur travail indépendamment d'un employeur. Un "salaire de journaliste" est un oxymore, puisque le journaliste ne vaut que par son indépendance d'esprit et le salaire par sa dépendance à son employeur. Vouloir taxer Google, c'est jeter un sacré pavé dans la marre des canards. Tout le monde se retrouve face à ces propres contradictions.
- L'Etat nation a de plus en plus de mal à imposer sa loi à des acteurs supranationaux. Avec en filigrane la question gênante "Google est-il d'intérêt national et la non-indexation par Google s'apparenterait-elle alors à de la censure ?"
- Le journalisme indépendant, faute de rester un emploi d'avenir, deviendra t-il un passe temps de nouveaux citoyens avisés ?
- La publicité a changé et c'est elle qui a fait changer la presse. En France, seul Le canard enchainé vit uniquement de ses ventes sans annonceur. Le journal papier est figé, le journal intéractif même si il utilise exatement la même information sait de plus en plus à qui il s'adresse.

Ce que le publicitaire achète ce sont des informations sur vous et non des informations sur le monde. Voila le grand basculement, voila pourquoi le gâteau publicitaire ne se partagera plus en fonction des entreprises qui possèdent de l'information sur le monde mais en fonction des sociétés qui possèdent des informations sur vous. Etendre le droit à la propriété avec un droit à l'indexation est un combat d'arrière garde. Le droit qui devrait être approfondi au regard des revenues publicitaires accumulés par Google sont ceux de la vie privée. L'information devient  le nouveau média entre vous et le marché. Si une loi doit exister pour régir la nouvelle donne de ce marché publicitaire exponentiel c'est celui de des données accumulées sur nous et de leur usage. Tout savoir sur vous, voila l'avenir. Or la presse, à force de penser qu'elle peut tout savoir sur tout, ne sait finalement rien de nous en tant qu'individu . La disparition de la presse grand public est donc inévitable car le message publicitaire n'est plus grand public. La prochaine grande victime sur la liste des cassandres des médias : la télévision bien sûr.
Car il ne faut jamais oublier que maintenant pour les grandes marques, l'info ne vient pas du monde. L'info c'est nous. Ce sont ceux comme Google qui tiennent le journal de votre vie qui auront leur faveur au nom d'un nouveau culte en "ing" qui vient détrôner le marketing : le profiling.

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