Vingt Dieux
"MAIS c'est QUOI ce "film"!!!!!! la vie dans nos campagnes ce n'est pas CA, nous ne vivons plus comme aux 18ème siècle!!!!! un jeune de 18 ans avec une petite sœur laisser seul!!!!!! où est la famille, les services sociaux????? un fils de fromager qui ne sais pas que le comté est une AOP, et qu'il faut de la présure pour le fabriquer MAIS ALLO QUOI!!!!!! et partir faire le ramassage du lait dans un camion sans avoir le permis poids lourd C'EST UNE HERESIE. Dépeindre la jeunesse de nos régions de cette façon c'est UNE HONTE!!!!!!!".
Je crois que la vindicte ci-dessus trouvée sur internet résume assez bien ce que les détracteurs de Vingt Dieux lui reprochent. Un manque de réalisme par rapport à la vraie vie agricole et les règles que la modernité lui impose. Mais le cinéma n'est pas là pour coller à la réalité, mais pour nous faire voir la vérité des sentiments dans un contexte dépaysant.
Notre héros Totone, montre ses fesses à qui veut les voir une cigarette au bec. Il a 18 ans et se fout pas mal des conventions auxquelles ses détracteurs se réfèrent. Les normes AOP sont une chose mais ce qui fait un bon fromage (ou un bon film ) en est une autre.
L'immersion direct dans le Jura agricole nous dépayse immédiatement. Rien n'est forcé. On évite les clichés sans pour autant chercher à plaire. Les jeunes se retrouvent pour boire sans avoir besoin d'envoyer des SMS comme dans tous ses films urbains qui nous gavent d'incrustations téléphoniques pour pallier les lacunes d'une action trop dispersée. Vingt Dieux lui revêt les attributs des grands drames classiques avec une unité de temps, de lieu et d'action qui nous permet de nous focaliser sur l'essentiel, la complexité de nos états d'âme.
Le monde de Totone est tout petit comme lui et semble même se rétrécir tout au long de la narration, les mêmes lieux, les même gens, la même boue. L'immaturité des hommes face à la tempérance d'une femme est flagrante et ne requière aucun engagement féministe pour qu'on le comprenne. Cela transparait aussi bien dans les scènes d'amour tendres et drôles à la fois, des débuts de Totone, que dans celle plus houleuse avec les frères de Marylise qui veulent en découdre sans rien savoir de la vie. Totone et sa jeune sœur sont orphelins suite à l'accident tragique et prévisible de leur père. Et du jour au lendemain l'insouciance s'évanouit et tout ce qui lui semblait familier se transforme en d'innombrables obstacles à affronter. Je trouve en particulier la scène ou sa sœur de 7 ans le réveille avec un casque de moto disproportionné sur la tête pour qu'il l'emmène à l'école particulièrement réussi aussi bien dans le fond que dans la forme. Là encore les femmes, même toutes petites, gardent la tête sur les épaules alors que les garçons peinent à être à la hauteur de la situation. Ce film tourne autour de la fabrication du comté. Mais comme nous le suggère si bien l'image métaphorique de la réalisatrice, le comté c'est Totone. C'est lui qui doit fermenter pour produire et devenir en sortant de l'adolescence ce que le Jura sait faire de mieux. Quant à la jeune réalisatrice qui sort du même terroir la question ne se pose plus, elle nous régale avec ce film doux et sensible qui n'élude pas les vraies questions et qui n'attend pas qu'on lui donne un permis pour conduire sa vie et sa carrière prometteuse de réalisatrice.
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