Modes & travaux


"La gare d'Orsay est superbe et a l'air d'un Palais des Beaux-Arts..." écrivait le peintre Edouard Detaille en 1900. Quatre-vingt six ans après, sa prophétie est vérifiée puisque l'art s'y installe.
La transformation de la gare d'Orsay en musée fut l'oeuvre des architectes du groupe ACT-Architecture, MM. Bardon, Colboc et Philippon. Leur projet, sélectionné parmi six propositions en 1979, devait respecter l'architecture de Victor Laloux tout en la réinterprétant en fonction de sa nouvelle vocation. Il permettait de mettre en valeur la grande nef, en l'utilisant comme axe principal du parcours et de transformer la marquise en entrée principale. Ainsi, si fonctionnellement le musée d'Orsay rempli ce qu'on appelle dans le métier "le cahier des charges" il semble assez évident avec 30 années de recul que ce projet dialogue assez peu avec l'architecture de Victor Laloux. En suspendant cette énorme horloge au milieu d'un panneau de verre aussi fragile, l'architecte de la gare avait fait preuve d'une audace et d'une légèreté qui nous fait encore rêver et qui semble à travers ce geste avoir suspendu le temps pour nous. Monsieur Laloux, en plus d'être un architecte, est surement un artiste dans la mesure où il introduit, avec talent, de la poésie dans une gare. Un lieu pourtant hautement fonctionnel. Malheureusement rien de tel chez ses cadets de ACT qui en guise de musée nous ont livré une sorte de galerie marchande aux couleurs et aux matériaux d'une banalité aussi affligeante que la fausse raideur de leurs volumes.

L'architecture de la fin du 19ème est une architecture utopiste, basée sur un concept qui nous est toujours cher, celui de la bulle de verre. Pas un film de science fiction, sans qu'on ne retrouve une cité paisible vivant dans l'univers climatisé d'une bulle transparente qui lui sert de ciel. La gare d'Orsay, le Grand Palais, sont des monuments qui témoignent de cet élan. Pourquoi alors que nos yeux se lèvent pour une fois vers le ciel nous plomber les pieds avec une architecture néo, classico, ringardo 80 digne d'un stand expo à Batimat en guise de rénovation? Sans parler de l'amoncellement de matières et de trames qui semblent engager un dialogue de sourd entre les deux architectes séparés d'un petit siècle seulement .

Si la vision de la réussite pour ACT semble plus devoir à l'opulence qu'à la légèreté et que leur style architectural s'en ressent, on ne peut pourtant pas les affliger de tous les maux. Ainsi, si leur réalisation ressemble étrangement à une galerie commerciale de luxe, c'est aussi parce que l'art et son marché n'ont jamais été aussi vénal qu'aujourd'hui. Les musées c'est du "BIG Money". Audience record, queues interminables, produits dérivés, réplication en province ou au fin fond du dessert, rien ne résiste à cet engouement soudain du peuple pour les canons du beau.  

Pour comprendre ce phénomène il faut prendre toute la portée du développement du luxe dans notre civilisation contemporaine. Si le luxe a toujours existé pour les gens bien nés, il a pris une tournure bien différente depuis l'avènement du capitalisme. Le luxe n'est plus aristocratique, il est devenu un droit commun, par la magie du capitalisme. Restons lucide, le luxe est avant tout le droit d'humilier son voisin. Et quand au bout d'un siècle (le 20ème) le concept de "le plus cher" qui sous-tend toute cette industrie semble s’essouffler, on rebondit sur un nouveau concept encore plus élitiste à savoir "le plus cool". Certes, moins quantifiable, mais tout aussi dévastateur pour humilier son voisin et tout aussi cher en général, ce qui reste bon pour le commerce.

Donc pas de capitalisme sans luxe et pas de luxe de masse sans capitalisme. Le 21ème siècle sans luxe serait comme des Jeux Olympiques sans médaille d'or. Il n'y a que Jacques Martin pour croire que tous les enfants qui chantent, méritent un 10/10. Le capital et son système glorifie (comme dans la série Dallas à la mode au moment de la rénovation d'Orsay) la loi du plus fort. Or en passant du plus cher au plus cool, le riche en puissance se trouve de plus en plus confronté à l'idée du beau et de ce qui plait. Tout devient symbole, le fonctionnel s’efface pour l’émotionnel. Le but n'est plus d'avoir des choses, mais d'être une chose. Et pour tous ceux qui rêvent malheureusement d'être la chose des autres, on ne peut pas rêver plus beau destin que de plaire et d'être envié. Les musées d'aujourd'hui, qu'on se le dise, sont les ultimes locomotives de l'industrie du luxe. A ce titre, ils trouvent  ironiquement parfaitement leur place dans d'anciennes gares .

Dans un musée, on regarde, mais on ne touche pas, on ne consomme pas, pour mieux consommer ensuite. L'objet au musée est dans toute sa rareté et sa cherté, du pur luxe. Par delà les marques, les  sac Vuitton et les coupés Masérati, il y a Manet, Monet, Degas et les autres, en VO bien sûr.





Dans notre aire capitaliste, les musées ne seront malheureusement jamais didactiques ou tellement peu. L'original vaudra mieux que la copie et la scénographie remplacera avantageusuement la visite sur site. A cause de notre culture consumériste la vitrine l'emportera toujours sur le cartel et l'envie sur la contemplation.

Les œuvres d'art les plus emblématiques sont encore aujourd'hui inaccessibles à l'industrie du luxe. Mais pour combien de temps ?  Les états désargentés ne vont t-ils pas solder leur collection pour payer notre assurance sociale en naufrage. L'original de la Joconde finira t-il accroché au dessus du jacuzzi d'un magnat du pétrole ? Le coût de l'image médicale (IRM) s'envole creusant un peu plus le gouffre abyssale de notre assurance santé.  L'image né de l'instrospection curative va t-elle avoir raison de la contemplation collective ?

En attendant la faillite des musées d'états,  l'art contemporain est une alternative abordable qui s'engouffre dans les nouvelles avenues de coolitude ouvertes pas l'industrie du luxe et des nouveaux millionnaires du 21ème siècle. Issu de la masse, nous voulons l'unique et si possible signer d'un grand nom. La séduction et sa course nous emmènent tout droit vers la chosification de l'homme qui veut plaire, c'est un à dire un homme 100% féminin. Qui ne veut plus prendre de risque, car il pense à tord que le ridicule tue.

Cette femme qui est en nous n'est jamais si bien que dans un musée. Ultime temple de la séduction. Ainsi les robes peintes par les impressionnistes se retrouvent éxibées pour notre plus grand plaisir  dans des vitrines au coté des tableaux pour sanctifier l'histoire de la mode.

Faire côtoyer art et mode est l'enjeu de cette exposition temporaire au musée d'Orsay. Aussi proche soient-ils dans leurs quêtes louables d'un monde plus beau, la mode et l'art non rien en commun. La mode s'impose, alors que l'art transgresse. Les couturiers ne font que nous habiller alors que l'art nous met à nu. Cette exposition qui semble mêler deux mondes ne fait qu'approcher deux bulles qui s’effleurent.

Cette bulle à la structure légère et métallique que Victor Laloux a fait surgir de millénaire d'architecture de pierre de taille a été si mal mis en valeur par un cabinet d'architecte gauche que son fonctionalisme et son conformisme nous ennuient, comme une galerie marchande après l'heure de fermeture. Ce cabinet en voulant être à la mode (la rénovation est quand même très datée années 80) n'a finalement aucun style, or le style comme le disait si bien Mademoiselle Coco : c'est poutant bien lui qui transcende à la fois la mode et l'art pictural.

Mais le pire reste à venir quand dans plusieurs millénaires, les archéologues du futur, retrouveront sur les bords de la Seine les décombres du musée. On peut parier que la rénovation de ATC aura mieux survécu que la superstructure de Victor. Et qu'une fois plus, le lourd aura mieux survécu que le léger, alors que c'est ce dernier qui nous donne le bonheur de vivre. Pas juste non ?

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