Radotage


Pourquoi la vie qui nous emporte doit-elle nous faire mourir ?
Pourquoi la mort serait-elle si tragique et le comique incapable de nous épargner ?
Pourquoi ne pas toujours rire de ce que l'on est pour défier la mort, puisque vivre c’est changer et mourir c’est stagner.

Je ne peux regarder que l’image de celui que j’étais. La grammaire nous rappelle que l’imparfait appartient forcément au passé. Me voilà donc parfait dans le présent qui n’est pas, pour moi, un instant mais un lieu où il fait bon vivre. Mon être ne cesse de me dire qu'être présent c'est être là.

La mort appartient à un monde dans lequel on croit vivre parce qu’il nous touche, mais qui ne sera jamais le nôtre. Nous sommes invariablement tous ensemble dans ce truc que nous appelons maintenant.

Le diable est dans la répétition. La naïveté nous fait cette faveur que l’on ne fasse le mal que quand on se répète. Si le mal est ce qui se répète, ce que l’on appelle bonté est un mal qui tente de refaire le bien. La vrai bonté n’est donc jamais pareil et ne peut être nommée. Voilà pourquoi par exemple cela peut-être à la fois une bonne ou une mauvaise chose de mentir à d’autres. Le bien ne peut pas se mettre en boite. Ce que nous devons faire de bien seule ma naïveté peut le faire et je ne peux le dire.
Me voilà démuni face au bien puisque je pense donc je sais. Le fruit défendu de la création serait donc un mot. Ainsi l’homme forgeant son premier mot a quitté le paradis de l’autre pour envisager le sien. Depuis je me dois de préférer l’enfer de la création à la quiétude de la chose mais je ne sais pas vers qui me tourner puisqu'ils me regardent déjà tous.

La création est une mise à mort de la vie pour nous aider à envisager la fin. La mort n’est tragique que si l’on regarde en arrière. Elle porte en elle à la fois cette angoisse et cette chance de bondir dans le vide. Le vide nous fait sans doute bien davantage peur que la mort. Mon corps s’est battu toute sa vie contre la mort. Mon être est-il aussi aguerri pour se battre demain contre le vide ?  Car la conscience du néant nous met face à nous même. Le néant ne s’apparente à rien de ce qui existe puisqu’il serait alors déjà la conséquence de la création d’un autre. Une fois mort, le vrai vide me permettra donc : soit de me répéter soit de créer. D’un coté la nature, de l’autre le sublime. Ainsi chaque fois que je me pose réellement la question de me répéter ou de créer mon être meurt et renaît autre. Il se meut en muant. Une vie me permet de mourir plus qu’une fois. La vie est donc un mélange inconscient et inconstant de répétition et de création. En prendre conscience c’est mourir et renaître. 

Un arbre c'est du vivant qui se répète beaucoup et qui crée assez peu. L’humain crée davantage. Nous somme des « sur-arbre ». Voilà pourquoi nous en descendons. Notre conscience fait de nous des sur-vivants. Le sur-vivant n’a plus la naïveté de vivre, il doit donc avoir l’élégance de mourir. Notre statut de sur-vivant ne fait pas de nous des créateurs à part entière. Loin de là. Nous ne serons des créateurs que quand nous n’aurons plus peur du vide. C'est à dire que nous aurons tué toute répétition et le mal qui en découle. Seuls les inconscients n’ont pas peur du vide. Le créateur pur ne se connaît donc pas. Il faut que je perde qui je suis pour pouvoir tout créer .

Mourir avec élégance c’est comprendre le ridicule de nos vies pour tourner la mort en dérision. N'y a t-il pas des gens plus ridicules à nos yeux que ceux qui disent toujours la même chose ? Le ridicule n’est pas la répétition, il défie le mal et finalement nous tue, pour que la création vive. Le comique de répétition par sa stupidité est là pour nous rappeler que l’on rie de ceux qui ne créent plus. Que finalement nous allons mourir pour laisser place à autre chose.

L’humanité est un destin qui dépasse largement l’idée de ce que nous nous en faisons. L’humanité n’est pas une population, ni même une civilisation, ni même des valeurs, elle est un devenir, un basculement qui essaye de sortir des idées d’un arbre. L’humanité c’est la sur-vie qui s’appuie sur notre propre survie. Chaque forme que nous pourrons reconnaître comme humaine ne le sera déjà plus puisqu’elle aura dû être répétée pour être observée. Je suis homme par mes différences et non par mes ressemblance avec les autres. Mon humanité vient de ma capacité à me changer pour participer à notre destin. Le bien est un destin en marche. Le mal le met en panne. En tant qu'homme en restant tel que je suis, je me fige, je me répète et régresse vers l’arbre que je veux fuir. En changeant je deviens votre destin et vous pouvez en faire de même avec le mien.

Le vieux n’est pas une personne âgée, mais une personne figée. Le jeune crée, le vieux radote. La vie ne nous offre que le présent. A nous de lui donner l’âge que l’on veux. Chacune de nos existences peut faire basculer le destin de l’humanité un petit peu vers l’avant ou pas. Nous mourons pour que l’histoire ne se répète pas, qui pourrait s’en plaindre ?

Notre illustration 1 : Esquisse pour le radeau de la méduse, Géricault 
Notre illustration 2 : Signe de reconnaissance à table des victimes du radotage

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