Les Christo et l'Arc de Triomphe emballé

 
Ce sera leur dernière œuvre. Les Christo : Christo et Jeanne-Claude sont tous les 2 morts mais ont laissé derrière eux les instructions pour réaliser ce dernier défi artistique au cœur de Paris. Initialement prévu il y 2 an lors de l'exposition Christo à Beaubourg l'emballage tant attendu de l'Arc de Triomphe aura bien lieu en cette fin du mois de septembre. Cette idée d'empaqueter ce monument est une idée de longue date qui remonte au début des années soixante ou Christo réalisa une première photo montage du projet, sans vraiment y croire. Depuis de l'eau a coulé sous les ponts et en particulier celui du Pont Neuf qui devint son projet emblématique parisien dans les années 80.
L'œuvre de Christo est souvent à la fois analysée comme du Land art et comme un processus qui stimule l'imagination par la disparition de l'objet par son emballage. Christo comme un super Père Noël est une idée séduisante mais réductrice par rapport à l'engagement politique qui structure sa démarche et ses œuvres. 

Christo n'a que 6 ans quand sa Bulgarie natale est annexée par l'armée rouge. Son père est harcelé pour sabotage et lui-même ne souhaite pas utiliser ses talents précoces de dessinateur pour produire des images dans la droite lignée du réalisme socialiste .Il s'échappe pour l'Europe puis New York.

Le jeune Christo est le témoin d'un rideau qui tombe scindant ainsi en deux l'Europe en lui donnant deux faces idéologiques. Cette idée de rideau de fer est plus grande et plus puissante que celle d'un mur. Un rideau capable de diviser le monde occidental en deux est forcément une image qui a perduré dans l'inconscient de l'artiste. On ne peut donc pas aborder l'œuvre de Christo sans avoir dans un coin de l'esprit cette idée d'un gigantesque  rideau qui a boulversé son existence et celle de toute sa famille. 
D'ailleurs les mises en scène de Christo ne sont jamais aussi belles que lorsqu'elles abandonnent l'idée trop simpliste d'emballage pour se transformer en l'enveloppe plissée du rideau. On voit bien entre le photomontage de 1962 et les esquisses d'aujourd'hui que le pli prend un rôle esthétique majeur dans certaines de ses œuvres. Ainsi en ce moment l'Arc de Triomphe est emballé avec un tissu deux fois supérieur au total de sa surface pour le plaisir du pli. Si l'emballage dissimule, le pli magnifie, le Père Noël se mue en couturier. Les corde nous ramènent dans l'univers de l'emballage mais le plissé des tissus nous transporte dans l'univers de la mode et de son élégance. 
Si certaines de ses œuvres peuvent légitimement être revendiquées comme du Land art (voiles, tissus flottants, portes) ce que les Christo acceptaient de mauvaise grâce, on voit bien que l'habillage du Pont Neuf, du Reichstag ou aujourd'hui de l'Arc de Triomphe nous parlent de robe et non d'emballage. On ne dissimule plus le monument  mais on l'habille pour suggérer sa nudité. Peut-on encore parler de wrapping, c'est à dire d'emballage, quand on dessine une robe et non plus un paquet ?
L'approche de Christo est une forme de rétroconception. Son approche nie la sculpture initiale pour revenir au volume facetté pour parvenir à sa réalisation. Il sculpte à l'envers en revenant par la simplification des volumes à l'ébauche. Cela donne au Pont Neuf  une forme intemporelle et aux bas relief de l'Arc de Triomphe une simplification bienvenue.
L'empaquetage du Reichstag est sans doute l'œuvre la plus engagée du couple Christo. Helmut Kohl était contre. On peut le comprendre puisque l'insouciance et la légèreté des motivations et l'approche de Christo va droit à l'encontre du sérieux politique.

L'œuvre de Christo aurait pu être noire et nous plonger à l'intérieur de son emballage. Un univers kafkaïen qui nous montrerait l'envers du décor. Il n'en est rien. L'approche de l'artiste est solaire et gracieuse.
Christo a clairement choisi son camps celui du capitalisme contre le socialisme russe. Il nous montre le bon coté du rideau de fer généreux et chatoyant. On ne passe jamais sous le rideau, on le contemple. L'artiste a de plus une approche moderne du capitalisme où il fait en sorte, bien avant que cela ne soit à la mode, que ses œuvres soient en libre accès, éphémères et recyclables. 
L'œuvre finale de Christo ne s'achète pas. Le capitalisme est pour lui un marché qui est là pour financer un projet dont tout le monde pourra bénéficier. Christo ne cherche ni subvention ni mécène, c'est un artiste qui a choisi d'abord la liberté comme la base de sa recherche esthétique. Il imagine un projet à l'aide d'esquisses remarquables qui en se vendant à hauteur des fonds nécessaires vont transformer son idée en réalité. Les 12 millions d'euros nécessaires au "wrapping" de l'Arc de Triomphe sont donc totalement financés au préalable par les ventes des planches du projet par Sotheby's. Ni les parisiens, ni l'Etat ne payent quelque chose pour cette œuvre d'autant plus belle qu'elle nous est offerte par l'artiste.
Son rejet du système socialiste nous propose un écosystème culturel interessant indépendant des subsides de l'état mais de surcroit son approche est aussi indépendante de la dictature du marché de l'art des grandes galeries de plus en phagocytées par des grandes entreprises de luxe. Les Christo ont tracé leur voie à un rythme hors de notre temps puisque chaque projet majeur conduit par eux a souvent pris une dizaine d'année.
Jeanne-Claude transforme la mine de plomb de Christo en or. C'est la pointe du crayon de Christo qui finance par son talent graphique la véritable œuvre éphémère. La brièveté du temps d'exposition vient contrebalancer la monumentalité du projet. Cela donne au projet du couple un mélange de monumentalité et d'humilité les rendant ainsi irrésistiblement humains. 

On sent aussi dans les réalisations la jubilation du crayon lors des esquisses qui prend le pas sur la réalité. L'utilisation du drapé qui hachure les volumes lors des esquisses en les rendant plus pleins. Avec Christo ce ne sont plus des lignes qui figurent des cordages, mais plutôt des cordes qui sont là pour représenter le plaisir que l'auteur a eu à tracer ses lignes dans ses esquisses. C'est finalement l'abstraction du dessin qui s'invite dans la réalité plutôt que l'inverse. 
Christo sait et revendique que ses œuvres ne servent à rien elle n'existe que pour le plaisir. Plaisir qu'il souhaite partager avec le plus grand nombre en évitant toute forme d'élitisme ou de redevance. On est ainsi très loin des artistes qui profitent du marché de l'art contemporain pour produire ou faire produire des œuvres en créant le désir par le marketing de leur travail plus que par passion du beau. 
Dans un monde où les intérêts s'imbriquent entre sociétés commerciales et galeries pour nous dicter ce qui beau, il est est agréable de se dire que grâce à la légèreté d'âme de Christo et Jeanne-Claude et leur liberté financière, nous évitons de retrouver cette œuvre récupérée par les grandes marques de luxe. 

On comprend mieux pourquoi dans le milieu de l'art contemporain tout le monde n'aime pas Christo. Ce sont ses dessins personnels et son talent d'artiste graphique qui portent la valeur marchande. En revanche l'œuvre monumentale est le travail de nombreux artisans et techniciens qu'il ne cherche ni à revendiquer ni à monnayer à titre personnel. Une approche qui prend à rebrousse-poil bon nombre d'artistes en recherche de sensationnel rémunérateur, mais sans grand talent dans les arts plastiques classiques. 








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