Maestro


Maestro est une petite perle. Dans sa forme c'est un film qui filme le cinéma avec beaucoup d'humour, dans le fond c'est avant tout un film sur la poésie.

Quand le cinéma se filme, il nous renvoie toujours cette simple question. "Sommes-nous, nous aussi, les acteurs de notre vie?". Sans doute, mais à une différence près peut-être, puisque le cinéma cherche des personnes pour incarner un rôle, alors que notre coté nous cherchons plutôt en permance le rôle qui conviendrait à notre personne.

Ce film n'est pas un film sur Eric Rohmer, même si les faits s'en inspire, jusqu'au nom du réalisateur Cédric Rovère qui est une sorte d'anagramme ou d'anaphone du réalisateur. Cédric Rovère incarne dans ce film non pas le réalisateur, ni même le poète, mais la poésie elle-même.
En tant que poésie il va ainsi tout au long du film arbitrer entre ce qui lui revient et ce qu'elle refuse. Le film du film met en scène tous les poncifs du romantisme et du pastoralisme poétique, les images sont belles et collent à merveille avec notre imaginaire mais elles sont figées donc finalement inopérantes puisque le geste poétique lui-même n'est pas là. Le réalisateur s'amuse donc à mettre en scène de manière évidente un décor poétique pour mieux nous montrer que la poésie est ailleurs.

La poésie ne peut pas se résumer à des mots ou des images. La poésie est toujours la rencontre entre deux mondes. Cette rencontre est délicate car nos mondes, centrés autour de nos petites personnes, sont fragiles et le plus souvent se repoussent ou se cassent. Il faut donc trouver la porte, l'endroit, le moment où l'on peut montrer à l'autre qui l'on est sans ridicule et sans arrogance. Ces moments sont rares, ils sont la quintessence de la poésie .

Le film met donc en scène deux personnages que tout oppose. Une jeune actrice de théâtre, Gloria, prête à se damner pour un rôle dans un film de Cédric Rovère et Henri, acteur en devenir qui ne rêve que de superproduction américaine, genre Fast & Furious, dont il connait les dialogues par cœur. On pourrait en rester là, mais le film glisse un 3ème personnage Pauline qui semble parfaitement bien réussir dans le cinéma. Le film n'est donc pas un duel mais est bâti autour de ce triangle. Grâce à Pauline on va comprendre que malgré toutes les choses qui séparent au départ Henri de Gloria, il y a une chose qu'ils possèdent en commun et que n'a pas Pauline : la sincérité. Henri fait des blagues lourdes auxquelles Gloria ne rit pas, Gloria parle de livre qu'Henri ne connait pas. Comment vont-ils pouvoir se parler, trouver un endroit pour rentrer dans l'univers de l'autre ? A ce stade, les mots ne peuvent plus rien, ils sont autant de piquants qui empêchent l'autre de s'approcher. C'est finalement notre grand problème à tous, de ne pas (peu) savoir dire ce qu'on pense, aggravé par le fait que l'on ne pense pas toujours ce que l'on dit.

Dans ce brouillard linguistique il n'y a qu'un moyen de trouver un peu de sincérité, fermer les yeux et s'embrasser. Voilà pourquoi tout le film est construit autour de la scène du baiser entre Henri et Gloria, parce qu'il représente non pas tant un moment érotique que poétique qui permet aux deux bulles que sont leurs êtres respectifs de se toucher. Le rôle de Cédric est crucial dans ce film, car il est l'ultime arbitre de cette poésie. Sans lui la perception du film et donc de la poésie en général aurait été tout autre. Quand il rit des facéties de Henri, jugé trivial par Gloria, il donne raison à la sincérité de Henri face au snobisme "art et essai" de Gloria. Quand Henri assiste à la représentation au théâtre de Pauline, il donne raison à la sincérité de Gloria face au snobisme des super productions. La grande perdante dans tout ça c'est Pauline qui va continuer de faire sans doute une belle carrière d'actrice en faisant tellement bien semblant mais en passant systématiquement à côté de la sincérité, à la base de toute vie poétique.

La poésie est donc un geste sincère et forcément délicat pour de pas faire exploser les bulles qui nous entourent, pour faire entrevoir qui nous sommes. La poésie peut bien sûr être aussi faite de mots mais c'est plûtot l'exception que la règle. Résumer la poésie à des poèmes est aussi idiot que de prétendre que l'homme est un animal à deux pattes sans plumes. La poésie ne se met pas en boite. Faire de la vraie poésie avec les mots c'est enlever aux mots leur pourvoir de communication pour ne garder que le sens du son.

Quand on lit un poème il n'y a rien à comprendre, comme nous l'explique si bien Cédric. Il vous touche, ou pas, par son sens sans pour autant chercher à vous communiquer une idée. Bref, un poème n'a rien à vous vendre. Voilà pourquoi Cédric demande aux acteurs de jouer sans emphase et d'égrainer les mots au rythme de leur son car toute interprétation tuerait la poésie des mots pour en substituer une autre souvent moins aboutie, celle que l'acteur tente d'apporter par son jeu. On comprend pourquoi les grands textes ne peuvent être dits que dans une grande sincérité qui n'est que la sobriété de l'être.

Nous pensons à tord mettre la poésie dans des livres, alors que la vraie poésie est paradoxalement de se livrer. Le livre c'est nous. La poésie n'est qu'une suite de moments délicats et complices où on laisse un autre feuilleter quelques pages de ce que nous sommes.

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