Au cœur de l'art contemporain


Il y a en ce moment trois expositions au Centre Beaubourg qui au delà de ce qu'elles montrent nous questionnent sur ce qu'est l'art et où il veut en venir.

La première exposition est celle de Marcel Duchamp qui est montré dans toute son ambiguité. Cet artiste qui a tué l'art pictural a ouvert grand les portes vers l'art contemporain par l'introduction d'objets qui deviennent par son simple désir objets d'art. Il pousse ainsi le ridicule de sa démarche en faisant d'une vulgaire pissotière un objet d'art à part entière et qui plus est, l'un des plus célèbres du 20ème siècle.
Ce que l'on découvre en parcourant l'expo de Duchamp c'est d'abord une envie d'expérimenter toute les formes, toutes les techniques. On ne sent pas de direction, de volonté, ci ce n'est celle d'épuiser le concept d'art lui même tel qu'il est perçu à son époque.
L'art ne se laisse pas enfermer dans une forme, Duchamp le sait. L'art se trouve quelque part entre la matière et l'esprit, il ne peut être ni totalement l'un ni totalement l'autre, il est l'intuition qui les relie. Sa pissotière est une oeuvre parce qu'il l'a nommée "Fontaine". C'est par le discours et la tension entre ce qui est dit et ce qui est montré que l'art surgit. Dans le même esprit, "Le grand verre" est une œuvre, somme toute assez moche, que l'artiste envisage dans un contexte où l'on entend un texte littéraire simultanément. Là encore le discours doit éviter à l'œuvre de sombrer dans une pure matérialité et rester suspendu sans devenir pour autant une idée.
L'idée de l'art plastique est de produire dans notre être des images, afin de sortir notre cerveau de la pure conceptualité des idées portées par des mots pour trouver des images qui s'imposent à lui sans qu'on ne lui donne de nom. Ni urinoir, ni fontaine, ce "Ready made" Duchamp porte un sens qui échappe aux mots. L'œuvre de Duchamp est datée et pas vraiment belle. Mais elle a pour en elle cette volonté de sortir l'art plastique de l'ornière de l'esthétique pour parler à notre âme avec un sens nouveau. Il n'y a donc rien à voir dans cette exposition plutôt fouillie et tristounette, mais on peut en ressortir avec le sentiment que Duchamp avait déjà tout compris sur ce que l'art allait advenir en devenant après lui contemporain.

Le hasard des programmations veut que l'autre partie du dernier étage de Beaubourg est consacrée à Jeff Koons. L'artiste le plus cher et le plus en vue de l'art contemporain. Jeff Koons est donc la descendance direct de ce que Duchamp voulait faire de l'art.

Jeff Koons est l'archétype de l'artiste contemporain parce qu'il pense son œuvre, sans vouloir la créer lui même. Les oeuvres de Koons ne nous délivrent donc aucune information sur son talent pour mettre en forme la matière. Ce sont ses ateliers qui réalisent pour lui ses œuvres. L'art ne montre plus ce que l'artiste sait faire mais ce qu'il sait concevoir. L'artiste contemporain est post industriel, il ne réalise plus il conçoit. Le mérite d'une œuvre bien faite ne lui revient donc plus. Il faut donc maintenant s'extasier sur une œuvre de Jeff Koons comme pour toute œuvre contemporaine en ne s'exclamant non plus "C'est bien fait" mais "C'est bien vu". Voilà ce que Koons apporte à l'art, une vision du monde qui nous parle .

Pourquoi ce chien rose nous séduit t-il ? Sans doute parce que sa finition brillante, son ampleur, sa couleur, son thème "le caniche" nous évoque inévitablement le luxe. La brillance de l'œuvre de Koons est luxe. Son œuvre brille, frime et bien sûr nous renvoie furtivement notre image déformée par les courbes de l'objet. Mais en même temps ce chien est évidement aussi un chien en ballon fait d'air gonflé artificiellement. L'univers du luxe n'est que du vent mais se nourrit de notre regard de notre envie pour se figer en une sculpture aux allures gonflées mais indégonflables. La preuve, regardez la sculpture de Hulk, on jurerait qu'il s'agit d'une poupée gonflée en plastique mais elle reste totalement impassible aux tubes d'orgue qui lui sont plantés dans le dos.

Jeff Koons nous montre en un coup d'œil que nous ne sommes plus capable de dégonfler ce que nous avons gonflé. Une société de consommation tirée par le luxe. Le souffle de l'artiste semble changer le léger, l'éphémère, le provisoire, enfin tout ce que le gonflable suggère par le lourd, le définitif, l'inaltérable, le collectionnable. L'objet devient encombrant d'autant plus que par son format l'artiste nous suggère qu'il nous dépasse. Le caniche est disproportionné. Le cœur pendentif est lui aussi bien trop grand pour être à échelle humaine. Son Michael Jackson ressemble à ces statuts de porcelaine que l'on collectionne sans raison, qui ne servent à rien et que l'on veut à tout prix dans sa vitrine. Jeff Koons nous donne le sentiment d'être de plus en plus petit dans un monde où les objets nous envahissent par le simple désir de les collectionner. On peut d'ailleurs noter avec ironie que les gens qui achètent de l'art contemporain ne sont plus des amateurs d'art mais des collectionneurs.

Si l'artiste ne produit plus son œuvre mais la soustrait à des artisans on est en droit de se demander où sont les limites aujourd'hui de l'art plastique. Cette question est d'autant plus évidente quand l'on descend au rez de chaussée du musée pour découvrir les maquettes du travail de l'architecte Frank Gehry.

De façon très surprenante on se rend compte en survolant ses maquettes que son travail n'est pas fonctionnel. Impossible de deviner a priori la fonction de ses bâtiments qui ne sont que volume. Tout semble plastique, fait finalement pour rendre une forme plutôt qu'un service.
Gehry est donc un artiste au même titre que Jeff Koons. Il transforme la matière à son idée pour nous faire passer un message. Les formes que prennent les bâtiments de Gehry n'ont pas d'utilité si ce n'est celle de nous parler et cela à une échelle grandiose. Les bâtiments de Gehry sont donc des œuvres d'art contemporain à part entière.

Ses réalisations me semblent en revanche moins convaincantes pour rendre le service qui leur est tout de même dévolu. Le serpent semble même se mordre la queue lorsque le bâtiment commandité est un musée.

La boite devient plus désirable que le contenu. Une fois encore le monde de l'art contemporain nous montre qui est la quintessence du luxe et du marketing. Ainsi les musées de Gehry digèrent les oeuvres qu'ils exposent pour mieux resplendir.
Le musée se suffit ainsi à lui même sans se soucier de son utilité, car il est art. Les artistes exposés sont dépassés puisqu'il deviennent à leur insu utiles au bâtiment et non l'inverse. Gehry c'est du grand art.

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