Night Call



Night Call est un film sur les reportages de nuit dans Los Angeles, à la poursuite de toujours plus d'horreur. Mais le fond du film est d'avantage une introspection dans la réalité du capitalisme à l'américaine. Les dialogues perpétuels de Lou sur la manière de gérer au mieux sa carrière résume les tenants et les aboutissants du système capitalisme. Etre motivé et motiver les autres dans le but de posséder d'avantage.

Comme tout système rien de mieux que de l'observer à sa frontière.

On a donc d'un côté Louis Bloom au chômage qui ne rêve que de mettre un pied dans la mécanique du capitalisme. Même un stage lui conviendrait, pour sortir de sa routine de petit voleur.
Pourquoi cet homme préfèrerait-il travailler pour rien plutôt que de continuer à voler pour quelque chose? Parce que son but est de se fondre dans le système capitaliste où tout est négociation pour parvenir à posséder de plus en plus et aimer de moins en moins. Lou ne veut pas être un reporter célèbre, il ne veut pas se retrouver un jour devant les caméras, il veux être le PDG de Video News Production et finalement posséder les vans et les caméras qui lui donneront sa place dans une société américaine qui continue de se scinder entre ceux qui ont quelque chose et ceux qui n'ont rien. Lou ne pense pas à lui, il n'aime rien, il pense uniquement en terme de carrière. Ravagé par le chômage, il n'est plu que le CV de lui même.

De l'autre côté Nina est dans le système, mais elle sait qu'elle est au bout de la chaine alimentaire, directrice de la pire chaine de télé de Los Angeles, si elle perd son job elle ne trouvera rien d'autre, elle va sortir du marché une fois pour toute. Lou a besoin de Nina opportunément, Nina a besoin de Lou désespérément. Lou Bloom le sait. Il décortique d'autant mieux la mécanique qui fait avancer les hommes et les femmes qu'il n'a absolument aucune empathie pour eux.
Il est comme une incarnation du capitalisme. Bien sûr on a l'habitude de voir le grand capitalisme écraser les petits employés. Mais avec Night Call on se retrouve au plus près de ce que le capitalisme peut engendrer de pire : l'arrivisme. Lou n'a aucun talent, il ingurgite ce qu'il peut lire sur internet, il absorbe ce que les gens lui disent. Mais il le fait plus vite et de manière plus intransigeante que n'importe qui.

Ce film ne pose donc pas la question de la moralité de télévision à scandale et ceux qui viennent voir le film pour ça n'y trouveront aucun recul de la part du réalisateur. Même si il faut reconnaitre que le réalisateur est d'abord parti de cette thématique avant de créer le personnage de Lou. Mais à la fin c'est Lou qui possède le film de bout en bout et d'une certaine manière en dépossède le réalisateur car on se doute bien que Lou aurait pu faire son trou dans n'importe quel secteur d'activité pourvu qu'on lui entrouvre la porte. Il est prêt à travailler chez un ferrailleur, un revendeur,...

Lou se fout du bien et du mal. Ce film nous démontre qu'il n'y a pas de business éthique, il n'y en aura jamais, cette expression frise l'oxymore. Tirer au maximum parti de sa position de négociation, ce qui est plus que louable dans le business et qui ne marche pas dans le domaine moral. Business et morale ne se rencontrent jamais malgré toutes les déclarations que l'on peut entendre. Pour bien nous faire comprendre cette distinction que nous avons du mal à percevoir et surtout à accepter entre l'éthique et le capitalisme, le réalisateur va nous en faire la preuve par l'absurde et nous montre que les sentiments, l'empathie, tout ce qui fonde notre morale est incompatible avec la logique du capitalisme. On ne peut que se délecter de la scène où Lou invite Nina dans un restaurant mexicain pour la séduire. La séduction est un mécanisme qui nécessite de montrer ses propre fragilité, ce que le capitalisme vous interdit selon le principe de la loi du plus fort. On arrive donc à un dialogue de sourd où très logiquement Lou propose de coucher sinon il arrête de lui vendre ses scoops, alors que Nina tente de lui expliquer sans succès que le simple fait qu'il ait pensé à parvenir à ses fins de cette manière rend toute forme de relation sentimentale inconcevable. L'amour ne se négocie pas. Mais pour Lou tout ce qui ne se négocie pas, n'existe pas. Voilà pourquoi le capitalisme et la morale s'ignorent.

Bon bien sûr il existe un truc pour transformer l'empathie qui fait cruellement défaut au capitalisme en un ersatz de moral : la loi. Nina le sait très bien. Chaque image qu'elle va diffuser est décortiquée sur le plan légal et jamais sur le plan moral. Le film met admirablement en scène ce gouffre qui existe entre éthique et loi dans cette petite salle où ils visionnent à plusieurs les horreurs que rapporte Lou et où Nina impose à ses collaborateurs d'avaler leur chapeau sur l'aspect éthique des images tant qu'elles sont légales. Le capitalisme a donc la même éthique qu'un voyou : c'est de pas se faire prendre.
On peut se gargariser de commerce équitable, de charte éthique, de valeur d'entreprise. La réalité celle qui pousse dans le purin du chômage n'est pas éthique mais arriviste. Lou est le pur produit d'une génération rattrapée par le chômage et éduquée par une conscience carriériste exacerbée.


Au delà de cette mise en scène d'un capitalisme aveugle et de son florilège d'expressions toutes faites pour faire avancer tout le monde, il y a dans Night Call un autre message. Celui de l'homme et la caméra. Ce thème dépasse le personnage de Lou pour nous renvoyer à notre propre problème de notre relation à la caméra. Je ne parle pas bien sûr de la caméra du cinéaste qui vous met en scène et qui vous filme mainte fois jusqu'à trouver la meilleure prise de vue. Je parle de l'autre caméra qui n'est pas encore incrustée dans notre front comme un troisième œil mais qui est déjà partout telle un bindi incrusté en haut de tous nos smartphones. Comme Lou Bloom, nous sommes déjà des hommes caméra. Nous sommes capable à tout moment de filmer sur le terrain, comme lui, l'imprévisible.

Quel est notre propre appétit d'images à scandales ? Non pas forcément notre envie de les regarder, mais de les prendre. On peut comprendre le manque d'empathie que crée une image sur un écran, d'un reportage filmé par un autre dans un autre lieu. Mais sommes-nous capable de résister à la tentation de filmer l'horreur qui peut survenir devant nous ?  Si la peur et la panique n'étaient pas là pour nous dire de fuir ou de détourner le visage, ne serions-nous pas tenter nous-mêmes de prendre notre téléphone portable et de filmer à bout de bras ce qui sera un "scoop"? Exister par l'inédit. Pouvoir dire ou faire valoir que j'étais là. Comment résister à cette idée d'exister comme témoin oculaire par le truchement de l'objectif ? Un témoignage vaut pour la justice et ne vaut rien pour une chaine de TV. C'est donc l'objectif qui transforme tout témoignage oculaire en image en or.

On en arrive donc au thème central du film. Nous courons tous le même danger que Lou. Celui d'être capable de sortir notre téléphone pour filmer quelque chose que nous pourrons revendre. L'image inédite comme ultime pouvoir de négociation. Le film est très efficace pour nous faire vivre les crimes non plus comme des crimes de cinéma (pas mort pour de vrai) mais comme un acte criminel auquel nous allons vraiment assister car nous avons la chance se suivre grâce à l'équipe de tournage du film Night Call la caméra de Lou qui lui va filmer des vrais meurtres. Tout est plus lent, tout est plus vrai, tout est plus angoissant qu'un simple thriller. A la fin du film Lou écrase tout espoir d'une morale spontanée sans loi, par la loi fanatique du "leadership" qu'il énonce ainsi : "Je ne vous demanderai rien que je n'ai pas fais moi même".

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