De l'Olympe à l'arène


Rien de tel que de pénétrer à l'intérieur d'un opéra pour découvrir la mécanique du spectacle qui contribue à façonner nos civilisations. L'opéra de Budapest est une très belle scène, au niveau des plus grandes d'Europe.
Une salle d'opéra classique offre à la différence d'une salle de spectacle moderne, une forme de mise en abîme de la scène puisque la grande scène qui nous fait face regarde elle même une myriade de loges aux apparences de mini théâtre déployées sous forme alvéolaire.

Dans la salle, 2 mondes se font face. La bourgeoisie d'un côté éprise d'ascension sociale et qui circule dans le grand escalier avant de gagner sa place. De l'autre côté les acteurs dans leurs loges avant le lever de rideau. Ces 2 mondes sont donc symétriques. Le théâtre bourgeois se joue dans le hall pendant que les artistes sont dans leur loges. Puis les rôles s'inversent.

A l'instar de la scène d'opéra, la profondeur de chaque loge permet de gérer l'avant scène et l'arrière scène de chaque alvéole. On s'appuie sur le balcon pour être en scène ou on s'assied en retrait pour voir sans être vu.

On va donc au spectacle pour voir et pour être vu. C'est ce que nous dit bien cette salle aux alvéoles dorées en arc de cercle qui se regardent autant qu'elles regardent la scène. Le producteur gère la lumière. Les lustres nous montrent ainsi notre société avant de faire basculer la lumière sur la scène pour nous faire oublier notre réalité en mal d'émotion.

Le spectacle joue donc toujours de cette tension, de ce chavirement entre l'émotion et le réel. Chavirer sans se noyer voilà bien la promesse du spectacle. Jusqu'au jour où ce bel équilibre composé de 2 hémicycles (la réalité du public et la fiction de la scène) ne se vulgarise en arène et où l'on amalgame émotion et réalité dans l'unique anneau du sensationnel.

Manon Lescaut est morte, Camille Muffat aussi. L'une pourra remourir pour nous tous les soirs, l'autre non.

Confondre le réel et le spectacle est un glissement mortel. Le théâtre de Camille est une bassin olympique. Ce que la société du spectacle auquel nous participons a voulu lui faire faire en Argentine par l'intermédiaire de TF1 n'est que la manipulation de sa célébrité.

La télé réalité est le degré zéro de la mise en scène qui se nourrit d'une émotion anti artistique qui se résume par un lapidaire "je la regarde parce que je la connais". On passe ainsi de l'admiration à la compassion, de l'exemplarité à la pitié.

Camille, comme Florence et Alexis, sont les victimes d'un public qui aurait dû resté d'un côté de la scène et qui se referme autour d'eux comme dans une arène par le truchement d'un objectif intrusif.
En déchirant le rideau qui existe entre le public et l'artiste, au nom de la télé réalité, on encercle les acteurs dans l'arène impitoyable de la réalité humaine. Réalité où, c'est bien connu, on ne meurt qu'une fois.

Ces jeunes sportifs n'y sont pour rien, puisqu'on leur offre tout. Comment refuser à 25 ans alors que l'on a officiellement pris sa retraite de sportif de haut niveau, comme Camille, de dire non à l'aventure au bout du monde avec en plus de l'argent à la clef. Pourquoi dire non alors que l'on vous donne tout ce que vous voulez en échange simplement d'être filmé.

La télé se nourrit souvent de ses propres produits. Ce sont les animateurs de TF1 qui alimentent la télé réalité grâce à la célébrité générée par les autres émissions de la chaîne. Mais là il s'agit bien de nos meilleurs talents nationaux qui ont sacrifié beaucoup de leur vie pour gagner notre estime. Des champions qui ont gagné leur célébrité de haute lutte et cela dans une éthique sportive irréprochable. Une célébrité noble, achetée finalement à bon compte par notre champion national de l'audimat.

Personne n'est vraiment responsable de leur mort. Un accident reste un accident. Mais pourquoi tout ça? Pourquoi devoir embarquer ces athlètes les yeux bandés dans 2 hélicoptères pour nous divertir. Ces athlètes sont dans des conditions extrêmes parce que nous aimons ça. Eux aussi sans doute. Mais l'argent qui rend tout cela possible vient bien de notre côté, celui du téléviseur et non celui de la caméra. Et c'est cette caméra embarquée à bord, que nous poussons inconsciemment avec notre regard. C'est cette caméra qui s'est approchée trop vite et trop prêt de ces jeunes concurrents provoquant leur mort soudaine et irrévocable. La réalité tue et donc par extension la télé réalité aussi. Nous sommes entrain de descendre de l'olympe grec en poussant nos champions à bafouer leurs exploits sportif en monnayant leur gloire au nom du divertissement. Nous leur offrons suffisamment d'argent pour les faire rentrer dans l'arène. Lieu perverti où l'enjeu n'est plus tant de gagner que de souffrir sous nos yeux.

Le pire c'est que tout le monde est complice de cette situation mais personne n'est responsable. Nous découvrons avec motion et humilité qu'à force de filmer la réalité de trop près, on en découvre l'ultime source :  la mort.


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