La comédie de l'art

Mais qu'est ce que l'art ? Cette question de bac de philo on peut évidemment se la poser lorsque l'on arpente Venise et ses très nombreux lieux dédiés à L'art. L'art est un produit.
Contrairement à ce que l'on pourrait penser l'art n'est pas le produit de celui qui le fabrique mais de celui qui le consomme. L'art c'est ce qui se vend. Mieux encore ce qui se commande. L'artiste est le vassal du galeriste qui lui même est le vassal du collectionneur qui lui même est l'obligé des musées.

L'art n'existe que par la contrainte d'un client, pour s'extraire du naturel qui n'en a aucune. La nature nous offre l'occasion de contempler le naturel, c'est à dire le temps qu'elle a pris et que nous n'avons pas, de faire doucement converger le chaos vers l'harmonie. De notre côté nous n'avons pas le temps de tout essayer, il nous faut donc du goût, un goût tranché pour créer du beau à l'échelle humaine. L'art est donc l'ultime bataille pour les puissants, pour imposer leur goût au delà de leur existence et défier ainsi le seul adversaire qui semble être encore à leur taille : la nature. Les doges, le Vatican et autres Louis XIV cherchent tous un socle à la hauteur de leurs artifices. L'art se bat contre le temps pour supporter les puissants dans leur rayonnement. Ainsi aujourd'hui on ne peut décemment plus être millionnaire sans avoir une galerie ou milliardaire sans avoir une fondation.

La richesse n a jamais pu se justifier par la quantité de travail produit par un individu, mais par l'habilité de ses choix. La réussite et le goût sont donc extrêmement liés puisqu'ils sont tous les deux issus des bons choix  L'art c'est l'art de faire des choix uniques que tout le monde envi. Un acte intelligent qui cherche à la fois l'approbation de ceux qui font le goût, une œuvre ne prend de valeur que si elle est exposée et un besoin impérieux d'être unique pour créer la distance qui sépare les "have" et les "have not" comme diraient les anglais.

Prenons l'exemple de l'œuvre ci-dessus, elle s'inscrit dans la droite lignée de l'art du "ready made", tendance inévitable de l'art contemporain dont la sophistication industrielle dépasse maintenant les capacités d'un seul artisan. La production industrielle au design soigné et aux possibilités infinies a tué une fois pour toute l'artiste artisan, au profit de l'artiste prescripteur. Ce nouvel artiste s'inscrit parfaitement dans la tendance naturelle d'imposer un goût spéculatif dans un temps limité. Cette œuvre est donc composée de deux objets du commerce qui une fois assemblés deviennent une œuvre.

Nous sommes tous capable de prendre notre congélateur du sous-sol et d'empiler dessus un canapé en clamant haut et fort que cela est une œuvre d'art, mais cela ne fonctionnera pas. Cela restera un empilement de deux meubles, car l'art n'appartient pas à celui qui le produit mais à celui qui l'achète. Ainsi si vous parvenez à vendre une banquette empilée sur un congélateur comme une œuvre d'art à quelqu'un, vous commencez à produire de l'art, à condition bien sûr que votre client l'achète comme tel et qu'il ne lui vienne jamais l'idée d'utiliser l'un ou l'autre de ces éléments à d'autres fins. L'art ce n'est pas votre goût, c'est le goût des autres. Il faut donc convaincre ceux qui ont du goût que ce que vous faites est bien ce qui en général demande beaucoup d'argent. L'art est un sport de riche. Seuls les artistes reconnus et déjà riches peuvent s'autoproduirent, tous les autres sont soumis au goût du marché pour prétendre produire de l'art.

L'art procède d'un empilement. Un artiste reconnu est forcément cultivé, il sait ce qui a déjà été fait pour produire quelque chose d'original. L'œuvre que je vous présente ci-dessus dévoile en fait le mécanisme de l'art contemporain. C'est cette intelligence qui lui donne sa valeur aux yeux des prescripteurs et finalement du collectionneur qui l'exposera dans un musée pour lui donner sa valeur d'art.

Le canapé utilisé n'est pas n'importe quel canapé il est l'aboutissement du design industriel et de la dérision du mouvement dadaïste d'après guerre. Il représente donc, à lui seul, une étape importante de l'évolution de l'art du 20ème siècle. En posant ce canapé la, mais pas un autre, sur un congélateur, l'artiste se hisse sur les épaules du mouvement dadaïste pour être original à nouveau. Le canapé de Dali pourrait être une œuvre d'art puisque qu'il répond aux critères de bon goût mais il est finalement déchu de sont statut d'art par sa production industrielle. Il ne suffit pas d'être beau pour faire de l'art nous dit ce canapé fabriqué à la chaine. Il faut être unique. En le posant sur un socle la magie de l'art s'opère en le rendant à nouveau unique. Cette œuvre a été produite en 3 exemplaires et pour garder intacte la valeur originale de chacune, chacune des 3 œuvre utilise une marque différente de congélateur.

L'artiste nous met face à notre propre contradiction puisque ce qui fait la beauté plastique de cet œuvre est bien entendu les courbes suaves et le rouge aguicheur de cette bouche canapé disproportionnée, mais toute la valeur de cette œuvre réside finalement dans son socle congélateur sordide qui lui confère pourtant toute son originalité.

L'art n'est que la vanité de vouloir durer, un socle pour les puissants qui s'apparente finalement à la congélation du bon goût d'une époque. Bien vu l'artiste.

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