Sur la route de Pétaouschnock


Le feu de l’actualité de ces derniers jours, semble me pousser vers un mot. Un concept complexe et pourtant si proche de nous, une idée qui pourrait sans doute réconcilier le pouvoir et la sagesse, la philosophie et le politique. Ce fil, qui est aujourd'hui le fil de mon article se résume en un mot : intégrité.

Si "Intégrité Magazine" existait, pas de doute qu’il mettrait à la une de son dernier numéro le Pape Benoît XVI. On ne peut trouver meilleur exemple que la démission inattendue du Pape pour illustrer la lente et sure destruction de l’intégrité de l’église. A contrario on ne peut que louer la volonté tardive de cet homme à se délaisser des intenables compromissions du Vatican pour recouvrer son intégrité d’homme de foi.

Mais l’intégrité c’est quoi au juste ? On dira d’un homme intègre qu’il est honnête. Mais ce faisant nous donnons déjà à cette honnêteté une résonance bien particulière. Car plus qu’une simple honnêteté, l’intégrité semble nous suggérer qu’il s’agirait d’une motivation qui nous mènerait à être honnête surtout avec nous-mêmes. Si la liberté peut se traduire dans pas mal de cas par un prosaïque « faire ce que l’on veut », l’intégrité pourrait se résumer à un vindicatif « être celui que l’on veut être ». La morale et l’intégrité n’ont donc pas tant de choses que ça à se dire. Vivre en accord avec soi ne mène pas forcément à un comportement moral, mais nous pousse indubitablement vers la vérité. Si l’intégrité doit être une éthique, elle ne sera qu'une éthique de la vérité.

Pas de doute qu’"Intégrité Magazine" devrait consacrer aussi quelques pages à Oscar Pistorius. Avant d’avoir copieusement buté sa petite amie dans des circonstances qui restent encore à éclaicir, Oscar nous pousse à nous questionner non pas sur l’intégrité de notre esprit mais sur l’intégrité de notre corps. Ces deux mots s'annoncent évidemment comme un couple infernal. Pas d’intégrité sans idée du corps, pas de corps sans intégrité. 
Est-on un homme à 100% lorsque l’on nait sans genoux ? Les lames qui le font courir sont-elles encore des objets ou déjà une part de ce qu’il considère être lui-même ? Ce que l’on comprend du parcours de Pistorius, c’est que pour lui être un homme à part entière, c’est se confronter aux autres hommes au corps naturellement valide, c’est à dire au corps tel que les grecs pouvaient l’imaginer. Les sculpteurs et l’olympisme grecs nous ont donné les outils pour nous projeter et pour habiter dans ce que nous appelons notre corps. L’apparence et la performance de notre chair n’est que la conséquence de l’idéal de nos anciens. Mais cet idéal est déjà révolu. 

Le docteur Frankenstein est passé par là et depuis plus d’un siècle nous restons déboussolés la tête dans le sable, ou plutôt dans la neige du pôle nord, sans admettre que la créature du docteur, et bien c’est nous ou du moins celle que nous allons tous devenir. Un corps dont les limites seront désormais définies par nos docteurs. Pistorius est emblématique d’une nouvelle génération d’homme qui va venir détruire les statuts de marbre d’un corps qui nous enferme et profaner, avec ou sans l’accord timide d’un comité, les pistes poussiéreuses de l’olympisme au nom d’une nouvelle intégrité d'un corps humain à tiroir.

Comme le remarquait à juste titre Dali, la beauté de notre corps n’est-elle pas sublimée par sa mutilation ? Ces sculptures de torses sans membre, ces bustes sans corps, ces troncs sans têtes, ne sont-ils pas là depuis longtemps exposés avec leur beauté insolente pour nous dire que l’idée que l’homme se fait de son propre corps est dépassée. La violence de ce paradoxe avec lequel Oscar Pistoirus doit vivre, est le même que celui de la créature de Frankenstein qui doit exister dans un monde qui ne lui ressemble pas. Paradoxe tabou qu’il porte pour nous comme un fardeau et qui le conduit inévitablement à des accès de violence panique fasse à un monde qui tente maladroitement de l’accepter comme un homme normal alors qu’il se sait déjà la créature d’un monde en marche.  Redéfinir une nouvelle intégrité du corps humain ne se fera pas sans certains dommages collatéraux et de nombreux procès.

Aller à Tombouctou est une expression utilisée par les anglosaxons, pour signifier un endroit improbable au bout du monde, à l’instar de notre imaginaire Pétaouschnock. Ce qui se passe à l’autre bout du monde devrait nous indifférer. En quoi notre existence devrait souffrir d’un mal dont nous ne sommes pas la cause ? Pourquoi notre intégrité sociale ne s’arrête t-elle pas aux limites de notre responsabité régalienne ? L’état nation dont nous sommes le citoyen n’est-il pas l’ultime limite de notre intégrité sociale ? Ne parle t-on pas d’ailleurs le plus souvent d’intégrité lorsque qu’il s’agit justement du territoire. La guerre du golfe a terminé une longue série de guerre qui n’ont eu que l’invasion comme casus belli. Les nations à l’instar des prédateurs s’arrogent un territoire de chasse qu’elles considèrent comme une part de leur intégrité. Négocier son intégrité c’est la perdre. Notre intégrité sociale dépasse aujourd’hui notre intégrité territoriale et est soumise à rude épreuve. D’une part parce que notre compassion naturelle semble avoir du mal à s’accoutumer à une perception des autres sans cesse accrue par de nouveaux moyens de communication. D’autre part parce que notre acception accrue de la justice étend de plus en plus les prérogatives des droits universels. Ainsi le fait que l’homosexualité soit encore condamnée comme un crime dans de nombreux pays menace curieusement ma propre intégrité. La charia de l’islam aussi confinée puisse t-elle être, restera toujours une menace à l’intégrité, à l’universalité des droits de la femme, et donc aux femmes qui se pensent comme femmes. Nous découvrons ainsi que l’intégrité qui est d’abord une égoïste réconciliation avec nous mêmes nous conduit vite à une fusion avec l’universel. 

Les mausolées de Tombouctou ne peuvent pas être impunément détruits au Mali sans que notre être se sente menacé. Mon intégrité sociale agit  à des distances que je ne soupçonnais pas en me rendant partisan et belliqueux pour une cause qui ne menace en rien ma sécurité. Pourquoi ? Parce que  le sort du Mali touche à l’intégrité de mon humanité et de son patrimoine. Patrimoine que l’on ne peut pas détruire pour la bonne et simple raison qu’il a été construit pour nous construire. Il est grand temps de scanner les manuscrits de la bibliothèque de Tombouctou qui n’ont finalement pas été brulés grâce la ruse de leurs gardiens et reconstruire à l’identique les mausolées de cette ville ( tâche discutée aujourd'hui à Paris) histoire de nous prouver que l’intégrité nous donne une surprenante faculté : celle de cicatriser.

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