Le Faust de Wall Street

Ce loup de Wall Street a tout du anti héros. Si on a l'habitude d'imaginer les grands prédateurs de la finance en requin, le héros de ce film est bien un loup car il ne vit que par et pour la meute. Jamais il n'attaquera seul puisque son travail n'est de foncer que quand il est sûr de gagner. Il n'y a pas d'idéologie dans ce film si ce n'est celui de l'attrait du gain, le goût du sang de l'investisseur grégaire qui va se faire saigner à blanc quelque soit les orientations du marché. Le marché c'est leur forêt, le tout est de vous y faire rentrer après vous êtes à leur merci.

On peut se demander pourquoi faire un film sur la finance 20 ans en arrière ? La réponse est simple. Tout simplement pour nous montrer que rien n'a changé. On les a tous entendu nous promettre de réglementer les voyous de la finance. On en est toujours au même point. Le thème de ce film n'a pas pris une ride. Ce film nous plonge dans la spirale de la drogue. Pour être drogué il faut créer le besoin, mais aussi l'urgence. Notre loup en herbe le déclare dès le début du film. Il veut être millionnaire. Soit. N'est-ce pas l'idéal américain ? Oui mais là où tout ce gâte c'est quand on veut devenir riche vite. Et là, plus question d'entreprendre. Pourquoi élever des brebis quand on peut se servir.
Wall Street est le temple de ceux qui veulent devenir riches sans en avoir le temps. Cette excitation du gain ne vient pas des loups de la finance, mais des vieux. Car ce sont bien eux qui ont de moins en moins de temps. Wall Street vit pour et par les fonds de pension américains. Pourquoi diable les vieux ont-ils besoin de mettre leurs économies à Wall Street ? Parce qu'ils demandent à leur investisseur des résultats à court terme. Hors il n'y a que la bourse qui peut vous rendre riche en 24h00 chrono. Les vieux ne sont pas prêts néanmoins à prendre tous les risques, les jeunes loups dont fait partie Belfort le sait, il faut donc créer une situation unique, irrésistible : "la peur de manquer l'affaire du siècle". Si vous ne m'achetez pas maintenant, vous vous en mordrez les doigts pour le restant de vos jours. Voilà bien la promesse .

Ainsi si vous êtes un gérant de fond et que vous passez à coté de la plus belle hausse de l'année, vous êtes viré, quelque soit l'avenir de la société dans laquelle vous auriez dû investir. Le fond doit "performer", voilà pourquoi les investisseurs se laissent entrainer dans les forêts infestées de loups. Ce film est affreusement mécanique. Plus il y a d'argent à prendre plus la meute va se ruer dessus. La vraie drogue, n'est ni le sexe, ni la coke, ni même l'argent, mais l'urgence. Comme si cette peur de mourir sans avoir tout vécu des millions de retraités américains se transmettait directement dans les veines des traders par le truchement des écrans informatiques.
Toutes les valeurs sont donc inversées dans le film. Au plus bas de l'échelle la vie familiale qui n'est ni plus, ni moins que "Barbie + la maison de Barbie + le bateau de Barbie + les enfants de Barbie". Tous ça est totalement abstrait sans intérêt pour lui et finalement pour nous spectateurs. On a ensuite la drogue, mais là aussi les valeurs sont inversées, ce n'est pas le banquier qui devient drogue dealer, mais les dealers qui deviennent banquiers. Ensuite bien sûr l'argent, beaucoup d'argent. Et puis en dernier lieu qui vient détrôner tout le reste " l'urgence". Ainsi perdre ne serait-ce que quelques heures dans un avion sans profiter, est tout bonnement insoutenable. C'est bien l'urgence qui crée la drogue et non la drogue l'urgence. Cela se traduit pas cette simple phrase quand le loup se trouve pris dans la tempête face à la mort : "Je ne vais quand même pas mourir sobre".
Dans la logique du drogué, comme notre temps est limité sur terre on ne peut augmenter son temps de vie qu'en augmentant son intensité. Dans la finance ça marche. En une seconde vous pouvez faire une transaction de 1000 dollars ou de 1 milliard de dollars. Avec 1% de commission vous pouvez gagner 10 dollars ou 10 millions de dollars dans la même seconde. Les chiffres sont donc capable de gérer l'intensité des choses. Notre âme ne le peut pas car ce qui compte c'est ce qui dure, alors que le métier de Wall Street est de faire et défaire tout ce qui pourrait durer en prétextant que nous n'avons pas le temps d'attendre.

Arrêtons-nous quelques instants sur la métaphore du stylo. Vendez-moi ce stylo, nous réclame notre héros. Comme Faust nous demanderait de vendre notre âme. Il nous met tout de suite face à nos propres contradictions.
Soit on lui dit non, mais cela implique que nous n'avons rien à vendre, pas même un stylo et cela veut dire aussi implicitement que nous nous tenons hors du marché, hors de l'économie toute entière, ce qui est tout bonnement insoutenable pour les homo-economicus que nous sommes devenus.
Ou alors il faut bien se rallier à l'évidence, même si je ne suis pas prêt encore à vendre mon âme au diable, je suis quand même déjà prêt à vendre un stylo à mon voisin. Et c'est là que tout bascule. Le diable va se glisser exactement entre l'acheteur et le vendeur pour dématérialiser la transaction, c'est lui maintenant qui est de chaque coté de la transaction et qui va créer cette urgence qui n'intéresse que lui et qu'il va vous vendre.
Le film finit sur ces images de pauvres gens en formation qui essayent en vain de trouver un argument pour vendre un stylo dans un monde qui a certes besoin de stylos, mais par forcément d'un stylo de plus. Quel va être mon argument pour vendre ce stylo? Si ce n'est celui du diable à savoir : "si tu ne l'achète pas aujourd'hui, il sera plus cher demain". Il n'est donc pas nécessaire de l'acheter, mais urgent de l'acquérir. Je ne vais donc plus acheter un stylo pour écrire mais pour le revendre. La question ne se pose plus de savoir si tu as quelque chose à écrire, mais de savoir si tu veux être riche. Aucun des stagiaires ne trouvera la réponse à cette question comment vendre ce stylo. Pourtant cette réponse nous est donnée dès le début lors du recrutement de ses associés. Si tu veux m'acheter ce stylo du doit d'abord écrire ton nom sur ce bout de papier. Et l'autre de répondre : mais je n'ai pas de stylo.
Scorcèce nous dit donc admirablement dans ce film que le diable n'a rien à nous vendre c'est nous qui voulons lui acheter. Voilà pourquoi son héros n'en est pas un. Si tu veux me vendre un stylo, commence par me l'acheter . Si tu me l'achète ce n'est donc pas toi qu'il à produit, si tu tire un profit de cette simple transaction , pourquoi alors ne pas m'acheté 1000 stylos, que dis je un milliard de stylos  et tu sera riche à million  en un instant .Le diable n'est pas dans le détail, il est dans les chiffres.
Ce qui dure ne peut pas se diviser.  Il n'y a que le diable pour prétendre qu'il ne faut qu'une seconde à 972 000 mères pour faire un enfant . Le temps qui passe est celui du diable , le temps qui dure doit rester le notre. Cette durée qui ne se compte pas ne serai ce pas tout simplement notre âme comme le pensait déjà saint augustin ? Cette intime conviction qui tente de  dé-diaboliser notre monde en nous soufflant que ce qui compte vraiment ne se compte pas .

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