Faust



L’histoire du Dr Faust, est l’histoire d’un pacte. D’un pacte avec le diable. Mais ce Diable qui est-il et que nous veut-il ?
Après la lecture de la biographie de Goethe, on retrouve un étrange parallèle entre l’histoire de ce grand homme et les déboires du Docteur Faust avec son encombrant associé. Outre un certain nombre de détails autobiographiques que l’on trouve inévitablement dans son œuvre, Goethe et Faust partagent finalement le même destin.
Parmi mes films préférés on compte Phantom of Paaradise  et  Shakespeare  in love. Si le premier est une réactualisation géniale du diable qui souhaite  nous posséder en possédant notre musique, on retrouve dans Shakespeare in love un tissage divertissant de la vie et de l’œuvre de  l'auteur de Roméo et Juliette. A mon avis , il y a sans doute matière à tisser un "Goethe in love", qui pourrait se retrouver lui aussi créateur et créature, montrant ainsi à quel point sa vie a été celle de son Dr Faust.

Goethe est un génie, tout lui réussit, à l’instar d’un Mozart, il comprend vite, s’intéresse à tout, réussit dans tout mais finalement bien qu’émerveillé par la science il fera de la poésie son ultime objectif. Goethe cherche à s’approcher de la beauté universelle et pour cela repoussera toute sa vie les avances d’un diable aux allures romantiques qui le pousse vers un sentimentalisme qui l'effraye.

Goethe est sans doute, et probablement à son insu, le premier romantique. Cependant il ne l’assume pas, tout épris qu’il est encore des canons que lui offre la beauté classique. Ce sera l’histoire de sa vie. Pourtant cette lutte permanente que l’on devine en lui, de ne pas se rouler dans la subjectivité des auteurs romantiques, lui confère déjà la stature d’une âme romantique.

Goethe , à l’instar de son Dr Faust semble pactiser dès son plus jeune âge avec le diable et cela grâce à son premier roman Les souffrances du jeune Werther. Cette œuvre est diabolique à plus d’un titre. D’une part parce qu'elle remporte un succès incroyable, de la part d’un auteur jusqu’alors inconnu, et qu'elle lui apporte immédiatement la richesse et une notoriété non seulement en Allemagne mais dans toute l’Europe. L’histoire de Werther est l’histoire d’un jeune homme épris d’une femme mariée, et dont l’amour impossible le conduira au suicide. La fièvre Wertherienne déclenchera une mode vestimentaire à l’image du jeune Werther et une vague de suicide sans précédent en Europe. Comment ne pas imaginer face à un tel succès et face aux retombées diaboliques que cette œuvre que le jeune Goethe n’ait pas pactiser avec Satan.

Après ce livre Goethe va devoir racheter son âme. Pour cela toute sa vie il va se tenir à l’écart du mouvement romantique, alors qu’il pourrait être le romantique par excellence, comme semble lui souffler Méphistophélès qui a déjà assuré sa fortune. Précurseur du romantisme au travers du mouvement allemand « Sturm und drang » ( tempête et élan), il se refusera toute sa vie de verser dans la littérature romantique qu’il dénigre. 

Faust qui se sera la  double grande œuvre de sa vie (puisqu’il en écrira une deuxième partie à la fin de sa vie) est bel bien l’histoire de la vie. La saga d’un écrivain  écartelé entre l’attrait d’un classicisme divin et l’appel diabolique du romantisme.
Goethe est génial, il sent les choses mieux que tout autre. Il voit déjà le monde de demain dans les habitudes de son entourage. Ce besoin de communiquer, de s’informer, de voyager, de vouloir tout voir, pour finalement ne plus rien savoir. Notre monde contemporain Goethe le pressent et il le refuse. Goethe est un homme des lumières ( l’Aufklarung, comme on dit chez lui) il veut tout connaître tout comprendre, c’est l’époque de Diderot où l’on entreprend de consigner tout le savoir de l’humanité dans des livres. Le monde de Goethe est un monde universel qu’il veut comprendre et dominer.

Hors ce monde là qui par le miracle de l’écrit et de l'impression peut enfin se consolider est déjà menacé par les forces centrifuges de la littérature du 19ème siècle. Ce que Victor Hugo annoncera, Goethe l’entrevoie mais de l’accepte pas. Les mots viendront à bout de nos cathédrales (classiques), la littérature tuera l’architecture. Ceci tuera cela. La mise à mort du classicisme par le romantisme qui le hante autant que qu’il hante le Docteur Faust lui est aussi insupportable qu' elle est inévitable.

Hors c’est bien lui qui a convoqué le diable dans sa vanité de vouloir tout comprendre d’un monde qu’il na pas créé. Goethe veut comprendre la nature des choses, alors que le diable semble lui dire que le seul monde qu’il pourrait comprendre, ne peut être que le sien et que son désir d’universel est bon pour la poubelle.

L’histoire de la vie de Goethe est aussi une histoire d'amour. Celle de Faust et de Marguerite. D’un coté Marguerite représente la beauté classique divine et éternelle, de l’autre Faust représente le scientifique qui comprend le monde en quête d’universel.
Marguerite croit en Dieu et cherche la beauté par le divin, Faust croit au diable et cherche la vérité par la science. L’un veut nier le temps, l’autre l’espace. Ils ne peuvent se rencontrer. Le monde que l’on pensait imaginé par Dieu, va être lui même écrasé par notre propre imagination. En plus de cette antinomie diabolique entre la beauté de la vérité et la vérité de la beauté le deuxième Faust de Goethe nous annonce la dématérialisation de notre monde.

Les deux principaux vecteurs de ce nouveau monde virtuel sont la dématérialisation de l’argent et celle de nos représentations. Ainsi dans Faust il faut noter que le diable insiste toujours pour qu’un contrat soit signé. Ce à quoi Goethe répond par le truchement de son personnage Faust qu’il n’est nul besoin de contrat pour traiter avec le diable. Mais ce dernier insiste. Cet acte de signer avec son sang est un acte emblématique du mythe de Faust qui mérite que l’on s‘y attarde.

Parlons d’abord du contrat. Et si c’était lui qui était à la source du diable et non l’inverse ? 
Comment faire la part entre le diable et dieu lorsque que l’on s’accorde ?
Une relation de confiance sans contrat ne serait-elle pas finalement toujours une relation divine, et une relation par le contrat et ses multiples clauses une relation diabolique qui tue la confiance. Si Le diable est bien dans les détails, c’est sans doute dans ceux du contrat. Bref une relation avec dieu se fait sans contrat, c’est à dire sans contrepartie, alors qu’une relation avec le diable nécessite un contrat. Avec dieu on donne, avec le diable on échange.

Ainsi la deuxième partie de Faust s’ouvre sur une pays sauvé de la faillite par la simple magie des assignats signés de la main de son souverain qui fait foi. Le souverain lui même n’en revient pas , mais on lui assure que les garnisons se contentent fort bien de papiers à la place d’or, pourvu qu’ils soient signés de sa main. Goethe met donc admirablement en scène la faillite diabolique vers laquelle la haute finance nous embarque.

On peut aussi noter dans le mythe de Faust la nécessite métaphorique d’utiliser son sang. Le sang représente à la fois la signature infalsifiable puisque biométrique, vers laquelle notre civilisation abonde, mais aussi le sang représente un don de vie. Qui de l’homme et de l’argent dirige l’autre ? L’argent ne devient-il pas le finalement le sang d’un nouvelle être qui nous dépasse.

Il y a, de plus, explicitement dans le dernier Faust de Goethe la mise en scène du virtuel. Ainsi des personnages mythologiques sont appelés à jouer de manière anachronique dans la pièce.  Le monde que nous décrit Goethe est donc un monde mystifié, mêlant acteurs, personnages et avatars. Un monde de masques, virtuel, dans lequel on peut tout y mettre à condition d’y croire. Pourquoi  alors ne pas tomber amoureux d’un personnage mythologique comme Hélène de Troie dans un monde qui veut tout maintenant.
Voilà le monde romantique que Goethe entrevoit magistralement dans sa deuxième partie de Faust et auquel il n’adhère pas. Il ne veut pas se damner, il ne veut pas vendre son âme au diable du subjectif, il sera finalement sauvé par les prières de Marguerite son premier et seul amour : qu’il nomme l’éternel féminin, mais qui n’est autre que la beauté classique dont il a toujours été épris et qu’il idéalise.  

Notre illustration 1 : une image du diable tirée du film Phatom of Paradise de Brian de Palma
Notre illustration 2 : Goethe au Paradis ( finalement serein devant les ruines du classicisme )
                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                               

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