120 battements par minutes



Plutôt que de critiquer la forme, ce que font abondamment les média qui gravitent autour de l'industrie du cinema, j'essaye de décrypter le fond, pour trouver ce que le cinéma dit de notre société. Pour 120 battements par minutes cela me parait vain, puisque que tout le monde semble avoir été conquis par le film pour  son message sur le combat difficile contre le Sida au début des années 90. Et pour une fois on lit des critiques qui parlent d'autre chose que de mise en scène, de costume, de directeur de la photographie... Ce film oblige les critiques de cinéma à parler plus du Sida que du cinéma. Alors pour un fois je vais pouvoir de mon coté vous parler un peu de sa forme.

Ce qui frappe le plus dans ce film ce sont ces longues scènes de danse qui viennent ralentir et alourdir le récit. Comment de pas être choqué de voir ce scénario qui glisse avec une mécanique d'horloger d'un format documentaire sur Act Up vers une montée en puissante poignante d'une histoire d'amour qui finira mal se faire tronçonné par ces scènes de boite.

La danse est filmée de manière très plate et surtout la musique est assourdie. On regarde ses jeunes s'agiter mais il ne se passe rien, il n'en résulte rien et pourtant ça dure jusqu'à l'ennui.

Il y a un lien vital entre la musique et la jeunesse. La manière dont il est mis en scène dans le film est inquiétante. Si l'on compte sur les laboratoires pour soigner notre corps, on sait aussi que la musique reste le meilleur remède pour soigner nos âmes.
Cette désespérance des années 90 de ne rien trouver d'efficace pour curer le virus du Sida semble trouver écho dans une mise en scène de boite de nuit où la musique sourde glisse sur des âmes sans avoir d'effet. On danse mais on ne s'amuse pas. Le rythme à 120 battements par minutes des tubes de House music de l'époque de parviennent pas à soulager les âmes de cette jeunesse candide emportée dans un fléau que les pouvoirs publics refusent encore de regarder en face. Leurs vies semblent étouffées dans les sous-sols de ces discothèques parisiennes où les jeunes gays qui se trémoussent sont vus comme le virus et le virus comme une conséquence de leur déviance. D'où ces fondus enchainés de scènes sombres de discothèques filmées avec distance vers une image de microscope qui nous dévoile les formes du Sida. Il n'y a pas plus désespérant qu'un monde où le lien sacré et curatif entre les jeunes et la musique soit brisé. Le désespoir de ne trouver aucun remède rejaillit sur un enfermement de l'âme qui ne trouve plus son énergie dans les 120 battements de la musique électronique du moment.

On entrevoit dans ces coupures qui viennent volontairement massacrer le romantisme du film l'angoisse et son acolyte, l'abrutissement. On vit dans la peur de ne pas savoir. Plus l'épidémie du Sida se propage plus les chars de la Gay Pride essayent d'envoyer de la musique, au point de barder un semi-remorque d'enceintes pour briser le sort et libérer les âmes enfermées dans l'angoisse d'un corps infecté sans remède.

Ce dispositif qui vient anéantir le cours narratif du film revient régulièrement comme ces bouffées d'angoisse qui vous saisissent au moment où vous les attendez le moins.

Le film dépasse dans sa forme l'histoire du Sida, il nous parle de la légèreté perdue. On s'amuse alors  à faire le parallèle avec les djihadistes dans Timbuktu qui refusent que l'on joue une note de musique. On imagine notre jeune activiste victime en face terminal du Sida être la réincarnation d'un jeune soldat de la guerre de 14 (c'est d'ailleurs le même acteur qui joue dans ce film et dans Au revoir là-haut). Combien de temps encore va t'on sacrifier la vie des plus jeunes pour protéger les préjugés des plus vieux? Les protagonistes de 120 battements par minutes n'ont plus de vie parce qu'ils n'ont plus de jeunesse. Ils n'ont plus que des mots en forme de slogan pour se battre.

On est donc enfermé dans un amphi, où l'on discute, où l'on s'indigne, rien n'existe plus que l'amphi, tout ce qui doit se dire se dit dans l'amphi, rien de leur vie personnelle ne transparait. Ils sont chosifiés par la société. Ils ne sont plus qu'une équation mise en scène dans le film par "amphi+boite de nuit+ sexe+ hôpital". On est pris dans leur monde où la légèreté de la musique ne parvient plus à nous porter, ou l'enthousiasme vibrant et sonore des applaudissements est curieusement remplacé par de timides claquements de doigts. Pour ne rien perdre de ce qui se dit dans l'amphi, ces jeunes sont entrain de perdre ce qui se vit.

On pourrait argumenter que l'âme peut sortir grandit de l'expérience morbide du Sida. La réponse du  film est sans appel grâce à cette scène dans le métro où notre jeune héros prétend vivre tout plus intensément depuis qu'il sait qu'il va mourrir, avant de conclure qu'en fait il n'en est rien. Mourir du Sida n'est pas plus sublime que de mourir dans les tranchées surtout quand on a toute la vie devant soit. Voilà pourquoi la mise ne scène ne tombe pas dans le mélo et nous tire régulièrement dans les salles de soins. On sort de ce film remué, comme si les abimes d'angoisse vécues par ces jeunes venaient de frôler notre âme d'enfant.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Ca va décoiffer !

La Roquette en blanc

Soirée Uniformes