Le facteur Cheval


Le vrai titre du film est en fait L'incroyable histoire du facteur Cheval. Ce titre a lui seul nous donne le sentiment que le réalisateur veut trop bien faire. Un peu comme ces gens qui veulent vous faire rire en vous annonçant qu'ils vont vous raconter une blague hilarante.

La distribution de ce film est irréprochable et les acteurs jouent juste et vrai, avec retenue et conviction.
Le film se développe sur plus de 2 heures à un rythme qui nous replonge dans un temps qui s'écoulait différemment dans la Drôme à la fin du 19 ème siècle.

En observant Cyrille, ce  fils qui veut bien faire et qui aimerait tant participer à l'œuvre de son père, on pense au rapport que doit entretenir Nils Tavernier, qui réalise et co-écrit le scénario du film, avec son père Bertrand. A 53 ans Nils n'a fait que des reportages et reste dans l'ombre de son père. L'incroyable histoire du facteur Cheval est d'ailleurs a ce titre plus un documentaire sur la vie du facteur, qu'un parti pris original du réalisateur sur la vie de ce personnage atypique.

Les vue panoramique des paysages sont soignés, les décors sont sobres et justes, les acteurs n'en font pas trop. Le facteur par l'interprétation de Jacques Gamblin nous semble même moins fou que son œuvre. C'est factuel. On ne rate rien des étapes de sa vie.  Le film est documenté et nous restitue sa vie comme un état civil : mariage , enterrement, retraite, récompense, reconnaissance. Ce film n'est pas critiquable. Il est finalement fade et lisse comme la copie d'un bon élève.

L'erreur du film est de se coller à un énième biopic, alors qu'il fallait entrer dans la tête du facteur Cheval pour comprendre son délire. On ne fait pas du cinéma pour faire du journalisme, mais pour donner une perspective de sa propre interprétation du monde. On sent bien que Nils comprend la folie créatrice du facteur, mais il ne parvient pas à la pénétrer. On reste bloqué sur les yeux de Gamblin sans jamais entrevoir ce qu'il pense. Il sait qu'il puise ses ressources dans la nature, mais ne parvient pas à la transcrire en image. En lieu et place d'allégories qui font la beauté du cinéma il nous donne un regard admiratif mais stérile des paysages de la Drôme. Ce qui fait la force du facteur Cheval c'est son audace et ce qui fait la faiblesse du film, c'est cette trouille que ce fils à papa de Tavernier a de faire moins bien que son père.

On se retrouve avec un docu-film nostalgique et pépère, au lieu d'un cinéma allégorique connecté avec son temps.

Ce facteur Cheval n'est pas un être comme un autre, il y a quelque chose de végétal en lui qui le rend singulier, d'où la rareté de sa parole. Il n'est pas venu au monde pour parler, mais pour pousser.
Cet être végétal a pris racine dans un terrain que délimite sa tournée de facteur de plus de 30 km. Il cherche le soleil, pas celui qui brille sur les roches calcaires de la Drôme, mais une lumière idéalisée,  qui le conduit sans hésitation à nommer son palais "idéal".
Je ne crois pas à cette histoire de palais construit pour sa fille et qu'il ressert à sa femme sur son lit de mort . Il fait ce palais pour lui, non par besoin mais par nécessité. C'est un homme qui veut pousser et qui aspire comme tout arbre à la verticale. Son palais ne se développe donc jamais à l'horizontal sous la forme d'un plan. Il  ne cherche pas non plus les volumes. Son but : l'élévation dans l'harmonie. Son palais est la confluence de 2 sources de vie et de la sagesse. On n'en parle jamais dans le film, dommage. Cette œuvre représente la vie dans sa diversité au travers de la sexualité qui partage le monde en deux pour le rendre encore plus beau. Donner de la vie et un sens aux rochers ou aux galets glanés le long des chemins, voilà l'incroyable souffle de vie que nous donne ce facteur.

Où sont les sultans et les sultanes, le faucon, les phantasmes de palais exotiques ? On ne voit rien de son inspiration ci ce n'est ce palais que l'on connait déjà et qui n'a pas besoin d'un film pour devenir célèbre, puisque que 150 000 visiteurs viennent le découvrir chaque année.

Le réalisateur s'est trompé de cible en faisant un film sur l'histoire d'un Cheval qui n'a rien d'incroyable alors que c'est l'histoire de son palais que tout le monde veut connaître. On voulait remonter aux sources de son inspiration et devenir comme lui ce végétal qui n'a qu'une envie, pousser le plus vite possible vers le soleil. Au lieu de cela on nous oblige à enterrer ses enfants et ses femmes comme si une malédiction pouvait s'abattre sur la naïveté rayonnante de ce facteur dont l'œuvre a été classée à juste titre comme la première pièce d'architecture naïve par Malraux. Le palais idéal est un palais que l'on se construit sans jamais y vivre. Voilà la leçon que nous donne ce facteur qui n'a pas vu grandir ses enfants à force de vouloir faire grandir son idéal.
Bernard a t-il vraiment vu grandir Nils ?

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