Peau d'âne au théâtre Marigny


Pour sa réouverture le Théâtre Marigny nous propose une adaptation au théâtre du mythique film de Jacques Demy : Peau d'âne.
On se réjouit à l'idée de voir ce film des années 70 enfin porté sur une scène. Le public est conquis d'avance. Tout commence très bien.  Le théâtre Marigny propose au rez-de-chaussée une restauration de qualité dans un endroit restauré avec goût, alliant tradition et modernité. On peut directement depuis le restaurant présenter ses tickets et monter s'installer dans son fauteuil quelques minutes avant que la sonnerie ne retentisse. Nous sommes en corbeille, Héléna est au balcon en dessous de nous. Deux boules disco et le décor de deux arbres installés à l'avant du rideau nous donne un avant goût du spectacle.

Générique : la musique s'échappe d'une fosse étroite qui ressemble à une grande boite aux lettres les boules se mettent à scintiller dans la salle. La musique colle au plus près à la bande son originale du film. Le réarrangement par Michel Legrand promis pas le directeur du théâtre semble plus tenir du reformatage des durées, rendu nécessaire par la mise en scène que d'une tentative de remixage. Dommage.

Fin du générique le rideau se lève sur une forêt d'arbres et de miroirs. Pas mal, mais un peu lourd et encombrant, surtout que malgré 25 minutes d'entracte on restera planté dans ce décor aux allures de salle des glaces du Musée Grévin jusqu'à la fin. Claire Chazal rentre en scène pour nous narrer le début du conte. Sa robe est d'une extravagance gratuite et son ton de conteuse du petit écran s'adapte mal à la dimension de la salle. Pourtant l'idée de faire intervenir une journaliste de la télévision comme narratrice aurait pu donner un éclairage  surréaliste dans la veine de l'hommage de Demy à Cocteau. On passe complètement à coté. Ce clin d'oeil est anecdotique et Caire Chazal semble perdue dans un spectacle qui ne ne la regarde pas. Un intermittent en intermittence aurait aussi bien fait l'affaire.

Le spectacle commence avec l'apparition du roi, magnifiquement incarné pas Jean Marais à l'écran. De notre coté nous écopons d'un monarque septuagénaire fatigué, danseur étoile en fin de carrière qui joue aussi mal qu'il dansait bien dans son jeune âge. Il n'a pas d'allure, il pourrait être le grand père de Peau d'âne. Cet écart rend l'idée même d'inceste qui sous tend le conte de Perrault d'autant moins ragoutante. Ce n'est pas nécessairement l'idée du conte qui ne punit pas le père pour son projet immorale mais qui encourage les jeunes filles  par le truchement de la fée des Lilas de résister sans juger.

Le film date des années 70, on a donc le recul pour moderniser Peau d'âne sans écorner ce qui l'a rendu culte. D'ailleurs à chaque fois que le metteur en scène innove il fait mouche. L'arrivée de la fée des Lilas sur des rollers ravi l'assistance. Malheureusement ces moments de créativité et de liberté par rapport au film ne sont pas légion. Mise à part la scène du rêve on l'on décolle dans tous les sens du terme par rapport à la mise en scène originale de Jacques Demy, on reste collé aux images et aux clichés du film sans raison. Si ce n'est le manque d'imagination du metteur en scène.

Le plus triste c'est qu'on ne danse jamais. Pire personne ne bouge sur cette scène statique où les choristes passent leur temps à bouger des meubles alors qu'ils auraient pu être remplacés avantageusement par des danseurs. Pourtant la distribution est large et les recrutements se sont fait parmi des ex-danseurs que l'on devinent frustrés. Par exemple la première scène démarre sur une pluie de pièce d'or derrière un rideau de perle qui rend le tout quasiment invisible. En plus de ne servir à rien cette scène oblige les acteurs à passer des balais très moches pendant de longues minutes pour nettoyer une scène qu'on vient à peine de découvrir.
Ce Peau d'âne semble condamner dès le début les acteurs à marcher en regardant leurs pieds. La princesse est voutée sur un piano de pacotille et ce n'est guère mieux quand elle prépare le fameux cake d'amour. Les costumes font penser à ses rencontres de passionnés de féodalité. On est basique,  tout est premier degrés rien ne se réfère aux années de création du film à part quelques boules disco accrochées aux cintres qui montent et qui descendent bêtement au gré de la musique.

La magie n'opère que lorsque l'on ferme les yeux, car les chanteurs sont justes et les musiciens (trop) invisibles sont bons. Bref ce spectacle peut être avantageusement remplacé par son CD.

Il y avait pourtant de quoi faire pour moderniser ce thème et amuser la galerie. On rit quand l'intendant annonce que seules les filles peuvent tenter leur chance pour gagner le prince au test de l'anneau. Pourquoi ne pas avoir introduit plus de légèreté et de modernité à l'instar de cette réplique?

Par le refus de vieillir et cette envie de rester aussi jeune que ses propres enfants, la société moderne par la chirurgie esthétique, mais aussi par la manipulation génétique remet le tabou de l'inceste au cœur de notre civilisation.
On attendait un Peau d'âne qui nous renverrait nos propres contradictions. Ce n'est pas le cas. Là où Demy faisait téléphoner la fée des Lilas et atterrir des hélicoptères dans le château de Chambord. Ce spectacle n'apporte rien de nouveau pourtant l'inceste est bien là aujourd'hui dans cette quête de l'éternelle jeunesse qui brouille les pistes générationnelles.

Il fallait créer un roi de 40 ans qui en paraitrait 30. Il fallait ouvrir le spectacle sur un homme dans la force de l'âge prenant soin de son corps. Il fallait dès les premières minutes nous plonger dans le même désarroi que celui de Peau d'âne. Découvrir le roi non pas nu mais torse nu et beau. Il fallait anéantir les rides et les kilos qui naturellement protégeait Peau d'âne d'aimer son Père.

Pourquoi pas une fée des Lilas androgyne puisqu'elle a tous les pouvoirs.  Pourquoi Peau d'âne ne part elle pas faire des cake d'amour aux Etats-Unis puisque qu'elle doit partir par delà les mers et pour nous divertir. Et bien non là où Noureev modernise Cendrillon en mettant ce conte en perspective avec l'industrie du film d'Hollywood  notre Peau d'âne nationale se retrouve une fois de plus à faire son cake dans une chaumière pourrie au fond des bois.
Le final nous transmet toute la frustration de ce qui aurait pu être fait. Les musiciens sortent maladroitement de leur fosse et les acteurs ont envie de danser et de taper dans les mains. On les comprend mais ce n'est pas ce qui a été choisi. On quitte le spectacle avec cette idée qu'à l'instar de Peau d'âne, le metteur en scène avait une baguette magique entre les mains et qu'il n'a pas su s'en servir.  Ce Peau d'âne est un rendez-vous raté avec la modernité, les angoisses et la légèreté  de notre civilisation. Un coup dans l'eau.

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