Guernica (suite et fin)

Pour ceux qui ont lu l'article précédent avec attention, vous aurez sans doute notez que je parle de tous les personnages du tableau sauf d'un et de taille puisqu'il s'agit quand même de cette femme qui rentre dans le triangle central du tableau. Si je ne vous en ai pas parlé, c'est parce que je n'en avais aucune idée. La nuit portant conseil, je me suis réveillée ce matin avec une idée pour vous expliquer qui est ce dernier personnage mystérieux.

Pour cela il faut rentrer dans une analyse plus psychologique du tableau. Je vous ai dit hier qu'un tableau parle toujours de celui qui le peint, c'est dans cette direction que je vais continuer donc de creuser. Mais pour se faire il va bien falloir que je vous confesse un autre secret, celui qui commente un tableau finit toujours par parler de lui. Cela semble évident une fois dit, mais pourtant je trouve que peu de commentateurs prennent la peine de se présenter avant d'analyser une œuvre. Ils ont tort car la peinture est forcément méthaphorique si elle veut délivrer un message.

La poésie et la métaphore ne sont à mon avis qu'une seule et même chose. La beauté n'existe que quand mon monde poétique touche celui d'un autre. La beauté c'est la sensualité de deux esprits qui se touchent. Ainsi pour analyser la beauté de Guernica et le monde métaphorique qu'il me livre, je vais devoir utiliser mon propre monde, ma poésie. Les canons standards de beauté ne servent plus a rien pour comprendre ce que cette œuvre veut me livrer.

Je suis un homme gay, je désexualise donc la femme. Ces femmes non sexuellement désirables m'apparaissent donc toutes plus ou moins comme des mères. L'homme gay est donc un éternel enfant. Voilà qui je suis devant Guernica.

Revenons donc au tableau avec un autre éclairage. Celui d'un huit clos où la lampe en forme de 3ème œil serait ma conscience et la pièce qu'il éclaire mon MOI. La plupart des critiques décrivent la femme qui arrive dans la lumière comme une femme blessée à la jambe gauche. Mais ça ne colle pas. Bien sûr que Picasso déforme à loisir les corps pour qu'il nous révèlent leurs âmes. Mais là ce n'est pas le cas. Cette jambe est bien trop longue, bien trop forte pour être la sienne. Et puis regardez son visage, elle ne crie pas, elle ne souffre pas.

En fait il n'y pas d'homme dans ce tableau, mon erreur c'est d'avoir vu un personnage de trop, celui du soldat. Un soldat n'a pas de vie, il n'a qu'un rôle. Ce que nous voyons en premier plan n'est donc pas un soldat mutilé et une femme blessée. Mais la mue d'un seul et même personnage. Face à l'horreur de la guerre c'est la féminité de l'homme enfermé dans le rôle 100% viril de soldat qui se casse.
Regardez de plus près ce soldat est totalement creux. Sa tête n'est qu'un masque, son bras armé un accoutrement, cette jambe que l'on croyait diforme, une botte.

J'en vois certains qui se disent déjà que je pousse un peu en voyant dans Guernica le coming out de Picasso. Cela n'est pas mon propos et je vais expliquer où je veux vous emmener.

D'abord la masculanité de Picasso n'est pas remise en cause et cela par la simple présence du taureau qui fait parti de ce huis clos et par sa vie. Cette dernière femme qui vient dans la lumière est une nouvelle forme de féminité qui vient d'éclore de sa carapace de soldat. Cette nouvelle féminité en plus d'éclore à la lumière de la liberté doit dire adieu à deux stéréotypes : le lien de sang entre la mère et l'enfant représentés à l'extrême gauche et la séduction représentée à l'extrême droite. Ce que fait naître la guerre n'est autre que la plus belle des qualités féminines, la compassion. Un soldat qui se veut un soldat de la paix est obligé de se démasquer et de révéler le féminin maternel et compatissant qu'il a en lui. Dans le huis clos de notre conscience dépeint par Guernica ce bras tendu qui tient une bougie n'est plus celui de la liberté, mais maintenant celui de la vérité.

En deuxième lecture et après une bonne nuit de sommeil, Guernica semble nous dire "à quoi bon vivre libre, si c'est pour vivre dans le mensonge et dans l'erreur". Les soldats de la paix seront des femmes ou ne seront pas.

Parce que je suis gay je peux plus facilement décodé ce qui tient du sexe et ce qui tient du genre. Ce que fait Guernica c'est de redéfinir les genres pour casser une fois pour toute l'idée même de la virilité source de toute les guerres. La paix, si chère à Picasso, se construira forcément sur les cendres de Guernica mais aussi sur celle de la virilité.

Je vais maintenant prendre quelques exemples pour étayer mon propos, somme toute très personnel.
D'abord on est en droit de se poser la question pourquoi dans notre langue le masculin s'oppose logiquement au féminin alors que viril et virilité n'ont pas d'équivalent pour la femme. Et bien parce que la virilité n'existe pas. Elle n'est pas naturelle.

Voilà maintenant ce que les critiques disent de la relation entre Dora Maar et Picasso. "Le peintre aime, pour la représenter, sculpter des formes torturées. Il voit en elle de la tragédie. Il lui assène souvent : Tu ne m’attires pas, je ne t’aime pas. Ou plutôt si, comme j’aime un homme".

A la lumière de ses propos on ne peut pas m'accuser de chercher à tort une redéfinition des genres à travers l'œuvre de Guernica à laquelle il a travaillé en commun avec Dora.

Ce que nous décrit Picasso c'est l'amour sans passion qui n'est autre que cette belle compassion qui nous permet de nous projeter à la place d'un autre, et qui est finalement la seule garantie de paix. Voilà pourquoi derrière sa personnification il semble y a avoir une grande ouverture dans le tableau.

Si la femme souffre dans ce tableau parce qu'elle doit sortir de l'égoïsme consanguin et de la pure séduction pour trouver sa vérité, il en va de même pour l'homme.
Si Guernica nous fait comprendre que les soldats de la paix sont forcément féminins, il nous montre aussi au cœur du tableau un cheval à l'agonie. Mais qui est donc ce cheval, si ce n'est le pouvoir que l'homme tire de la politique. Ce n'est pas le peuple qui meurt sous nos yeux, comme nous l'explique à tort l'artiste, mais bien le système tout entier du pouvoir en place qui conduit à la guerre. Les états "même démocratiques" se font toujours la guerre, il faut changer de cheval, il faut trouver un autre ordre politique qui dépasse les nations pour garantir la paix. Ce  nouvel ordre là a besoin d'une autre forme de masculinité qui doit l'inventer. Nos nations-cheval se meurent, il est temps que l'homme taureau spectateur de la scène trouve une autre idée que la virilité pour diriger le monde.


Notre photo : Picasso photographié par Dora Maar


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