Les Ménines

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Qui sommes nous ? Ce « je » qui nous sort à tout bout champ de la bouche et qui fait de nous un sujet a t-il encore une place dans un monde qui n’aurait plus d’histoire ? Le tableau Les Ménines de Velasquez pose admirablement cette question. D’abord parce qu’il est un autoportrait. Et comme tout autoportrait il pose la question du sujet. Le peintre se peignant lui-même dédouble son moi, se divise en deux en devenant moitié modèle et moitié peintre. Qui est finalement le véritable sujet ? Celui qui peint ou celui qui est peint ? Le visiteur du Prado que je suis, ne va t-il pas voir un tableau de Velasquez, plutôt qu’un tableau de l’infante qui semble pourtant être le centre d’intêrét de cette toile ? Le tableau des Ménines comme tout autoportrait ne fait pas que casser notre identité en deux (suis-je celui qui regarde ou celui qui est regardé ?) il la met en abime, puisque le peintre se peint lui-même entrain de peindre. Vélasquez nous pousse dans une fuite en avant qui semble nous dire que notre être n’est que devenir.

Mais si Les Ménines ont déjà fait couler tant d’encre à laquelle je participe aussi, c’est parce qu’en plus de fissurer notre moi qui nous est si cher, il questionne de surcroît notre réalité, qui nous est encore plus chère.

Plus je regarde Les Ménines plus je vois un sandwich entre deux plans, un étau dans lequel notre réalité se trouverait coincée. Cette réalité se trouvant précisément représentée dans l’œuvre par cet espace entre la toile qui apparaît en premier plan (l’avant de la réalité) et qui doit rendre compte dans le futur du moment qui est dépeint et  par le fond de la pièce (l’arrière de la réalité) enfermée par un mur dont la seule porte semble solidement gardée par l’amiral du palais.

Ce tableau est une allégorie de l’histoire avec en arrière plan des tableaux déjà peints à peine visibles qui représentent notre passé et devant cette toile entrain de se peindre qui cherche à représenter notre présent. Bien sûr aujourd‘hui hors du tableau le futur c’est moi. Velasquez le sait. Il ne regarde pas le tableau il détourne son regard du présent ( le tableau qu’il est entrain de peindre) pour me regarder moi-même, coincé dans mon propre présent , en l’occurrence le vendredi 5 juillet 2013. Bon tout ça pourrait être finalement bien classique, révélant l’ennuyeuse condition humaine et sa succession de reines et d’infantes qui se font peindre pour marquer l’histoire, mais il n’en est rien.

Les Ménines nous offrent des clefs pour sortir de la réalité qui nous enferme. D’abord cette porte ouverte au fond de la pièce semble nous inviter à sortir du tableau par l’arrière. Cet homme, si on y regarde à deux fois tient un rideau à la main comme si il attendait de nous que nous rentrions en scène, que nous cessions d’être le spectateur pris à parti pour cette mise en scène pour nous échapper vers notre propre vie où nous ne serions qu’acteurs en remontant le sens de l’histoire à rebrousse poil. Il y a aussi juste à coté de cette porte, un tableau qui lui semble beaucoup plus visible que les autres. Pourquoi cette lumière sur ce tableau alors que les autres sont dans la pénombre. Et bien parce que ce tableau n’en est pas un, c’est un miroir. Ce miroir, contrairement aux pratiques de l’époque n’est pas un effet de style (pour montrer la virtuosité du peintre en redessinant la pièce conformément déformée dans un reflet). Ce miroir nous regarde, il nous fait face, il ne dit rien de la pièce dans lequel il est accroché. Il se fiche donc de la réalité. Ce miroir nous montre ce qui est derrière le tableau que Velasquez est entrain de peindre. Dans le cas présent le roi et la reine qu’il doit sans doute peindre. Velasquez nous montre admirablement qu’il sait peindre ce qui est en dehors du tableau. Aujourd’hui le roi c’est moi. Et pour cela il suffit de décaler légèrement le point de vue vers la droite. En faisant ainsi, je donne la possibilité au miroir non plus de refléter le sujet que je suis mais les visages du roi et de la reine qui se trouvent maintenant forcément peints sur la toile pour se refléter. Quant à moi je me retrouve maintenant hors de l’histoire face à la porte, seule issue qui me reste pour sortir par l’arrière de la réalité qui nous écrase de son présent.
En représentant l’artiste en lévitation et en divisant radicalement le tableau en deux (plafond noir, plafond blanc) Picasso semble lui aussi nous donner les clefs de cette remise en cause à la fois de l’identité et de la réalité qui émerge du tableau original des Ménines.


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