David Thoreau





Il faut que je vous parle ce soir des machines. Des machines qui depuis le milieu du 19ème siècle nous poussent à produire. Il nous faut donc consommer ce qu'elles produisent. Pousser par la force du courant des canaux les métiers à tisser de la ville ouvrière de Lowell. Ses manufactures désertes aujourd‘hui ont été les usines les plus productives des Etats-Unis en leurs temps.

Après l’eau, la vapeur et après la vapeur, l’électricité. Nous voilà les serviteurs des machines infernales qui nous vendent ce qu’elles produisent, pour la seule raison quelle  le peuvent. Les métiers à tisser produisent du textile à partir du coton dont les cadences normales pour elles, deviennent infernales pour l’homme. Nous voilà depuis 150 ans jetés dans l’enfer des machines. L'homme noir esclave de leurs cadences dans les champs de coton, l’homme blanc esclave de la mode qui lui fait consommer plus de textile que de raison. Depuis 150 ans rien n’a changé si ce n’est cet homme qui semble ne pas adhérer à un monde voué au bonheur par la productivité. David Thoreau que l’on résume souvent à un Jean-Jacques Rousseau américain par son naturalisme et son amour de retrouver nos liens avec la nature. Cet homme me semble voir au delà du simple amour du retour vers la nature. Pour ce disciple d'Emerson, il n’y a pas de bon ou de mauvais sauvage, nous sommes ce que nous sommes, mais la technologie nous transforme et pollue notre nature.

L’Amérique et son rêve se résument au surgissement d’un continent par la technologie. Celle de la navigation qui me fait vous écrire pendant un  jour férié que l’on appelle « Colombus day », mais aussi ensuite par celle de la machine à vapeur, de l’électricité et finalement de l’information. Dans sa cabane à l’austérité toute épicurienne, David Thoreau nous donne une leçon. Celle du retour au simple, de la recherche de l’essentiel, ennemie héréditaire du productif. 

Sa petite maisonnette au bord du lac de Walden à Concord nous pose une question : "Sommes-nous les produits de la technologie et de la technostructure qu'elle implique ou sommes-nous libres ?"; sous entendus,  libres de ne rien faire, la seule liberté que les machines ne nous reconnaitront jamais. Pointeuses, horloges, caméras, calendriers, agendas, compte rendus, tout est bon pour nous mettre en boite dans un temps minuté mécanique privé de son essence, l’expérience que nous avons de sa durée.

Deux ans dans une cabane en bois à quelques kilomètres de sa maison familiale. Voilà L’expérience de David qui ne prétend pas faire une révolution. Mais sa révolution.

Alors, sommes-nous  tous asservis par une idée qui n’existe pas ? Celle d’une révolution qui va tout changer. Ou allons-nous admettre que rien ne changera si nous ne changeons pas un par un ?
Il n’existe qu’une et une seule forme de révolution et toutes les autres ne sont que des chimères et des bavardages de comptoir ou de politburo. La vraie révolution c'est « CHANGER SA VIE ». Le révolutionnaire, ne change pas le monde, il se change,  il change de vie. Nous sommes donc tous comme David Thoreau capable en un instant, là maintenant, sans vote, sans remaniement ministériel, sans débat télévisé, sans consensus, sans syndicat, sans grève, sans chartes, ni plan quinquennal, capables de changer notre vie, il suffit de le faire. Le révolutionnaire est un être ordinaire qui se donne l’extraordinaire pouvoir de faire ce qu’il dit.

Il ne faut donc pas voir David Thoreau comme un romantique de plus, un homme qui regarde avec regret et mélancolie les liens qui le séparent peu à peu de la nature. Mais comme un acteur de sa vie qui allie l’acte à la parole. Si j’aime la nature et bien je  pars y vivre plutôt que de sublimer ce regret dans un poésie nostalgique.

La démarche de David Thoreau est extrêmement actuelle parce qu’elle nous dit ce que nous ne voulons pas entendre. Pour vivre mieux, vivons plus simplement. LESS IS MORE, est une expression qui semble sonner l’implosion du modèle américain, voire du capitalisme en général. On peut même mettre le modèle communiste dans le même panier puisque ce modèle si il s’oppose radicalement à la libre entreprise, ne renie aucunement le productivisme. Le voilà donc le grand gagnant, qui vie au dépend de notre humanité. Qu’il soit communiste ou capitaliste, stakhanoviste ou self made man, ce démon qui nous enterre a un nom : le  productivisme.

La productivité c’est tout ce que David finalement combat en proposant avec arrogance  dans une Amérique  ultra-puritaniste de ne travailler que le dimanche et de se reposer les autres jours. Le dieu que nous chérissons est, lui, par le truchement des religions, un dieu qui travaille 6 jours par semaine et qui ne se repose que le dimanche. Cela ne semble pas du tout convenir à David qui est prêt a travailler moins pour vivre plus. Notre philosophe depuis sa bourgade de Concord, au cœur du Massachusetts se démarque sans pour autant le renier de son voisin Mr Emerson et de son transcendantalisme (qui nous relie à la nature) pour nous poser finalement une question qui dépasse la relation de l’homme avec la nature et soulever pour la première fois une question sous jacente qui aujourd‘hui prend toute sont importance à savoir : Quelle est la relation de l’homme avec la technologie qu’il produit ?,  Qui de l’homme ou de la technologie transcende l’autre ?
Il fallait bien que cela soit un philosophe américain qui ouvre cet boite de Pandore qui met en perspective notre devenir et celui des machines que nous avons produites.

Sommes-nous réellement dans une société de consommation, comme on nous en rebat les oreilles, ou bien sommes-nous plutôt bel et bien depuis le milieu du 19ème dans une société de production, où l’on nous demande sans cesse de consommer ce que les machines sont capables de produire. Qui de l’homme ou de la machine décide de ce que nous consommons et à quel rythme ?  Une société qui ne produirait que ce dont elle a besoin n’aurait aucun besoin de publicité. Or notre monde est envahi de  promotions ce qui semble prouver que ce sont les machines qui imposent leur tempo. Nous achetons finalement plus de voitures, parce que nous sommes capable d’en produire plus. Voilà la réalité.

David Thoreau et sa ridicule cabane nous embarque dans une aventure effrayante, dans l’inconnu de ce que l’on nomme encore du bout des lèvres la décroissance. Personne n’est capable aujourd’hui de nous dire à quoi ressemblerait un monde qui consommerait moins. A part les impacts écologiques évidemment très positifs tous les autres aspects, sont pour notre culture du toujours plus à la limite de l’inconcevable. L’humanité, n’a fait que grandir, démographiquement bien sûr mais aussi en terme de PIB de production en tout genre. On ne sait pas ce que serait un monde qui produirait moins pour vivre mieux ? Nous n’avons aucune trace d’un recul de la production qui créerait plus de bonheur. Cette idée nous terrorise. Un moins qui serait mieux qu’un plus, nous ne sommes pas prêt à l’entendre après des siècles de croissance synonyme de prospérité. L’énergie pour vivre ne nous manquera jamais, en revanche l’envie de vivre peut, elle, nous faire défaut.
Les machines n’ont pas d’envie. Voilà bien pourquoi il a fallu inventer le marketing qui essaye de comble ce gouffre entre ce que l’on peut produire et ce que l’on a envie de consommer.

Mais allons-nous reprendre notre destin en main, après ces décennies de productivisme étourdissant ?Allons-nous être capable de consommer moins et de travailler moins, pour vivre plus ? Allons-nous un jour exhausser les vœux de David dans sa cabane et travailler un jour pour tous pour se reposer six jours pour soi. Le politique est asservie à l’économique et ne peut donc que nous promettre la croissance. David nous invite lui à une révolution personnelle, la seule qui compte dans le fond, à celle de la décroissance.


Les machines peuvent produire beaucoup de bonnes ou de mauvaises choses pour l’homme, mais  il n’y aura jamais que l' homme pour produire le peu dont il a besoin : son propre bonheur. Capable comme le formulerait sans doute Bergson « de consommer moins sans se priver de rien ».

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