Mommy

C'est à chaque fois la même chose. Je viens de voir Mommy et je me dis qu'il n'y a rien à dire, rien à interpréter, le film se livre par lui-même. Je dors dessus et puis le lendemain il y a toujours un petit truc qui me fait dire que ce film par le biais de son réalisateur nous livre toujours un message qui dépasse le scénario initial pour trahir notre inconscient collectif.

Je suis un grand fan de Xavier Dolan parce qu'il respire à plein poumon notre époque et la transforme en son et en lumière pour notre plus grand plaisir et cela sans complexe et sans académisme.

Le déclic de ce film à été pour moi cette phrase de sa mère pour qualifier son fils Steve à la blondeur rayonnante : "Tu es un prince". Quel prince peut-il bien être si ce n'est un Petit Prince d'une modernité jubilatoire ? Voilà le mythe de Saint-Exupéry dépoussiéré par la magie de la caméra de cet autre petit prince de la caméra. Au premier degré ce film est un film sur la mère, pas bien difficile à deviner avec un titre comme Mommy. Mais si on y regarde à deux fois, ce film nous pousse vers la sulfureuse question de la désobéissance. L'adulte obéit, l'enfant s'apprivoise. Steve est un enfant sauvage qui ne trouvera pas sa place dans une société qui nous domestique. Est t-il mauvais pour autant, non. Le langage de Steve est cru, direct, vrai, à l'instar du Petit Prince il provoque les adultes qui tournent en rond sur leur petite planète domestiquée par le travail, la famille et en dernier recours la patrie.

Xavier, le réalisateur de Mommy est gay et n'a jamais fini ses études. Il est donc plus ou moins passé à travers les mailles de la domestication humaine et reste comme Steve à la recherche d'une gaieté simple et personnelle avant de prétendre au bonheur collectif.
Notre société, elle, a fait l'impasse sur la gaieté individuelle émanant de notre âme d'enfant au profit d'une recherche sérieuse et collective du bonheur. Pourtant sans gaieté le bonheur reste précaire. La mort d'un proche peut vous en priver à jamais par ses regrets. Le film ouvre donc sur un plan réduit, carré, pour nous faire ressentir dès la première image que notre monde est formaté, alors que notre vie pourrait se vivre en format panoramique si elle était tout simplement plus gaie.

Comme Saint-Exupéry nous atterrissons dans le désert celui de la vie d'une banlieue canadienne. Une rue, une voisine, un voisin, un supermarché et pour les grands jours un karaoké. La maison est louée, tout est ordinaire, sans âme, mais nécessaire.
Steve à l'instar du Petit Prince ne comprend rien au monde des adultes qu'il trouve à juste titre absurde. On essaye donc tant bien que mal à le reformater pour qu'il rentre dans le cadre d'un monde bourgeois et docile à coup d'institutions spécialisées, qu'il finit par incendier. La société à bout de moyen finit par reconfier ce multirécidiviste de la provocation  à sa mère veuve. Ultime recours avant d'envisager la camisole de force pour entraver l'animal insoumis grâce à un système législatif  de plus en plus coercitif

L'homme cartésien, dans sa conquête de la nature, a domestiqué bon nombres d'animaux, mais a finalement réussi, à ses dépends, à se domestiquer lui-même. Le mouton que Saint-Exupery devrait dessiner au Petit Prince insistant, nous ressemble étrangement. Pourtant cette idée nous est insupportable. Comment nous penser libre et domestiqué à la fois ? Notre société est un troupeau aveugle qui piétine l'être apprivoisable qui sommeille en nous.

On peut donc regarder Mommy de deux manières. Soit en se mettant dans le rôle de la mère et vivre alors ce film comme une tragédie implacable; à savoir le suicide du fils et la lente agonie d'une mère rongée par le remords et la culpabilité d'avoir abandonné son enfant. Ou bien on peut se mettre dans le rôle de Steve et considérer  que ce que nous voulons mettre à mort n'est autre que la société qui nous oblige à vivre sous le poids de carcans qui n'ont pas lieu d'être. Comme Steve nous sommes à l'intérieur d'un système dont on ne peut s'échapper.  A t-on le choix de ne pas envoyer ses enfants à l'école, de se soustraire à ses devoirs civiques, de ne pas travailler. Il n'existe pas pas pour l'homme d'alternative sauvage à sa vie domestique. Pour en finir il nous faut comme Steve prendre un air hébété et attendre que l'on nous desserre notre camisole pour courir nous défenestrer. La mort de Steve n'a rien de dramatique, au même titre que la mort du Petit Prince qui, rappelons le, se fait mordre volontairement par le serpent, pour quitter le monde absurde des adultes.

Le film Mommy est là pour nous montrer que l'homme de demain devrait être apprivoisé et non soumis aux nécessités de la vie moderne. Sa mère Diane peut apprivoiser Steve, mais la vie active qu'elle doit mener ne lui en donne pas le temps. Nos enfants sont confisqués par l'éducation nationale, parce que nous sommes nous-même tributaire du monde du travail. Que faire d'un enfant insoumis à la maison. La chance veut que la voisine d'en face peut lui consacrer son année sabbatique pour l'éduquer mais celle si doit avant tout son temps à sa propre famille. On est à nouveau dans l'impasse. Notre société ne collabore pas, elle accumule, à l'instar de cet homme d'affaire imaginé par Saint-Exupéry qui ne fait qu'additionner les étoiles sans savoir pourquoi.
Faute de temps ensemble, la discipline remplace rapidement la patience et l'animal sauvage acculé sort ses griffes. Diane tente tout pour son gamin, faire la bonne chez les riches, jouer la séduction en tentant de s'attirer les bonne grâce d'un voisin qui pourrait intercéder en faveur du cas Steve. La belle Diane s'avilit et se sape comme une vulgaire pute pour tenter de charmer un homme dont elle ne veut pas. Steve sauvage et pur, s'insurge devant cette image indigne et ne laissera pas sa mère devenir ce qu'elle ne veut pas être. L'esclave d'une famille sans joie en quête d'un bonheur préfabriqué dont Steve n'a jamais voulu.

Diane n'est jamais aussi belle que le jour où elle décide de tourner la page. Au volant d'une belle Volvo blanche, avec son châle et ses gants de conduite, elle peut être elle-même et dégager l'élégance inhérente au personne qui retrouve leur style. La mère et le fils se trouvent à ce moment là, sans que Steve ne le sache véritablement, liés par la même idée révoltante et optimiste. Celle de quitter ce monde pour vivre sur leur planète et garder intact l'espoir de pouvoir faire une autre fois ensemble un monde meilleur. La mère ne renie pas son acte d'abandonner son fils à l'incarcération, le film arrête juste avant que Steve ne traverse la fenêtre. Ainsi personne n'est mort, Diane et Steve ne sont pas coupables. Il n'était juste pas fait pour une vie domestiquée.

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