Au nom de la rose

Un bouquet de roses rouges sur la cheminée du salon de l'avenue Victor Hugo est là pour témoigner d'un anniversaire (pas tant celui du mariage de mes parents qui avait lieu aussi en janvier), mais celui de leur rencontre. Jo et Benoist aiment comme tout le monde leur anniversaire de mariage, mais encore plus leur anniversaire de rencontre d' un certain 26 janvier.

Le mariage aussi officiel soit-il reste dans le cœur des amoureux un moment de partage qui fait date, mais l'amour le vrai n'a ni besoin de témoin, ni administration religieuse ou civile pour surgir. Il nous attache toujours deux êtres par le hasard d'une première rencontre sans laquelle rien n'aurait été possible. En fêtant leur rencontre, ils donnent tord à la guerre d'Algérie qui a séparé leur rencontre de leur mariage. Il serait donc terriblement injuste de célébrer l'amour de ces deux être à partir de leur mariage, en jetant au feu les années d'amour épistolaire qui les ont reliées pendant 3 ans.

L'amour fait partie de ces choses qui n'en sont pas puisqu'elles s'usent quand on ne s'en sert pas . Et qu'importe que les mots et les mêmes phrases reviennent l'inlassablement dans des lettres forcément répétitives puisque la l'amour ne s'écrit pas avec des mots mais avec des actes.

En regardant ce bouquet hier, la petite histoire mainte fois répétée de la rencontre de mes parent me revient à l'esprit. C'était une surprise party quelque part à Paris. Elle aurait pu ne pas venir, il aurait pu ne pas la connaître, elle est finalement venue, ils se sont finalement rencontrés. Ouf.

Un amour qui change tout votre avenir, se joue comme ça, un soir au hasard d'une rencontre qui aurait pu ne pas se faire. Mais aujourd'hui, comment imaginer autre chose que leur rencontre ?
Mon petit côté égocentrique me fait vite réaliser qu'en plus du vertige que nous donne l'idée de déconstruire 50 ans de vie commune pour une hypothétique autre vie de nos amours, je voyais par ce processus mon existence anéantie, créant dans ma disparition, somme toute très théorique, quelques dommages collatéraux, la mort existentielle de Sandrine et Toche. Ainsi ce bouquet de rose se serait nous, notre petite famille. Planté là dans un vase témoignant de ce qui est arrivé dans une surprise party parisienne, un 26 janvier 1957.

Comment vivre avec cette idée que si maman n' avait pas finalement trouvé la force d'aller à cet soirée, je ne serais pas né. Ca y est moi aussi j'ai le vertige. Pas celui d'un amour qui se dérobe cette fois ci, mais bel et bien le vertige du néant.

OK j'aurais pu ne pas exister, un peu dur à avaler, mais bon pourquoi pas, mais être en plus le fruit du hasard là, ça finit par aller un peu loin. Je me ravise donc quant à l'analyse rétrospective de ma propre existence. Je ne suis plus né du hasard, car j'ai maintenant décidé d'être né de l'envie d'aller s'amuser. Je me refais donc le film.

Il n'y avait qu'une soirée auquel Jo pouvait aller ce soir là. Donc pas de hasard. Le combat de ma propre existence se déplace donc ailleurs. Pourquoi ne pas aller s'amuser et danser plutôt que de ne rien faire?  Le néant qui menace ma propre existence est là dans la chambre à coucher de Jo qui se demande si elle à la force de se faire belle pour aller danser ou si elle remettra ça à la semaine prochaine. Je suis déjà là dans la pièce. J'observe. Je file du côté de la surboum chez Benoist, pas d'annulation, il sera bien là. En plus il a déjà des images de Marie-Jo dans la tête alors qu'il ne l'a même pas encore rencontrée, c'est le coup de foudre assuré. Il faut donc absolument que Marie-Jo trouve ce petit surplus de joie de vivre qui va lui faire enfiler sa robe pour aller danser.

Je suis donc né d'une victoire de justesse d'une envie d'aller danser. Oui, ça ça me plait et ça ressemble de moins en moins à du hasard et de plus en plus à une victoire. Je suis donc un bébé du rock & roll. Sans Billy Holliday et les Platters je ne serais peut-être pas là. Au revoir le hasard, bonjour la création. Je suis donc plus le fruit du hasard, mais le fruit d'une volonté de s'amuser.

Tous ça c'est très bien seulement voilà, je jour de ma naissance, grâce à la rencontre providentielle de mes parents et bien ce n'est pas moi qui nait mais ma sœur. Et ben tiens tout ses effort tout ce suspense, ces soirées qui auraient pu ne pas arriver, cette guerre d'Algérie qui aurait pu user plus d'un jeune couple d'amoureux conjurés et voilà  que je dois maintenant attendre mon tour et laisser naitre ma sœur en premier qui ramasse plus de deux ans avant moi tout le bénéfice existentiel de cette rencontre.

J'en conclu que je ne peux pas me définir par la seule volonté de la ligne généalogique puisque les même causes ne semblent pas produire les mêmes effets et que d'autres peuvent naître à ma place. Et puis je ne ressemble pas à mes frères et soeurs. Je ne parle pas de ressemblance physique qui irrigue notre patrimoine génétique je parle de mon moi qui pense à ma manière et qui semble assez éloigné de la manière dont pensent Sandrine ou Christophe.
L'intelligence suppose un monde stable où les choses ne changent pas, un drôle de monde finalement où effectivement les mêmes causes ont les mêmes effets. L'intelligence permet de faire fonctionner un monde mécanique dont nous tirons profit ( par exemple la traction avec laquelle Benoist arrive à la surprise party, n'aurait pas pu exister sans l'intelligence humaine) mais elle n'explique pas tout, et surtout pas les sentiments qui naissent du vivant.

L'intelligence aurait voulu que Benoist et Marie-Jo fassent un maximum de surprise party, séparément et notent un maximum de numéros de téléphone, puis décident séparément sur la base de critères objectifs de qui ils sont le plus amoureux. Heureusement nous ne sommes pas des choses parce que nous nous transformons. Et rien ne nous transforme plus que l'amour. Benoist après avoir vu Marie-Jo n'est plus le même qu'avant. Marie-Jo, elle aussi, est prête à se faire convaincre. L'amour est comme un dé qui roule et au moment où il se stabilise toutes les faces se retrouvent gravées de 6 points. Le vivant dans son mouvement tue l'intelligence et son hasard, ses causes et ses effet, au profit d'une intuition .

Je suis donc né grâce à l'intuition qui gagne sur l'intelligence. Je m'en doutais déjà un peu. Il y avait d'autres jolies filles et d'autres jolis garçons à Paris à cette époque. Ils en ont décidé autrement pour mon plus grand bénéfice. L'amour et l'intuition ne font qu'un. On aime d'abord, on calcule ensuite et non l'inverse. Créer ou aimer, c'est avoir le courage d'arrêter de penser que l'on peut tout choisir pour décider de pouvoir tout créer.

Nous sommes comme ces roses qui se dressent fièrement avec autant d'épines qui refusent qu'on les touche pour avoir le droit d'être elles-mêmes.
Je me demande même si ma conscience ne serait pas comme ce vase plein d'eau dans lequel ma famille est un bouquet de fleurs coupées qui s'épanouissent ensemble en s'inventant des histoires de racines. Je suis un être " hors terre" mon histoire ne se répète plus elle m'appartient. Et dans mon histoire je ne pouvais que naître, voilà pourquoi mes parents devaient forcément se rencontrer. 

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