Charlie

Avec Charlie, nous voilà confronté au réel. Cru, sale mais incontournable, puisque
sans lui rien n'est possible. L'homme est un être qui s'imagine en permanence et qui
répugne à se confronter au réel, jusqu'à ce que celui ci le soulève et le déporte là où
son imagination ne semblait pas le pousser.

La tragédie Charlie Hebdo est une étincelle de réel dans un monde perclus d'idées
préconçues. Un moment parfaitement injuste qui n'a pas sa place dans le monde
dans lequel nous pensons vivre. Le réel ne s'explique pas il s'expérimente, c'est ce
qui vient de nous arriver. Nous avons vécu la semaine dernière plus que nous
l'avons subit. Pourtant après ces quelques jours de réveil, nous risquons à nouveau
de nous assoupir dans la volupté des possibles et délaisser rapidement ce réel qui
nous rend si fraternel.

Pourquoi allons-nous délaisser la réalité que nous venons d'embrasser. Parce que
nous pensons à l'envers. Nous pensons que la somme des possibles nous conduit
nécessairement vers le réel. Et nous avons tord. Notre esprit a été dressé pour être
cartésien et de ce fait de raisonner de cause à effet. Ce que nous oublions trop
souvent, c'est que la science ne crée rien elle constate des phénomènes dans un
univers si possible constant pour ne pas troubler ses prédictions. Si la science nous
permet de faire progresser la technologie tout au service de l'utile, il en va fort
différemment de nos existences qui se définissent en permanence dans la durée. Ce
n'est pas la science qui créé l'homme, mais bien l'inverse. L'observation sans
l'intuition ne vaut rien. On peut regarder tomber des pommes pendant des siècles
sans jamais y voir la preuve de la gravitation universelle. Il faut bien imaginer des
lois avant de les prouver. Les grands scientifiques sont forcément des créatifs.

Nous sommes enfermés tous ensemble dans le même présent. Mais ce présent n'a
rien de scientifique il ne se réduit pas à un mouvement d'une aiguille ou à
l'oscillation d'une montre SEIKO à quartz. Notre présent est une unité de
conscience, il est cette durée qui fait que le monde n'est plus le même une seconde
avant et une seconde après. La science fait de nous des choses alors que nous
sommes des êtres. Dans notre monde vivant les causes n'ont plus d'effets. Ce sont
les effets qui cherchent en permanence leur cause. L'histoire ne peut être écrite que
quand elle sera finie, pas avant. C'est inévitablement ce qui se passe qui définit ce
qui était possible et non l'inverse. On ne peut créer que dans le présent, notre avenir
et notre passé n'ont pas ce pouvoir.

Pourquoi cette longue introduction philosophique et bien comme vous le savez
impossible de prendre un taxi à Paris sans se taper RMC. Bien sûr dès lundi matin
sur les ondes monégasques on refait déjà le match. Et comment est-ce possible
qu'ils soient passés entre les mailles du filet antiterroristes. Après quelques jours de
vrai fraternité tous plaqués sur le réel nous voila dés lundi matin sur RMC, à
nouveau pendus les pieds en l'air et la tête à l'envers à essayer d’interpréter de
manière totalement stérile comment un autre passé aurait pu donner un autre
présent. Il faut bien que les journalistes réalisent que c'est bien parce que des gens
sont morts à Charlie Hebdo qu'ils décortiquent le passé de ces terroristes. Penser
que notre présent se dresse sur la pointe d'une pyramide de possible par sélection
successive est une grave erreur qui dénie toute force créative à la durée de notre
présent. Les experts spéculent. Pendant ce temps il faut bien créer la vraie vie. Or
malheureusement quand tout va mal on s'en remet aux experts alors qu'il faudrait se
recentrer sur la belle intuition de la créature humaine. L'élan humain est créatif et
nous a conduit avec bonheur aux manifestations spontanées partout en France.
Malheureusement cette spontanéité du peuple qui fait soudainement corps se trouve
dès le lundi matin mouliné par les experts sans idées qui pensent que les mêmes
causes humaines auront les mêmes effets nous refusant par conséquent toute forme
de conscience. On déploie aujourd'hui l'armée pour nous protéger d'un mal dont
nous nous sommes déjà immunisés tous ensemble en défilant dans la rue la semaine
dernière.

Les français ne craignent pas les terroristes, la société qui nous gouverne oui parce
qu’elle se veut utilitaire. La liberté de la presse ne s'est jamais si bien portée que ses
derniers jours en France. Pourquoi essayer à tout prix de soigner un corps qui se
fortifie et tenter curieusement de curer notre liberté par des lois antiterroristes et
forcément liberticide qui vont inévitablement pointer leur nez.
On est en droit de se demander si le fait de défilé "sous haute sécurité entre
République et Nation un dimanche après-midi avec des CRS à tous les coins de rue
et des snipers sur tout les toits ne nous prive pas ce droit de risquer notre vie pour
nous aussi prouver que nous sommes libres. N'y avait t-il pas dans les
rassemblements des jours précédents une spontanéité communicative et créative
que le défilé de dimanche a étouffé par sa programmatique. Le rassemblement était
inouï avant même d'avoir eu lieu et l'on savait avant même d'avoir défilé que l'on
allait battre des records historiques.

Si chaque être humain ne devait garder qu'une liberté ne serait-ce pas celle de
mourir. Alors pourquoi accepter ce mot qui tue tous les autres, qui résonne sans
appel et sans raison, qui nous oblige à marcher en chaussette dans les aéroports et
qui se nomme Sécurité. Allah ne se sentirait-il pas parfois un peu trop grand
justement parce qu'il se croit éternel ?


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