DISCOUNT

Discount est une comédie sociale " à l'anglaise " comme on en connait peu ou pas en France. Ce film nous montre comment les employés d'un supermarché acculés par leur direction résistent à leur manière.
Discount nous plonge dans la froideur de l'univers du hard discount. Le dernier maillon économique avant de devoir reconnaître l'échec de la chaine de production en mal d'acheteurs et qui devra se résoudre à détruire ce qu'elle a produit. Cette réalité économique du gâchis journalier de produits périmés et invendus côtoie une autre réalité, celle du personnel du magasin situé quelque part dans le nord de la France qui n'arrive pas vraiment à joindre les deux bouts comme d'ailleurs pas mal de leurs concitoyens aux alentours, toujours preneurs d'un système D pour mettre un peu de tarama dans leurs épinards.

Les salariés dans l'entreprise sont épiés par des caméras et cornaqués par un service d'ordre zélé qui va jusqu'à chronométrer leur pause pipi. Cette situation ne va pas durer. Non par la révolte de ses employés, mais par la volonté incessante d'automatiser les métiers les moins qualifiés pour maintenir voir augmenter les marges de l'entreprise.

Leur employeur est donc fermement décidé à virer dans les mois qui viennent tous les jobs de caissiers et de dégraisser le personnel en conséquence.  Le siège de la marque Discount est parfaitement inhumain. Là dessus rien d'étonnant puisque l'on sait depuis l'article sur Night Call que ce n'est pas le problème du capitalisme d'avoir la moindre considération éthique au delà du strict cadre légal. On ne peut donc pas se plaindre, mais on peut tout de même combattre un ennemi qui lui est sans pitié.

On peut sourire parfois de la concordance de l'actualité qui annonce le jour de la sortie du film Discount . Un procès à l'encontre des sociétés qui gavent les oies et les canards et de surcroit avec l'annonce très attendue par " les marchés" de la mise en marche de la planche à euros à haute dose.

Le spectre de la déflation ne cesse de pointer son nez et l'on ne sait plus que faire pour redémarrer cette foutue croissance en Europe. Nous sommes gavés comme des oies. Notre crise de foie a des airs de surendettement et de crédit à la consommation à répétition. On n'arrive plus à consommer davantage dans le modèle actuel qui atteint depuis plusieurs années ses limites en France.

Discount est un beau film qui nous emmène vers l'économie collaborative. Celle qui va sans doute nous sauver de la récession mais que le corporatisme et l'état entravent aujourd'hui. Discount n'est autre qu'une fable moderne légère et bien campée du thème sulfureux de Robin des bois. Prendre aux riches pour donner aux pauvres voilà bien le fond du problème que soulève le film.

Quand on lit les critiques du film, il en ressort immanquablement un éloge contre le gâchis alimentaire pour adoucir les angles d'un scénario foncièrement hors la loi. Or il y a dans Discount un fond révolutionnaire qu'il ne faut pas éluder, pour en faire un simple film politically correct genre Restos du coeur. Ce que propose Gilles lorsqu'il enrôle ses collègues dans sa résistance face à la direction et aux vigiles est bel et bien de voler de la nourriture lors de la mise en rayon. Le film est clair, nos héros en blouses n'ont pas d'autre option que de transgresser la loi pour tenir, pour exister en résistant à ce qu'il considère comme injuste.

On ne peut pas oublier, en sortant de la salle, les images de nos 5 protagonistes déversant les produits périmée du jour dans une benne qu'il piétine de leur pied en dérrappant sur des poulets crus qu'ils arrosent simultanément de javel pour les rendre impropre à la consommation.  Le film ne nous économise pas ce passage par la case gâchis pour nous montrer l'absurdité du systeme dans lequel on vit que que les employé du magasin vivent au quotidien .

Le hard discount est le magasin par excellence ou l'on trouve les produits en limite de consommation. 30% de ce qui est est en rayon sera détruit par Gilles, Christiane, Emma et les autres faute d'avoir été vendus. La benne rouge à l'arrière du magasin ressemble étrangement à une bouche ouverte d'une société qui n'arrive plus à avaler tout ce qu'elle produit. Les employés s'engagent dans cette bouche pour pousser de leur pied les excédents de la grande distribution sans que rien ne bouge. Nous sommes gavés. Nous ne mangerons rien de plus de force. La croissance de la société de demain naitra de l'économie collaborative ou ne sera plus.

Il y quelques temps un film comme Discount aurait mis en avant une démarche syndicale et une résistance par la grève. Rien de tel dans le film en phase avec son époque, qui nous dépeint à juste titre des salariés désabusés et immunisés par une lutte des classes qui a fait long feu. Les chiffres parlent d'eux mêmes. 1,7 millions de salariés syndiqués, contre 2,7 millions de chômeurs en France. Tous les syndicats réunis en France pèsent donc bien moins lourd que la menace antisyndicale que représente aujourd'hui pôle emploi. Le syndicalisme est aujourd'hui mort en France poignardé par un chômage qu'il n'a jamais su regarder en face et qui a grandi dans son dos avec le couteau de l'exclusion à la main.

Le réalisateur, Louis-Julien Petit, qui signe aujourd'hui son premier film avec Discount ne s'en cache pas. Ce qui se passe tous les jours dans les hard discount, s'observe aussi en France dans le marché du travail en général. On vous traite comme un produit avec une date limite de consommation. A l'instar de ses seniors qui même à coup de hard discount sur leur prétention salariale finissent à la benne du chômage longue durée.

Face a cette situation scandaleuse qui nous montre, avec quel cynisme la grande distribution traite ses ressources humaines comme des produits, on ne peut que se réjouir que l'humain désacralise l'objet qu'il met à genoux en rayon en lui reniant son droit de propriété. Ces paquets de farine produits depuis des millénaires par l'homme, ces commerçants sournois qui se cachent derrière leur enseigne ne les méritent pas. La société civile est en droit de les reprendre, sans que l'on puisse y voir du vol, semble nous souffler ce film. Tout ne s'achète pas et tout ne se vend pas. Et c'est là que notre économie ultra réglementée ne sait plus faire.

Peut-on donner aujourd'hui quelque chose à quelqu'un sans payer quoique soit. Tout est transaction pour tomber dans l'assiette de l'impôt de l'Etat tel un ogre qui finira par manger tous ses enfants. Le don est proscrit par une fiscalité agressive , l'échange est requalifié en double vente. Fiscalité et solidarité ne font pas bon ménage. L'impôt semble vouloir acquérir un monopole de la redistribution et de la solidarité qu'il ne mérite pas.

Au delà d'un message de solidarité (un peu chiant) sur le thème "donnons les produits périmés aux déshérités" auquel je n'adhère pas, le film nous montre un visage plus agressif d'une économie de révolte où l'on vole, on offre, on encaisse et l'on ne déclare rien à personne. Cette épicerie qualifiée de solidaire est avant tout une utopie révolutionnaire, un magasin éphémère, mais bien réel, ouvert sans bail, sans contrat de travail, sans règle de sécurité, sans impôt, sans TVA,..... Comme un moment l'on pourrait jouer à la marchande sans que l'Etat ne s'en mêle. Tout cela est parfaitement illégal, mais on ne peut pas s'empêcher d'être heureux avec eux.

Le film se révolte jusqu'au bout et ne nous donne pas la happy end que l'on espère, c'est à dire une sorte d'épicerie solidaire qui aurait réussi à se pérenniser dans la légalité . Nos caissiers sont des hors la loi qui trouvent la force de sourire de leur propre audace. Et comme l'aurait fait Robin des Bois ils savent que voler les voleurs reste encore le meilleur moyen de se faire justice dans un monde qu'il rêve secrètement de faire dérailler si on les exclu du voyage. Difficile de leur en vouloir.

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