Le grand saut

Victor avait envie de faire de la chute libre et il découvre que l'on peut se jeter depuis un petit avion au dessus du majestueux golfe du Valinco. L'affichette est prometteuse avec son titre " le grand saut".
Il me propose de venir acec lui, je dis oui. On s'inscrit on sautera finalement hier vers 17 heures après plusieurs risques d'annulation à cause de la météo.


Au sol la température est élevée en cet fin d'après midi. 32° au sol et sans doute un peu moins de 20° à 4000 mètres. Le truc sympa et un peu flippant avec ce grand saut c'est que le vol en parachute ne se fait qu'à partir de 1700m. Donc on tombe à 200 km/h pendant 50 secondes avant que le parachute ne s'ouvre.
Le briefing est assez sommaire mais plutôt convaincant :
"Bon les gars quand vous sautez vous vous jeter le zizi avant en rentrant les jambes sous l'avion et la tête en arrière. C'est ce que j'appelle la position banane. Tu t'agrippes au harnais et quand je te tape sur l'épaule tu laisses flotter tes bras sans opposer de résistance. Vous avez déjà tous sortis vos bras de la voiture quand on est a fond sur l'autoroute, c'est pareil. Si on reste bien en banane on ne se retourne pas c'est comme un volant de badminton".
Le formateur a dit en fait "balle de badminton" mais je n'avais pas 'l'intention de faire le malin lors du briefing. Même moment de solitude et d'humilité quand un des moniteurs sort un truc du genre : "C'est quoi ce matos de pédé" et que l'autre le reprend en lui disant "d'éviter les remarque homophobes".
Là bien sûr normalement Cindy prend la balle au bon et fait la maline, mais curieusement la fébrilité de mon état avant le saut me conduit à faire profil bas. Si je lui dit que je suis gay et qu'il n'aime pas les gays il ne va pas autant serrer les sangles contre lui, et même si il aime les gays mais qu'il est pas gay, il va y penser aussi quand il va s'accrocher derrière moi avec son parachute. Il ne faudrait pas qu'il pas ait un petit moment de pudeur qui l'empêche de bien bien serrer toutes les sangles qui me raccrochent à lui. Donc c'est clair mon orientation sexuelle doit rester hyper top secret jusqu'à ce que je revienne en vie de ce saut.

On réalise avec Victor qu'ils ne vont nous donner ni combinaison ni casque, on va sauter comme on est. Victor aurait pu avoir Hugo comme moniteur, pour le bon mot mais non ce sera moi. Tant mieux il a une bonne tête, et comme on va se retrouver sanglé ensemble à sauter dans le vide un bon feeling ça compte. On embarque avec nos 2 caméramen, j'ai craqué et j'ai pris l'option vidéo en supplément, pas dis que je recommence tous les jours non plus, plus 2 pratiquants réguliers qui vont sauter depuis notre avion, quelques secondes avant nous.

Pas question de commencer à gamberger avant et pendant la montée, même si les moniteurs nous font des blagues vaseuses du genre : "Tu as entendu parler de ces 2 mecs qui se sont crachés en baptême de saut?" et l'autre de répondre : "Oui en plus ils avaient exactement le même matos que nous". Ha ha ha ha, trop drôle. On décolle, on se retrouve à 2000 mètres à la sortie du golfe on découvre la baie d'Ajaccio, on est déjà vachement haut. Pourtant on va encore prendre 2000 mètres de plus au retour. On est maintenant au dessus de la grande plage du Rizzanèse à 4000m. La très très grande porte de l'avion s'ouvre en très très grand. Pas de panique je gère. Je me dis que j'ai eu raison de m'asseoir toujours du coté hublot quand en voyage avec Bobby ça a du m'habituer un peu. Enfin quand même ça fait pas tout à fait pareil.

Bon ce saut depuis trois jours qu'il est programmé a été parfaitement rationalisé dans ma tête . Il fallait bien un moment ou un autre que la porte s'ouvre, c'est normal, tout va bien. Et puis là PAF grosse claque au cerveau le mec qui est à coté de moi avec son short moule bite, ses chaussettes de montagne et son casque Captain America se jète dans le vide comme ça.

En fait de saut ça ressemble plutôt à la trajectoire d'un mégot de cigarette que l'on jette de la fenêtre d'un train à pleine vitesse. C'est la douche froide. Tout mon joli édifice conceptuel qui me permettait de gérer parfaitement cet évènement s'écroule face à la violence de la réalité à laquelle je viens d'assister. Pas le temps de déglutir qu'un autre homme-mégot se jette aussi par l'ouverture de l'avion aussi large et impressionnante que l'embouchure du golfe en dessous.

C'est à nous Jean-Yves me susurre Hugo à l'oreille avec une voix qui se veut rassurante. J'imagine que le caméraman est accroché quelque part à la carlingue, à vrai dire, à l'approche de l'abime je m'occupe de moins en moins des autres, lorsque je sens en moi mon petit être totalement écrabouillé par l'immensité rayonnante de la nature qui va vouloir me récupérer chez elle là, en bas, aussi vite que possible. Beaucoup trop vite à mon goût. Y'a vraiment que les profs de physique pour nous expliquer que l'on ne tomberait pas si il n'y avait pas d'attraction universelle. L'attraction à cet instant  je ne la sens pas, mais vraiment pas du tout. Il y a surtout du vide beaucoup de vide et je vais tomber  dans ce grand trou dans moins d'une seconde.

Mon univers rationnel est dévasté, je ne trouve plus aucune raison valable de sauter sans avoir peur que le seul plaisir de le faire. Je suis les pieds dans le vide, je souris et j'attends qu'Hugo décide de mon destin (c'est lui qui doit faire le sale boulot de sauter, moi je suis là pour m'amuser). C'est parti l'accélération n'est pas pire que de sauter d'un plongeoir de 10m après on stabilise et on flotte, c'est l'apesanteur avec la clim à fond dans la tête. 50 secondes de fraicheur et de légèreté, le paysage est splendide, mais je m'en fous. J'ai eu tout le loisir de l'observer pendant les 15 minutes d'ascension. Je suis tout à mes sensations. Je suis là. Suffisamment haut pour ne pas voir la terre qui se rapproche, je ne tombe plus, donc je vole.

Je regarde le caméraman en face qui me fait des signes. Je bouge moi aussi mes petit bras, mais pas trop, je n'ai aucune idée des perturbations que cela pourrait créer pour Hugo que je ne vois pas, que je ne sens plus. A cette vitesse notre poids est nul c'est comme si on est tout seul alors qu'on a un moniteur sanglé sur le dos. Et puis le parachute s'ouvre on passe en une fraction de seconde de l'état de rapace en piqué à celui de colis d'aide alimentaire largué par avion. On ne vole plus vraiment on se balade suspendu à des câbles je me sens affreusement lourd et sur-harnaché. On fait des tours et des tours, ça va finir par me donner mal au cœur ses tourbillons à répétition. Je suis presque impatient de toucher la terre maintenant que la chute a été irrémédiablement consumée. La Corse est belle et la civilisation vue d'en haut prend une grâce inhabituelle. Tout est beau, la trace d'un bateau, l'imposante 4 voies qui mène au nouveau tunnel n'est qu'une griffe insignifiante dans un monde d'eau et de granite qui se laisse effleurer pendant quelques siècles par l'imagination de l'homme.
Atterrissage, c'est fini, on arrive presque euphorique avec une envie accrue de vivre le présent comme on a vécu chaque seconde dans le vide. Béa.








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